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publia une amnistie générale dont seuls furent exclus les régicides. En 1814, la charte française accorda une amnistie générale pour tout ce qui, pendant la Révolution et l’Empire, avait été tramé, ourdi ou accompli contre la monarchie des Bourbons. À son retour de l’île d’Elbe (mars 1815), Napoléon 1er publia un acte d’amnistie dont il n’excepta que treize personnes, des plus compromises, tels que Talleyrand, Bourrienne, le duc de d’Albert, etc. À la seconde restauration, l’amnistie ne fut publiée que le 12 janvier 1816. Le bénéfice en fut refusé à un petit nombre : Ney, Labédoyère, Lavalette, Bertrand, Rovigo. Le roi se réservait en outre la faculté de bannir Soult, Bassano, Vandamme, Carnot et quelques autres. Lorsque le duc d’Orléans, fils de Louis-Philippe, se maria, Louis-Philippe, en 1837, amnistia en bloc tous les condamnés politiques. La République de 1848 étendit la loi d’amnistie à tous les condamnés politiques, à l’exception des princes appartenant aux deux branches des Bourbons. Le second Empire (Napoléon III) accorda quatre amnisties : en 1859, en 1860, en 1864 et en 1869. On peut estimer, d’une façon générale, que tous les Gouvernements, Empire, Royauté, République sentent si fortement le besoin de faire oublier leurs propres crimes, que c’est devenu la règle, de nos jours et dans tous les pays du monde, de faire suivre tous les grands événements qui font époque dans l’histoire et qui succèdent à une période grave et troublée, à l’intérieur ou à l’extérieur, d’une amnistie plus ou moins générale, destinée à calmer les colères, à apaiser les ressentiments ou à dissiper les haines contre le pouvoir du moment.

La loi d’amnistie qui souleva, il y a quelque cinquante ans, les oppositions les plus violentes et les débats parlementaires les plus passionnés, fut celle qui visait les condamnés de la Commune. Le mouvement communaliste — mars à mai 1871 — avait inspiré aux classes dirigeantes de l’époque une terreur si profonde et une haine si farouche, que, par la voix de leurs représentants au Parlement, elles opposèrent aux efforts des républicains avancés une résistance aussi longue qu’acharnée. Ce fut Alfred Naquet qui, le premier, au cours de la séance du 20 décembre 1875, réclama éloquemment l’amnistie en faveur de tous les crimes et délits se rattachant à la Commune. Après les élections sénatoriales de janvier et février 1876, Victor Hugo au Sénat et Raspail à la Chambre firent la même proposition. La voix de ces deux grands citoyens ne fut pas entendue. Pour faire triompher la cause de l’Amnistie, il était indispensable que le peuple se prononçât vigoureusement. L’opinion publique, secouée dans tout le pays par les agitateurs les plus en renom, demanda d’abord, réclama ensuite, exigea enfin l’amnistie en faveur des Communards. Le 20 février 1879, nouveau débat à la Chambre sur ce sujet qui, peu à peu, passionnait les masses populaires. Le Garde des Sceaux, Le Royer, se déclarait, au nom du Gouvernement, favorable à une amnistie partielle. « Amnistie pleine et entière » répliquèrent Naquet, Louis Blanc, Lockroy et Clémenceau. L’amnistie totale fut repoussée et l’amnistie partielle accordée. C’était un premier résultat laissant pressentir la victoire complète. Les manifestations en faveur de l’amnistie se firent plus nombreuses que jamais ; elles s’affirmèrent de plus en plus ardentes et résolues. L’amnistie eut alors ses candidats et plusieurs élections se firent avec ce programme unique : amnistie totale. À Bordeaux, c’est Blanqui, le 20 avril 1879 ; à Paris, c’est Alphonse Humbert, le 12 octobre 1879 et Trinquet, le 20 juin 1880, qui l’emportent comme candidats de l’amnistie. La pression de l’opinion publique brise les dernières résistances du Gouvernement et la loi d’amnistie est votée à une imposante majorité et promulguée le 11 juillet 1880.

