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« devoir » interdit à l’individu « intelligent » de se nourrir, de se vêtir et de se loger, sans en avoir auparavant obtenu l’autorisation de ceux qui se sont déclarés les maîtres du monde.

Ce sont tous les « devoirs » accumulés depuis des siècles d’asservissement et d’esclavage qui entravent l’évolution de l’humanité ; ce sont eux qui maintiennent les peuples dans un état d’infériorité économique et morale ; ce sont eux qui perpétuent un état de choses néfaste, à tous les points de vue, au bien-être des collectivités.

« Remplir ses devoirs » ; « manquer à ses devoirs » sont des formules que l’on prononce à tout bout de champ et en toute occasion, mais jamais ces devoirs ne sont compensés par des droits. Or, où il n’y a pas de « droits » il ne peut y avoir de « devoirs ». Nous l’avons dit plus haut, l’homme, quelle que soit la condition dans laquelle il se trouve, a un droit inné : le droit à la vie, il n’a donc qu’un « devoir » c’est celui de faire cette vie pleine de jouissance, de beauté et d’harmonie.

Il n’est pas de devoir social proprement dit. Le devoir social, collectif, disparaît devant la liberté individuelle, et la liberté n’est pas ainsi que l’affirment les adversaires de l’évolutionnisme un facteur de désordre. L’autorité, la contrainte, le « devoir », là sont les sources de tous les maux et il suffit de regarder un peu le chaos dans lequel nous nous débattons pour être fixés sur les bienfaits de la morale moderne.

Vivre et se respecter soi-même, c’est respecter autrui. Aimer la liberté pour soi, c’est l’aimer pour les autres. Refuser d’obéir et refuser de commander, c’est tout le secret du bonheur ; c’est l’unique route qui peut conduire l’homme à un peu plus de bien-être ; c’est l’unique moyen qui peut mettre fin à la tyrannie et au despotisme.

Que les opprimés se lèvent, qu’ils brisent les tables de la loi, qu’ils effacent tous les devoirs qui, depuis toujours, les maintiennent dans une sinistre infériorité et ils auront conquis ce « droit à la vie » pour lequel ils luttent depuis si longtemps.


DÉVOTION. n. f. (du latin devotio). Dévouement à Dieu ; attachement aux pratiques religieuses.

La dévotion a pour objet l’observation des lois prescrites par les théologiens des diverses religions, qui au cours des âges, exposèrent, expliquèrent et vulgarisèrent les dogmes définis par une autorité soi-disant infaillible.

Si la dévotion n’était que ridicule et inutile, il n’y aurait qu’à laisser les fanatiques se livrer à leurs pratiques et à leurs simagrées sans plus s’inquiéter d’eux : mais elle est un danger social et est nuisible à l’individu, comme du reste tout ce qui se rattache à l’idée de Dieu. Elle est non seulement néfaste à l’individu en soi, mais elle déteint sur tout ce qui l’entoure, et exerce une détestable influence sur toute la collectivité, qui souffre en conséquence des agissements déraisonnables des croyants.

Il est possible qu’en des temps reculés, certains actes de dévotion aient été édictés par des conducteurs d’hommes ou des savants de l’époque, en raison de la brutalité, de l’ignorance et de la bestialité des peuples ou des tribus, et on s’explique aisément aujourd’hui, pourquoi la loi judaïque par exemple exigeait des fidèles qu’ils se lavassent les mains deux fois par jour, c’est-à-dire avant de faire les prières précédant les repas, ou que, une fois l’an, à la veille de Pâques, ils nettoyassent leurs maisons du fond aux combles afin qu’il ne puisse y rester une miette de pain égarée.

