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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/553

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ciens, etc…, et de leur rapporter ces volumes trois semaines de suite, malgré les faibles protestations du pauvre bougre sans défense.

Se rend-on bien compte de ce qu’est la vie misérable du détenu, enfermé dans sa cage, sans pouvoir jamais prononcer une parole, ne pouvant recevoir de visites qu’une fois par semaine et encore n’apercevant ses familiers qu’à travers un grillage, et éloigné de ses proches par un couloir d’un mètre de large ? Nous n’avons pas besoin de dramatiser. Qu’il nous suffise de dire que, pour faire diversion à cette vie monotone et mourante, les détenus se mutilent afin de voir s’opérer un changement d’une minute, d’une seconde, dans leur existence. Nous savons des détenus qui n’hésitèrent pas à se faire porter malades et à subir certaines opérations douloureuses, alors que parfaitement sains, simplement pour sortir de cette maudite cellule, où jamais ne pénètre un éclair de joie, une lueur de gaîté.

Si le détenu des prisons centrales, ne souffre pas de l’isolement, car il travaille, mange, et dort en commun, son sort n’est pas plus enviable que celui du détenu cellulaire. C’est la promiscuité de tous les instants avec ce qu’elle a de bas, de bestial et de dégoûtant ; c’est la corruption la plus répugnante, à laquelle il faut opposer une volonté puissante si l’on ne veut pas s’écrouler dans l’abjection, qui se manifeste dans la prison centrale. Dans la cellule on devient fou, de la centrale on sort à jamais taré. Est-ce cela que désirent nos moralistes ? Est-ce de cette façon que l’on espère régénérer l’humanité ? Et encore nous ne disons rien de la brutalité des monstres qui consentent à garder les prisonniers. On a tant dit déjà sur les prisons qu’il n’est pas utile de nous étendre.

Du reste le fait est là. Le criminel ne sort pas guéri de la prison, et la détention n’a jamais empêché le crime. Alors, nous dira-t-on, que faut-il faire ? Lâcher les prisonniers, les laisser se livrer à leurs méfaits, ne rien faire pour empêcher des individus de nuire à leurs semblables ? Posée de cette façon, la question nous semble ridicule. Ce qu’il faut faire : c’est changer.a forme de la société ; c’est ne pas permettre le crime, en détruisant les causes du crime. Nous savons que tant qu’il y aura des lois, il y aura des juges, et tant qu’il y aura des juges : une justice distributive, des prisons et des détenus. La loi est un mal engendré par le principe d’autorité sur lequel reposent les sociétés modernes. Elle est une conséquence du capitalisme et il faut lutter contre elle, comme contre tout ce qui fut institué par la puissance de l’argent. Là est le remède, c’est le seul.

Et c’est parce que c’est l’unique remède, et que des hommes clairvoyants cherchent à l’appliquer, qu’ils sont victimes de la loi et détenus dans les prisons du monde entier.

Dans le monde entier les révolutionnaires peuplent les prisons, mais rien cependant ne les arrêtera dans leur désir de vaincre ; car, à leurs yeux, la société moderne n’est qu’une vaste prison derrière les grilles de laquelle sont détenus tous les asservis et tous les opprimés, et c’est en les libérant que les révolutionnaires se libèreront eux-mêmes.


DÉTERMINER. verbe (du latin déterminare, même signification). Fixer, décider, prendre ou faire prendre une détermination. « C’est après nous avoir consultés et avoir reçu notre avis favorable qu’il s’est déterminé à faire ce voyage ». Déterminer quelque chose, les limites, l’étendue, etc., etc… « Nous avons aux événements, puise dans sa volonté propre une certaine détermination. Dans tous les actes et gestes de la vie qui ne sont pas purement instinctifs, il faut regarder, comparer, chercher à comprendre et se déterminer, après réflexion, à suivre un chemin ou un autre déterminé que la distance de la Terre à la Lune était de 96.000 lieues ou 384.000 kilomètres. Occasionner, produire, pousser à : « c’est l’égoïsme des potentats, l’insatiabilité des plou-

tocrates et la lâcheté du peuple, qui déterminèrent les hommes à s’entre-tuer pendant plus de quatre ans dans la plus furieuse des guerres. C’est également l’appétit toujours grandissant des oppresseurs qui détermine la révolte des opprimés ».

Se déterminer, prendre un parti, s’arrêter à une résolution. Il faut toujours bien réfléchir avant de se déterminer à une action quelconque, mais ne pas attendre indéfiniment la détermination d’autrui, L’homme faible se laisse fréquemment déterminer, c’est-à-dire conduire, mener, guider ; alors que l’homme fort, tout en n’échappant pas à l’ambiance et aux événements, puise dans sa volonté propre une certaine détermination. Dans tous les actes et gestes de la vie qui ne sont pas purement instinctifs, il faut regarder, comparer, chercher à comprendre et se déterminer, après réflexion, à suivre un chemin ou un autre.

C’est parce que trop d’hommes manquent d’énergie et sont incapables de prendre une détermination que la société semble être un asile d’aliénés, où les individus se meurtrissent mutuellement, sans jamais arriver à s’entendre et à s’aimer.


DÉTERMINISME. n. m. Pris dans le sens le plus général du mot, déterminisme signifie le conditionnement d’une chose par une autre. Tout fait, tout phénomène, tout événement n’est, au fond, qu’un anneau dans une chaîne de faits dont chacun est prédéterminé par les faits précédents (les causes ou les motifs) et engendre fatalement les faits ultérieurs (les conséquences). Il n’y a pas de fait sans raison déterminante. Tout ce qui est dans le monde a sa raison déterminée. Tout se produit infailliblement quand certaines conditions sont données et ne se produit pas dans le cas contraire. Il existe donc une liaison étroite, inviolable, entre tous les phénomènes de la nature, de la vie, de tout ce qui est dans le monde. Telle est la formule générale de l’idée du déterminisme.

Exprimée de cette façon très générale, cette idée ne contient encore que dans le germe la fameuse controverse, le grand problème philosophique, psychologique, éthique et social, qui est connu plutôt comme celui du libre arbitre et dont la solution définitive se fait toujours attendre.

Formulée généralement, l’idée du déterminisme ne spécifie pas encore la nature de la raison déterminante. Cependant, cette dernière peut varier : par exemple, elle peut être externe et transitive ou interne et immanente ; elle peut être soit logique ou rationnelle, soit efficiente ou causale, etc. Or, il suffit de réfléchir d’une façon plus approfondie sur la nature de cette raison et surtout de tâcher d’en déduire certaines conclusions pratiques, pour se rendre compte de la grande complexité du problème.

Traitant le sujet plus à fond au libre arbitre (voir ce mot), je me bornerai ici à exposer dans ses grandes lignes le sort historique de la doctrine du déterminisme.

Ce furent les anciens, les Grecs notamment, qui, les premiers, posèrent le problème. Ils le firent sous le jour éthique et psychologique. Socrate, Platon, Aristote, les stoïciens, et nombre de philosophes grecs et romains (Cicéron) postérieurs, s’occupèrent à formuler certaines objections à l’idée — à cette époque assez vague encore – du déterminisme universel. Leur but fut toujours d’établir une certaine liberté psychologique et éthique de l’homme : liberté intérieure de son raisonnement, de son jugement, de sa volonté, de son action. L’argumentation de ces divers philosophes et de différentes écoles philosophiques de l’antiquité variait beaucoup, mais tous ils s’efforçaient de limiter, d’une façon ou d’une autre, le principe du déterminisme, par rapport à l’homme. Ils penchaient vers la