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pouvons être certains que la succession régulière des générations n’a jamais été interrompue et qu’aucun cataclysme n’a bouleversé le monde entier. Nous pouvons donc compter avec quelque confiance sur un avenir d’une incalculable longueur. Or, la Sélection Naturelle n’agit que pour le bien de chaque individu, toutes les qualités corporelles et intellectuelles doivent progresser vers la perfection ».

Le darwinisme a donné naissance à diverses écoles rivales et particulièrement à celle des néo-lamarckiens et celle des néo-darwiniens. Le Dantec (1869-1917), l’éminent biologiste français, a tenté de concilier ces deux écoles en démontrant que Lamarck et Darwin n’étaient nullement opposés l’un à l’autre et que la vie des espèces et des individus était soumise à deux influences : l’hérédité et l’adaptation. C’est sur ce principe que repose le transformisme actuel.

Bien des individus entraînés dans la lutte sociale se demandent quel intérêt présente pour les classes opprimées ces diverses écoles scientifiques, et si ce n’est pas une simple spéculation philosophique que de rechercher quelles sont les origines des espèces et la façon dont la vie s’est transmise à travers les siècles. Le darwinisme a exercé une très grosse influence non seulement dans le domaine scientifique mais aussi dans le domaine social, et ce serait une erreur de croire que la classe ouvrière n’est pas servie par les recherches et les découvertes des savants.

En démontrant que « les êtres ont habité le globe dès une époque dont l’antiquité est incalculable, longtemps avant le dépôt des couches les plus anciennes du système cambrien » (Darwin, l’Origine des Espèces) c’est-à-dire depuis des centaines de milliers d’années, la science naturaliste a détruit la légende de la création du monde « puisque la vie ne peut être engendrée que par la vie ».

Sur le terrain social nous ne pouvons certes pas partager entièrement l’optimisme du darwinisme. S’il est vrai que pour les espèces végétales et les espèces animales inférieures, la Sélection naturelle agit avantageusement et que la lutte pour l’existence élimine les individus tarés pour ne laisser subsister que les êtres forts ; d’autres facteurs entrent cependant en jeu surtout lorsqu’il s’agit des espèces supérieures et plus particulièrement de l’espèce humaine.

L’espèce humaine, pas plus que les autres espèces, n’échappe au « struggle for life » et la lutte entre les divers individus de l’espèce humaine se poursuit sans cesse. Cette bataille pour l’existence est la source de l’évolution continuelle et ininterrompue de la race humaine, mais les hommes ne peuvent pas attendre simplement de la Sélection naturelle la perfection de l’espèce et de l’individu.

L’homme combat pour sa vie contre les autres hommes et tous les facteurs qui déterminent ce combat nous portent à croire que les plus forts triompheront ; mais les plus forts ne sont pas forcément les meilleurs. Ce n’est pas physiquement que se manifestent la faiblesse des uns et la supériorité des autres. Les individus qui se trouvent en haut de l’échelle sociale, éduqués au grand livre de la science, profitent de toutes les découvertes, étudient tout ce qui peut être une arme utile dans le combat de géant que se livrent les individus de l’espèce humaine, tandis que ceux qui sont en bas de l’échelle sociale sortent à peine de l’ignorance, et subissent encore l’influence néfaste de leurs sentiments. Ce sont ces sentiments qu’il faut détruire pour n’être enfin conduit que par la raison. La Sélection naturelle est un cas du problème de l’Evolution ; elle a consolidé les principes, mais elle n’est pas tout et il faut tenir compte des autres facteurs. La perfection de l’homme ne sera réalisée que lorsque l’individu débarrassé de tout préjugé sera éclairé à la lumière de la science.