Depuis, diverses lois d’amnistie ont été votées, notamment en 1881 et 1895. Durant la guerre maudite de 1914-1918, une foule de condamnations furent prononcées pour d’insignifiants délits susceptibles d’être retenus par les Conseils de guerre et les Tribunaux civils ; un nombre relativement élevé, beaucoup plus élevé qu’on ne le croit généralement, d’hommes valides appelés par la mobilisation générale à satisfaire aux exigences de la grande Tuerie en lui assurant le matériel humain que « la Patrie » déclarait nécessaire à son salut, refusèrent énergiquement de rejoindre le corps qui leur était assigné et, plutôt que de défendre une cause qu’ils estimaient ne pas être la leur, ces hommes s’exilèrent ou se cachèrent. Ce furent les insoumis. D’autres, un nombre important d’autres, qui s’étaient tout d’abord laissé incorporer, quittèrent l’arme à laquelle ils étaient affectés et désertèrent. D’autres enfin, las de traîner depuis des mois et des mois leur lamentable existence dans la boue et le sang des tranchées, indignés du traitement qu’ils subissaient de la part de leurs chefs, commirent un de ces actes quelconques : gestes, paroles, simple attitude d’indiscipline que le Code militaire, en temps de guerre, punit des peines les plus sévères, et, pour s’être laissé aller à un de ces actes, furent odieusement, injustement frappés. Il semblait indiqué que, au lendemain d’un carnage de cinquante et un mois, tous ces insoumis, déserteurs et indisciplinés fussent appelés à bénéficier de l’amnistie la plus large. Il n’en fut rien. Des Gouvernements qui se succédèrent au Pouvoir, les uns refusèrent toute amnistie et les autres en proposèrent une si étroite, si restreinte qu’elle mécontentait les partisans de l’Amnistie large et humaine plus encore que les adversaires de toute amnistie, même limitée. De nouveau, l’opinion publique intervint. La presse dite « d’extrême-gauche » protesta contre cette caricature d’amnistie, d’autant plus scandaleuse et révoltante que les bandits qui avaient, du commencement de la guerre à la fin, cyniquement spéculé sur la détresse de la nation, qui avaient tiré parti du gâchis administratif, qui avaient ramassé des fortunes dans le sang des champs de bataille et le ravitaillement de la population civile, tous ceux-là se voyaient mis à l’abri de toute sanction par la dite loi d’amnistie. Ce fut un spectacle réconfortant que celui de l’agitation qui se traduisit par des campagnes dans les journaux d’avant-garde, des meetings nombreux et imposants, des manifestations dans la rue, des tentatives de grève, des mouvements populaires de toute nature. Mais toutes ces démonstrations se heurtaient au mauvais vouloir du bloc national qui détenait le pouvoir gouvernemental. Quand vinrent les élections législatives générales du 11 mai 1924, les partis dits « de gauche » ne manquèrent pas d’inscrire sur leur programme le vote d’une loi d’amnistie pleine et entière. Ce fut un des moyens qu’employèrent radicaux, radicaux-socialistes, républicains-socialistes, socialistes et communistes pour piper les suffrages des électeurs — hélas ! — toujours confiants. Le bloc des gauches remplaça au Gouvernement le bloc national. Mais les nouveaux élus s’empressèrent d’oublier leurs promesses et de trahir les engagements qu’ils avaient pris.

On patienta longtemps ; jusqu’au dernier moment, on espéra que les nouveaux gouvernants respecteraient la parole donnée. Espérance déçue ! Le projet d’amnistie proposé et voté ne fut guère plus large que les précédents. Seuls furent appelés à en bénéficier quelques catégories — peu nombreuses — de mutins, d’insoumis, de déserteurs et de condamnés politiques. Quant aux victimes les plus intéressantes, parce que les plus fières et les plus courageuses, elles restent frappées par les condamnations qu’elles continuent à subir