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faire subir, et elle arrive à triompher souvent des erreurs qu’on cherche à lui imposer. Et l’Humanité va de l’avant. Chaque génération hérite du savoir de celle qui l’a précédé ; elle se débarrasse des préjugés qui ont entravé la marche de la civilisation, elle se libère des tares, des vices, qui marquèrent les époques du passé ; elle s’éduque au grand livre de l’Histoire ; elle cherche à acquérir des connaissances multiples, et l’empreinte de la déformation s’estompe, et le cerveau retrouve son équilibre : une révolution se produit, ayant des résultats relatifs à l’évolution collective, et la lutte reprend et l’humanité poursuit sa route, toujours sans s’arrêter.

« Nulle main ne nous dirige, nul œil ne voit pour nous ; le gouvernail est brisé depuis longtemps ou plutôt il n’y en a jamais eu, il est à faire : c’est une grande tâche, et c’est notre tâche. » (Guyau. Esquisse d’une morale sans obligations ni sanctions, p.252.) Le gouvernail pour nous, anarchistes, c’est la liberté. Il ne peut y avoir de bonheur que dans la liberté, a dit Reclus. Mais il ne peut y avoir de liberté sans conscience et c’est le devoir des anarchistes de s’élever toujours plus haut, d’effacer en eux toutes les traces des déformations sociales, et de donner à ceux qui les entourent l’exemple de la liberté, de la tolérance et de la fraternité.


DÉGÉNÉRESCENCE. n. f. Rétrograder, perdre de sa valeur, de sa force physique ou morale, se modifier en mal… S’applique aux individus et aux sociétés. Une race en dégénérescence, c’est-à-dire une race qui est prête à disparaître. Il y a en effet des corps organisés qui disparaissent sous l’influence du climat, de la nourriture, des maladies héréditaires, etc… La race indienne est en pleine dégénérescence ; il ne reste plus de nos jours que quelques tribus de race rouge au Nord des États-Unis d’Amérique, mais avant peu elles auront disparu. Si les optimistes ont tort de se déclarer satisfaits en affirmant que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, les pessimistes n’ont peut-être pas raison de voir tout en noir, et d’affirmer que nous sommes en pleine période de dégénérescence. En vérité, une portion de l’humanité, peut « dégénérer » et même disparaître, l’humanité toute entière ne le peut pas. Une nation à la suite d’un cataclysme, d’une catastrophe, tombe en dégénérescence, mais l’ensemble des habitants de la terre continue sa vie, sélectionnant les éléments favorables à son existence et rejetant ce qui semble nuire à son évolution. Les Sociétés comme les individus, naissent, vivent et meurent ; tout corps organisé arrive à se désagréger, à se désorganiser, à dégénérer, si on le considère dans le temps et dans l’espace ; mais la vie, elle, est éternelle dans le temps et dans l’espace, et « même en se donnant, la vie se retrouve, même en mourant elle a conscience de sa plénitude, qui reparaîtra ailleurs, indestructible, sous d’autres formes, puisque dans le monde rien ne se perd » (Guyau).

Il serait donc erroné de penser que le monde est en complète dégénérescence. S’il est vrai que les sociétés occidentales, que la vieille Europe, se débattent dans un chaos indescriptible, déterminé par les erreurs accumulées du passé, il est vrai également que tous les progrès réalisés durant ces derniers siècles nous permettent d’espérer pour le futur une période de régénération. Que les principes qui dirigent les formes de sociétés modernes soient périmées, que ces sociétés se meurent de vieillesse, et qu’elles disparaîtront demain ; cela ne fait aucun doute ; c’est la loi intangible de l’évolution historique, scientifique et sociale. Mais des forces neuves se signalent, à l’horizon troublé, les nuages se dissipent fatalement devant la puissance créatrice de la jeunesse qui bâtira un monde nouveau sur les ruines fumantes des anciennes organisations. Le monde ancien dégénère et le monde nouveau apparaît. Nous traverserons encore bien des phases progressives avant, d’ar-

river au but que poursuit l’humanité — si toutefois l’humanité a un but — ne nous laissons pas accaparer par un pessimisme aveugle, ni par un optimisme absolu ; nous portons en nous le germe des sociétés futures ; avançons toujours sans espérer l’intervention de forces surnaturelles pour régénérer le monde, et agissons pour que la dégénérescence d’une portion ou d’une fraction de l’humanité, profite à l’autre fraction qui a le devoir de réaliser demain la fraternité entre les humains.


DÉGRÈVEMENT. n. m. Action de dégrever ; de décharger du poids de l’impôt un individu ou une portion de la population. La guerre de 1914-1918 a lourdement grevé le peuple qui fut obligé d’en faire tous les frais, et il ne semble pas qu’il puisse espérer un dégrèvement de ses charges dans le proche futur, s’il s’en tient aux méthodes d’action employées présentement. Il est de toute évidence que les classes productrices supportent la totalité des charges fiscales de la nation et que les classes privilégiées, par le jeu du commerce, se déchargent de leurs impôts directs en augmentant progressivement le prix de vente des produits de première nécessité et de consommation courante ; en conséquence les dégrèvements d’impôts que les gouvernements accordent aux classes pauvres ne sont qu’apparents, en réalité, ils n’existent pas.

Certains éléments politiques d’extrême-gauche et en particulier les socialistes espèrent obtenir par le jeu du parlementarisme un dégrèvement des charges qui pèsent sur les épaules des travailleurs. C’est une illusion dangereuse dont se laisse malheureusement bercer le prolétariat. Il y aurait, certes, un moyen de dégrever le peuple ; mais ce moyen n’appartient pas à la politique. Il faudrait pour cela supprimer toutes les dépenses inutiles qui sont nombreuses, et qui comme nous le disons plus haut viennent toujours, en fin de compte, arracher au budget familial du petit la somme indispensable à sa vie normale.

D’après les documents officiels présentés par le sénateur Bérenger au cours des pourparlers qui eurent comme conclusion les accords de Washington du 29 avril 1926, nous pensons qu’il est possible de dégrever le peuple de bien des charges, mais les mesures à employer ne sont pas d’ordre gouvernemental ou parlementaire, mais d’ordre révolutionnaire. Il est facile de se rendre compte de la situation qui est faite aux classes laborieuses en étudiant simplement les charges inutiles qui pèsent sur la population. Prenons en exemple le budget français de 1925 et soulignons les dépenses militaires du gouvernement.

MINISTÈRE DE LA GUERRE
___Dépenses ordinaires : (en francs)
Troupes métropolitaines. 2.352.000.000 »
Troupes coloniales. 264.000.000 »
Construction nouvelles et matériel. 183.000.000 »
Maroc. 340.000.000 »
Alsace-Lorraine. 1.000.000 »
___Dépenses extraordinaires :
Dépenses provisoires de la Grande Guerre 105.000.000 »
Troupes du bassin de la Sarre 21.000.000 »
Troupes d’Asie Mineure 173.000.000 »
Alsace-Lorraine 1.000.000 »
Dépenses provisoires pour les dépenses de guerre 27.000.000 »
MINISTÈRE DE LA MARINE
Dépenses ordinaires 1.264.000.000 »
Dépenses extraordinaires 6.000.000 »
__________A reporter 4.737.000.000 »