La loi judaïque prescrivait de même que la femme devait au moins une fois par mois, après ses menstrues se rendre au bain, et que tous les fidèles âgés d’au moins treize ans devaient, une fois par an, jeûner durant 24 heures, et il nous apparaît que ces dévotions avaient

un caractère d’hygiène et étaient inspirées dans un but pratique. Mais il semble que, de nos jours, et plus particulièrement dans nos pays occidentaux, il ne soit pas nécessaire d’obliger par une loi, les individus à se laver et à nettoyer leur maison, ou de leur apprendre qu’ils doivent de temps à autre reposer, par une certaine abstinence, les organes intérieurs de leurs corps, de même qu’ils délassent leurs bras ou leurs jambes fatigués par un travail trop rude.

Il est donc évident que si, à l’origine, les dévotions ont présenté certaine utilité, depuis longtemps elles ont été dénaturées par la religion et ne présentent plus aujourd’hui aucun sens pratique. Le dévot n’a à présent d’autre but que celui de plaire à Dieu, et d’attirer sur lui les bienfaits du Très-Haut.

Nous disons plus haut que la dévotion est néfaste à la collectivité, et il n’est pas besoin de remonter très loin dans l’histoire pour y retrouver les crimes commis par les dévots. Les autodafés, c’est-à-dire l’exécution des jugements prononcés contre les savants et les philosophes, considérés comme hérétiques par l’Inquisition, étaient considérés comme des actes de dévotion. Le massacre de la Saint-Barthélemy qui eut lieu à Paris et dans toute la France dans la nuit du 24 au 25 août 1572, d’après les ordres du roi Charles IX, fut un acte de dévotion. Plus de 200.000 personnes périrent, au nom de la religion et de Dieu, en cette nuit tragique, et le Pape Grégoire XIII eut le cynisme, en apprenant le massacre, de faire tirer le canon du château Saint-Ange en signe de réjouissance, et d’envoyer au roi meurtrier un message de reconnaissance, le félicitant pour l’acte de dévotion qu’il venait d’accomplir.

Et plus près de nous, il y a quelques années à peine, lorsque la Russie était courbée sous le joug du tsarisme, et chaque fois que, pour des raisons politiques, il fallait occuper l’esprit populaire, l’église ne se prêtait-elle pas bénévolement à l’organisation des pogroms et, sous l’obscure conduite de la prêtraille, de malheureux inconscients ne croyaient-ils pas accomplir un acte de piété et s’attirer la reconnaissance du Ciel, en persécutant de pauvres juifs qu’on leur jetait en pâture ?

Et en France, pays de l’irréligion, nous assistons encore, de temps à autre, au triste spectacle de malades, se livrant sur leurs semblables à des actes de cruauté, croyant ceux-ci possédés par le diable ? N’est-ce pas en 1926 qu’une poignée de déments s’emparèrent d’un prêtre et exercèrent sur lui des violences, pour faire sortir de son corps le démon dont il était possédé ?

Les dévotions, sont donc manifestement pratiquées par des êtres corrompus intellectuellement, et maintiennent l’individu dans un perpétuel état d’asservissement. C’est du reste bien le rôle dévolu à la dévotion par la religion.

Dans Orpheüs, le beau livre de Salomon Reinach, sur l’histoire des religions, on fera une ample moisson des erreurs accumulées par des siècles de dévotion, et on est étonné à la lecture de cet ouvrage, si simple, si clair et si profond, à la portée de toutes les intelligences et qui devrait se trouver dans toutes les familles, qu’il y ait encore des gens assez dépourvus de bon sens, pour se livrer aux hommes d’églises, à quelque religion qu’ils appartiennent.

Ce qui est particulièrement regrettable, c’est que l’homme du peuple, le paria, l’opprimé, ne soit pas, non plus, débarrassé du préjugé religieux, et qu’il se livre également à des actes de dévotion. Il est peu d’individus, même dans la classe ouvrière, qui se « marient » sans passer devant Monsieur le Curé ; ils sont peu nombreux ceux qui ne font pas baptiser leurs enfants, ou qui n’envoient pas ceux-ci au catéchisme afin de faire leur première communion. « C’est sans importance » dit-on ; et c’est une profonde erreur.