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temps, chez les Trappistes. Mais, tout en faisant l’éloge de ces derniers, et déclarant envier la sainteté de leur existence, il ne tarda pas à retourner à ses habitudes. Son héros Durtal — que l’on devine n’être que lui-même — avoue honnêtement que l’agitation de Paris ne lui paraît point, en fin de compte, sans saveur, et qu’il est trop attaché à l’indépendance de sa plume et à la fumée des cigarettes, pour se contraindre définitivement à la vie monastique. Il passe sous silence l’attrait des jolies filles, mais on croit comprendre que cette omission n’est pas le fait du dédain.

Lors de la période héroïque de l’anarchisme, de 1890 à 1894, la série des attentats perpétrés par des hommes d’une audace extraordinaire, agissant seuls, et revendiquant hautement devant les juges leurs responsabilités, eut le don d’enthousiasmer nombre de poètes, plus épris de la noble attitude des terroristes que de leurs objectifs de transformation sociale, et qui exaltèrent l’insurrection, moins par amour de la classe ouvrière que par haine des laideurs bourgeoises.

Leur état d’esprit se retrouve et se résume en cette phrase de Laurent Tailhade — qui, pourtant, paya parfois de sa personne — « Qu’importe la mort des vagues humanités, si le geste est beau ! ».

Mais la Révolution grandiose sur laquelle on comptait ne se produisit point. Et quand les esthètes se trouvèrent en présence de l’œuvre patiente des Bourses du Travail, et des magasins d’épicerie de la Coopération, parmi la triste foule des exploités, ils s’en allèrent un à un, ils reprirent goût aux forêts ombreuses et aux belles étoffes.

Il en est de même pour beaucoup d’admirateurs du métier des armes, qui se sentent très sincèrement l’âme valeureuse, et seraient prêts à donner leur vie, lorsqu’ils contemplent des régiments à la parade, marchant musique en tête et tous étendards déployés, mais ne tiendraient pas quinze jours dans une caserne, sans être découragés par l’ennui morne que l’on y respire, par les relents de pieds douteux, de rogatons et de vieux cuir que l’on y flaire en permanence.

Le dilettante n’est pas à confondre avec le snob. Ce dernier n’a d’autre aspiration que de suivre la mode et de paraître ainsi à la page, même lorsqu’en secret il l’apprécie peu. Le dilettante, au contraire, ne dédaigne point le paradoxe, et ce à quoi il s’attache il l’aime vraiment, quoique d’une façon un peu trop légère et superficielle.

On dit souvent que des gens ont les défauts de leurs qualités. La réciproque est vraie. On peut dire que le dilettantisme a les qualités de ses défauts. S’il ne compte à son actif ni la puissance de travail, ni la vocation du sacrifice, ni même l’énergie qui permet un effort régulier, il a pour lui fréquemment trois mérites non négligeables : la franchise poussée jusqu’au cynisme ; la modestie portée jusqu’au dénigrement de soi ; et le désintéressement tout court. Un nombre impressionnant d’hommes d’action ne seraient même pas, en effet, des dilettantes du but qu’ils poursuivent, s’ils n’étaient poussés dans la voie qu’ils ont adoptée par ces deux grands facteurs d’énergie : l’orgueil et l’intérêt.

Ce n’est ni dans l’hypocrisie, ni dans la vénalité, qu’il faut chercher l’origine du dilettantisme, mais bien plutôt dans l’indolence contemplative, résultat fréquent de l’aisance assurée, et dans cette indécision, ce scepticisme briseur de vaillance qui, avec un tempérament d’artiste, prompt à l’emballement, mais rebelle aux tâches prolongées et rebutantes, est souvent l’apanage des intellectuels.

Pour faire œuvre sociale, au mépris de sa vie et de sa liberté, il faut une foi ardente. Il n’est pas très surprenant que puissent se trouver, jusque dans les

milieux révolutionnaires, de simples sympathisants qui, tout en approuvant la révolte des miséreux et la philosophie dont elle se réclame, conservent néanmoins trop de doutes sur les résultats immédiats que l’on en peut attendre pour être capables d’autre chose que d’une contribution d’amitié à la tâche commune.

Les dilettantes non douteux n’aiment guère que l’on use de ce terme à leur adresse, parce qu’il comporte toujours quelque dédain. Ceux qui se font gloire d’être des dilettantes ne le sont le plus souvent qu’en apparence. La philanthropie bourgeoise et le cabotinage politique ont si fréquemment pincé de la guitare humanitaire pour des entreprises qui n’avaient rien le généreux ; tant de pédants insupportables se sont ridiculisés avec d’excessives prétentions, que des méticuleux, impatientés, en arrivent à éprouver quelque pudeur à emprunter leur langage.

Zo d’Axa, qui fut l’animateur du premier journal « L’Endehors », en 1892, et l’un des plus verveux pamphlétaires de l’époque héroïque, se définissait lui-même : « Celui que rien n’enrôle et qu’une impulsive nature guide seule… » Il déclarait mépriser toute étiquette, même celle d’anarchiste, et se préoccuper assez peu du plan qu’adopterait la société future. Il prétendait ne batailler que pour la joie d’exprimer librement ses aspirations et ses rancœurs. Au cours d’un article, il évoqua ce que pourraient être ses derniers instants si, condamné à mort, il était conduit à l’aube devant la guillotine. Et il concluait, en annonçant qu’il s’abstiendrait de crier : Vive… quoi que ce fût. Il se contenterait de savourer la dernière bouffée de sa cigarette !

Mais Zo d’Axa subit avec bonne humeur et courage l’emprisonnement et les persécutions. Et lorsque, ayant écrit tout ce qu’il avait à faire connaître, il se retira, prématurément peut-être, de la lutte sociale, c’est qu’il préférait briser sa plume plutôt que de la faire servir à une médiocre prose, ou de la vendre pour trente deniers. — Jean Marestan.


DÎME. n. f. (du latin decima, dixième partie d’une chose). La dîme était, avant 89, la partie des récoltes que les paysans étaient obligés de céder à l’église ou aux seigneurs, et cette redevance s’élevait approximativement à la dixième partie de la terre imposée. Elle fut abolie par la grande révolution française, ou tout au moins elle changea de nom et de forme, car, si, de nos jours, l’impôt se perçoit sous une apparence moins brutale, ce dernier est une dîme qui est prélevée directement ou indirectement par le capital sur le producteur.

La dîme se divisait en plusieurs catégories ; il y avait d’abord la dîme ecclésiastique, qui fut, à son origine, volontaire, mais fut rendue obligatoire par l’empereur Charlemagne, en 794, pour n’être supprimée qu’en 1789. La dîme seigneuriale était celle prélevée au profit de la noblesse, et la dîme royale, allait remplir les coffres du monarque. Ces diverses sortes de dîmes se subdivisaient à leur tour en dîmes réelles, personnelles et mixtes.

Les dîmes réelles, les plus importantes, étaient celles perçues sur les produits comme le blé, le vin, le bois, les légumes, etc…, les dîmes personnelles étaient prélevées sur le travail, l’industrie, le négoce, la chasse, la pêche, et les dîmes mixtes étaient celles qui provenaient en partie de l’industrie et en partie de la terre.

En un mot, la dîme était la contribution obligatoire du peuple à qui l’on imposait toutes les charges de l’État, et l’entretien de toute l’armée de parasites composée par les gens d’église ou de « noblesse ».

On conçoit que la perception de la dîme ne s’effectuait pas sans soulever la protestation du peuple, dont les champs étaient fréquemment ravagés par les