Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
DED
503

de gros industriels et de gros financiers dont ils sont les jouets et les complices, pour défendre la bourgeoisie et le capital, et leurs fonctions consistent à prendre les mesures les plus propres à maintenir les privilèges des classes possédantes. En conséquence les classes opprimées n’ont rien à attendre des gouvernants et de leurs décrets. Il arrive également qu’un Gouvernement prenne sous son entière responsabilité la publication d’un décret sans en avoir obtenu l’autorisation préalable du Parlement. Nous avons vu, en France par exemple, que le Gouvernement n’hésita pas, en 1914, à décréter la mobilisation générale et que, devant le fait accompli le Parlement ne protesta même pas contre cet abus qui, cependant, jetait dans la mêlée et dans la mort des millions d’individus. Quelle confiance peut-on alors accorder à ces Assemblées législatives qui prétendent représenter la majorité du peuple, agir en son nom, veiller au respect des volontés populaires et qui laissent à quelques hommes la puissance de disposer à leur gré de la vie de toute une génération. De même que le peuple abandonne sa force entre les mains du député qui lui ment et qui le gruge, le député abandonne la sienne entre les mains des gouvernants. Il n’y a pas à chercher de vice de forme dans cette manière de procéder, c’est la forme elle-même qui est viciée ; le décret est une conséquence, une résultante du régime d’autorité et quelle que soit son étiquette monarchiste, ou républicaine, il faudra détruire le régime pour s’en libérer.


DÉDUCTION. n. f. (du latin deducere, extraire). Conséquence d’un raisonnement. Action qui consiste à inférer par le raisonnement ou par l’esprit une chose d’une autre ou de tirer une conclusion d’un fait général pour l’appliquer à un fait particulier. Exemple : Examinant les sociétés à travers les âges et considérant qu’elles se sont toutes écroulées sous le poids de l’autorité, nous pouvons conclure, c’est-à-dire : tirer cette « déduction » que l’autorité est néfaste à la vie des sociétés. La déduction très employée dans les sciences mathématiques n’est pas moins utile dans les autres sciences, en sociologie et en histoire. C’est de la déduction que l’on peut tirer les motifs et griefs qui nous permettent d’échafauder les critiques contre les régimes qui sont imposés aux collectivités ; c’est par la déduction que les historiens sont arrivés à plonger dans l’obscurité du passé, et d’effacer tous les mensonges des diverses religions, et c’est par la déduction que nous pouvons raisonnablement envisager l’avenir.


DÉFAILLANCE. n. f. Affaiblissement. Perte partielle des sens et du mouvement. Tomber en défaillance, c’est-à-dire tomber en syncope. La défaillance a pour cause un affaiblissement physique et est le signe précurseur de maladies graves à moins qu’elle ne soit due qu’à la vieillesse, à la fatigue ou à l’excès de travail. Dans ce cas, un repos assez complet remet de l’ordre dans l’organisme et les troubles disparaissent.

Le mot défaillance est employé assez fréquemment comme synonyme de découragement. Exemple : « Tout homme est sujet à la défaillance », pour « tout homme est sujet au découragement ».

Dans le mouvement social il est peu de militants dévoués et sincères qui ne soient pas passés par ces heures de trouble, de doute, de découragement, de défaillance, et cela se comprend. La route à parcourir est couverte de ronces, et la côte est rude à gravir. Lorsque l’on jette un regard en avant et que l’on constate tout le chemin qu’il y a encore à parcourir, on est pris parfois par la lassitude et l’on désespère de ne jamais arriver au but.

En ces heures de défaillance, il faut se détourner et contempler non pas le chemin à parcourir, mais celui

parcouru ; il faut se souvenir que, depuis des années et des années, des hommes comme nous ont eu le courage de lutter pour défricher le terrain que nous foulons ; il faut se rappeler que des savants sont restés penchés sur leurs cornues, analysant la matière pour arracher ses secrets à la nature et rendre notre vie un peu moins rude et un peu plus belle ; il ne faut pas oublier que des philosophes ont blanchi sur leurs livres pour dépouiller l’existence de ses mensonges et de ses erreurs et rendre possible l’évolution de l’humanité. En ces heures de défaillance, qui sont inhérentes a la lutte terrible que nous menons, il faut se dire que si le chemin est encore bien long, la plus grande partie en a été couverte par le passé et qu’il est.de notre devoir de continuer à avancer toujours sans nous arrêter jamais. La vie est éternelle dans le temps et dans l’espace, et si l’individu ne peut comprendre l’infini, la vie cependant ne se poursuit qu’en se donnant, et les générations futures bénéficieront de l’héritage que nous leur léguerons. La vie, c’est la lutte, c’est la bataille, pour le bien-être, pour la liberté, pour l’amélioration toujours accentuée du bonheur, pour la libération des hommes. La défaillance, c’est un peu de mort qui nous envahit. Il faut se dresser contre elle. Il faut, s’imprégner de la puissance et de la force de ceux qui, jusqu’à leur dernier souffle, ont tout donné dans le combat grandiose qui divise l’humanité, et comme eux, sans défaillance, travailler à préparer des jours meilleurs.


DÉFAITISME. n. m. Le « défaitisme » est né durant la grande guerre « du Droit et de la Civilisation » et il est tout un symbole. Qu’on en juge par la définition qu’en donne le Larousse : « Pendant la grande guerre, opinion et politique de ceux qui manquaient de confiance dans la victoire, ou qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ». En conséquence, nous pouvons déduire de cette définition que le mot défaitisme est purement national, car s’il est vrai que ceux qui doutaient de la victoire française avaient tort, puisque la France fut victorieuse, les défaitistes allemands avaient raison. Ce qui n’empêchait du reste pas les autorités germaniques d’emprisonner et d’exécuter ceux qui se permettaient de douter de la victoire allemande. En second lieu nous dit le Larousse « ou ceux qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ». La guerre est terminée depuis bien des années déjà et nous pouvons constater que ceux qui étaient, durant le carnage, accusés de « défaitisme » n’étaient pas dans l’erreur. La défaite eut été moins onéreuse que la continuation de la guerre.

Un simple regard impartial sur la situation de la France victorieuse et nous serons fixés.

Avant la guerre, et avant la victoire, la richesse sociale de la France, s’il faut en croire les économistes bourgeois, était d’environ trois cents milliards de francs et sa dette qui datait encore de la guerre de 1870-1871, de trente-cinq milliards de francs. Or, la France victorieuse a vu sa richesse sociale baisser du tiers, de ce fait que pendant quatre ans et demie toute la production s’est évaporée en fumée sur les champs de bataille, et sa dette a augmenté dans de telles proportions qu’elle atteint un chiffre supérieur à sept cents milliards de francs.

À cette perte sèche, il faut naturellement ajouter un million 500.000 morts, plus le grand nombre de blessés arrachés à la production ; il est vrai que « l’homme » ne compte pas pour le capital et qu’il n’est considéré que comme chair à canon.

Eh bien ! Ce sont ceux qui prévoyaient cette débâcle économique et financière qui étaient accusés de défaitisme. Or, le fait est là, dans sa tragique brutalité :