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démontrent qu’ils ne peuvent faire finalement fi de l’Église.

Mais ce n’est pas de cette « déchristianisation » — là que je veux écrire. Je reproche aux anarchistes de trop considérer le globe terraqué comme « une vallée de larmes », de trop « mépriser la chair ». Dans les publications anarchistes, on ne parle pas assez de se récréer, de s’amuser, pas assez de la joie de vivre, des jouissances de l’existence quand on ne la considère plus comme un lieu d’expiations.

Il se peut que les lignes ci-dessous dérangent toutes les idées admises jusqu’ici par les anarchistes marxistes et proudhoniens, communistes et individualistes. Il se peut que je fasse erreur. Mais comme je ne me suis jamais dit infaillible, que je me contente modestement de présenter des thèses et de poser des problèmes, cela n’est pas bien important.

Après avoir examiné la question à fond, je me demande si les réformateurs et les révolutionnaires anarchistes et sociaux ne se sont pas trompés en présentant comme but de réformes ou de révolutions la solution du problème économique, refoulant ainsi et mettant au second plan la satisfaction de ceux des instincts individuels et collectifs qui sont les plus anarchiques.

Je pense quant à moi que s’ils s’étaient préoccupés en premier lieu d’exalter ce qui rend agréable et joyeuse à vivre la vie quotidienne — s’ils avaient cherché d’abord à glorifier l’allégresse, la joie, la volupté de vivre — s’ils avaient enseigné aux hommes que vertu ou morale est conséquence ou synonyme de plaisir ou jouissance et non plaisir ou jouissance synonyme de travail ou de peine, je pense que « la révolution » marcherait d’un pas plus rapide qu’elle ne le fait.

Je pense que si les éducateurs, les animateurs, les stimulateurs, les initiateurs d’avant-garde avaient incité les hommes à jouir d’abord de la vie, à ne lui attribuer de valeur que dans la mesure où elle procure la satisfaction des sens, nous serions très proches d’une révolution, d’une révolution qui exclurait toute possibilité d’une rétrogradation vers l’anarchisme.

Au contraire, réformateurs et conservateurs sociaux rivalisent pour décrire ou à peu près la vie comme une manifestation de production ou de consommation ; à les en croire, le problème de la vie économique devra être résolu avant qu’on s’occupe du problème de la distraction ou de la récréation (j’entends par « distraction et récréation » l’ensemble des jouissances qui excluent la peine). Comme le travail nécessaire à la vie économique, le travail à peine occupe ou fatigue considérablement l’unité humaine lorsqu’il est placé en premier lieu, il ne reste pour ainsi dire plus de temps pour qu’elle puisse se récréer ou se distraire tout son saoul, en toute franchise.

Supposons que disparaissent les préjugés engendrés par cette idée que la distraction et la récréation doivent céder le pas à la peine et au travail — supposons que les hommes fassent une révolution afin que le plus clair de leurs énergies créatrices ou inventives soient consacrées — en dehors de toute contrainte ou de toute loi ou de toute morale religieuse ou laïque à la satisfaction de leurs besoins ou de leurs appétits récréatifs — je pose en thèse que le but de cette révolution correspondrait tellement à l’aspiration générale, universelle que le travail nécessaire à la vie économique, devenant un aspect ou une conséquence des réalisations et des jouissances générales, — s’accomplirait sans qu’il y ait besoin de contrainte.

La question a été à peine effleurée jusqu’ici. Le travail est considéré comme quelque chose de « supérieur », de sacré, à accomplir coûte que coûte, d’abord. Je rêve d’une humanité où le travail aux fins économiques se placera à la suite de l’assouvissement des acti-

vités de distraction ou de récréation. Dans une humanité où prévaudra cette mentalité, on n’accumulera plus, comme dans la société actuelle, pour se procurer des plaisirs ou des jouissances accessibles seulement à des privilégiés, que la fortune place au-dessus de la morale courante.

Il y a beaucoup trop de restricteurs, de refouleurs, de limitateurs, de modérateurs parmi les réformateurs et les révolutionnaires. La société pour l’établissement de laquelle ils nous demandent de nous donner tom entiers, être et avoir, ressemble trop à la vallée de larmes christiano-capitaliste. Il est trop souvent question de devoirs, de peine, de labeur. Qu’on nous propose une fois pour toutes une l’évolution en vue d’instaurer un milieu social où, sans contrôle gouvernemental ou étatiste, sans obstruction ou surveillance archiste, la distraction et la récréation passeront eu première ligne. Voilà qui serait faire œuvre de « déchristianisation » véritable. — E. Armand.

DÉCHRISTIANISATION. Faire cesser d’être chrétien ; enlever la qualité de chrétien. On pourrait penser qu’en notre siècle de science et de progrès le Christianisme n’est plus un danger. Ce serait une erreur car l’Église est encore puissante et c’est un devoir que de s’attacher à en amoindrir les effets. La déchristianisation est donc une œuvre qu’il faut poursuivre.

Le christianisme repose sur une erreur ; il est possible qu’à une certaine période de l’histoire il ait eu son utilité, mais de nos jours il est périmé et ne répond à aucun besoin social, sinon à celui de la bourgeoisie qui l’utilise pour asservir le peuple et le maintenir en esclavage.

« Nous nions le christianisme, comme nous nions les théories générales scientifiques du passé, comme nous nions la politique du passé, comme nous nions le régime des républiques d’Aristote ou de la monarchie de Louis XIV… Persuadé que la religion de l’Avenir ne sera pas la synthèse chrétienne, nous croyons que le respect superstitieux qui s’attache encore à la religion du passé est un des plus grands obstacles aux progrès de tout genre que la Société doit faire » (Pierre Leroux).

En effet, le Christianisme, par son idéologie, par ses pratiques, perpétue ou cherche à perpétuer un état de chose qui n’est plus en rapport avec les aspirations du peuple ; d’autre part, il s’est sensiblement éloigné de la doctrine de Jésus et « celui » qui prêcha sur la montagne se refuserait à servir de base à la comédie qui se joue depuis des siècles autour de son nom. La déchristianisation est donc une œuvre d’utilité et de salubrité sociales.

Pourtant il faut être juste et « rendre à César ce qui appartient à César ». Le christianisme n’est pas seul à corrompre la neutralité collective. Toutes les religions ont une part égale de responsabilité dans le désordre moral et intellectuel des humains, Juifs, protestants, etc., etc., sont également les victimes des exploitants de la crédulité populaire, et déchristianiser les uns, sans libérer les autres du dogme qui pèse sur eux et les écrase serait un travail inachevé. Il faut combattre toutes les religions quelles qu’elles soient ; il faut ouvrir à la lumière tous les cerveaux plongés depuis si longtemps dans l’obscurité, sans omettre les religions modernes, les religions terrestres que sont le nationalisme et le parlementarisme.


DÉCISION. n. f. Action de décider, de prendre une résolution ; ce qui est décidé. Avoir de la décision, c’est-à-dire être prompt à prendre un jugement, à résoudre une question embarrassante. « Si l’on manque le moment « décisif », surtout en révolution, on court fortune de ne jamais le retrouver ». Il faut avoir le