« Le raisonnement » nous dit Le Dantec « nous en-

seigne que la lutte est la grande loi, mais le raisonnement scientifique est incomplet ; il ne tient pas compte des vieilles erreurs qui sont peut-être ce que nous avons de meilleur en nous ; la dernière lutte dont nous devrions parler ici est la lutte du sentiment contre la raison » (Le Dantec, La lutte universelle). Le Dantec a raison il ne faut pas parler de la lutte du sentiment contre la raison, mais de celle de la raison contre le sentiment. Ce n’est que par le triomphe de la raison que l’espèce humaine et l’individu se transformeront, s’amélioreront et se perfectionneront. — J. C.

DARWINISME — Historique — Les précurseurs de Darwin. Son œuvre. — On donne le nom de darwinisme à l’ensemble des théories du naturaliste anglais Charles Robert Darwin qui, réduites à leur plus simple expression, se ramènent à cette formule : l’homme descend du singe. Ce n’est là qu’une partie du système de Darwin, et c’est une interprétation erronée que de voir uniquement dans le darwinisme la théorie qui fait descendre l’homme du singe. Mais c’est ainsi que le fanatisme a envisagé dès sa naissance l’évolutionnisme darwinien qui, expliquant l’origine des êtres vivants, donc de l’homme, par des lois naturelles, détruisait du même coup la création divine de l’homme selon la Bible. Et c’est bien, en somme, la conclusion des travaux de Darwin qui ne s’est exprimé au sujet de l’origine de l’homme qu’à demi-mot, ayant tenu à s’entourer de précautions oratoires afin de ne pas choquer la susceptibilité de ses lecteurs, tolérance dont on ne lui sut aucun gré. Darwin n’a d’ailleurs pas été le premier à soutenir cette théorie subversive, mais son mérite a consisté à l’exposer d’une façon originale et par-là même à la créer une seconde fois. L’idée avait déjà fait du chemin lorsque Darwin se présenta pour l’aider à continuer sa route semée d’obstacles. Si Lamarck a été le père du transformisme, Charles Darwin en fut le tuteur. Le transformisme est la doctrine d’après laquelle toutes les espèces, animales et végétales, descendent d’un type ou de types originels peu nombreux, par voie de transformation. Si ces espèces, dont l’origine est commune, ont pu varier, c’est, répond Darwin, grâce à la sélection naturelle qui a assuré la survivance du plus apte. Le darwinisme était une interprétation nouvelle du transformisme : il présentait sous un jour différent cette doctrine qui ruinait le principe de la fixité des espèces, soutenue par la réaction religieuse et scientifique. Non seulement le « darwinisme » nous révèle un des côtés du transformisme, mais il nous oblige à l’examiner dans son ensemble ; l’étudier c’est connaître celui-ci dans ses tenants et ses aboutissants, c’est pénétrer au cœur même de la biologie.

« Le transformisme, c’est-à-dire la théorie d’après laquelle les espèces animales et végétales vivant actuellement descendraient d’espèces antérieures et différentes » (Le Dantec), est une des hypothèses scientifiques les plus fécondes qui, comme toutes les hypothèses créatrices, a partagé l’humanité en deux camps, et permis ainsi de reconnaître les esprits d’avant-garde et ceux qu’on pourrait qualifier justement d’arrière-garde. Cette hypothèse qui a fini par s’imposer aux esprits n’est pas nouvelle : elle existait en germe chez les philosophes de l’antiquité. Il faudrait remonter à Lucrèce, à Aristote et même plus loin pour trouver les ancêtres de l’évolutionnisme. Le moyen-âge lui-même l’a pressenti. Pendant la Renaissance, Bacon croyait que les mutations d’espèces étaient dues à des variations accumulées. Le siècle de Louis XIV n’a pas ignoré les grandes lois directrices de l’évolutionnisme ; en cherchant bien, on les découvrirait dans quelques auteurs. Au xviiie siècle, où tant d’idées s’ébauchèrent ou se précisèrent, l’évolutionnisme fut soupçonné. Un certain Benoît de Maillet, auteur des Entretiens d’un Philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer (1748),