Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
FAI
761

tif, progressif ou, au contraire, négatif et régressif ? La faim attache-t-elle l’homme aux autres animaux, dans ce sens qu’elle l’empêche de s’en détacher définitivement et de réaliser entièrement son évolution véritablement humaine : spirituelle, intellectuelle, créatrice ? Ou, au contraire, est-ce précisément la faim qui, au fond, engendre et pousse le progrès humain ? Ainsi se pose le problème. Il est clair que sa solution s’entrelace avec celle de beaucoup d’autres problèmes importants (de celui, par exemple, si la science devra modifier, peut-être même supprimer, la nécessité en question ; de celui encore, si le véritable épanouissement de l’humanité est possible tant qu’existe cette nécessité ; de celui des autres forces motrices du progrès, en dehors de la faim, etc., etc…). Il est clair aussi que la solution du problème est intimement liée à la conception de l’Évolution et du Progrès. (Voir ces mots.)

L’opinion courante est que l’évolution de l’homme et la civilisation de la société humaine sont, au fond, les résultats de la nécessité pressante de satisfaire les premiers besoins matériels et des moyens dont l’homme disposait pour y faire face. La faim tenant une place honorable parmi ces besoins, elle serait donc l’un des facteurs principaux du progrès.

D’après cette conception, ce fut la faim, la nécessité de la satisfaire, qui, la première, poussa les humains à s’unir, à se grouper, à former des sociétés, à s’organiser. Car, tout seul, avec ses faibles moyens physiques, l’individu isolé ne pouvait guère se rendre maître de ces nécessités.

Ce fut la faim, aussi, qui, de pair avec d’autres besoins primordiaux, amena les premières découvertes et inventions, fit poser les premières pierres du progrès technique et scientifique.

C’est la faim, et les autres besoins matériels, qu’on trouve à la base de tout le progrès humain.

Personnellement, je ne suis pas de cet avis. Je conçois tout autrement l’évolution humaine. Je pense que les forces motrices du progrès de l’homme gisent ailleurs que dans les besoins matériels. Je pense que la faim et les autres nécessités matérielles héritées par l’homme des animaux, tout en lui prêtant l’occasion, à l’aube de son évolution, d’appliquer et de développer ses capacités (qui, théoriquement parlant, auraient pu s’éveiller, s’appliquer et se développer dans d’autres conditions également), devinrent rapidement, au contraire, des entraves à son progrès et restent telles jusqu’à présent. Je pense que le, véritable progrès humain ne commencera que lorsque la science deviendra maîtresse complète de ces besoins et les réduira, pour ainsi dire, à néant.

L’analyse à fond de cette question dépasserait les cadres du présent sujet. Je me bornerai donc à quelques considérations rapides seulement.

1° Il n’y a pas que l’homme qui fut poussé, par les besoins matériels, à s’unir, à se grouper, à former des sociétés, à s’organiser. D’autres animaux le furent aussi. Cependant, ces animaux restent, au cours des millions d’années, sur le même niveau d’existence. Seul l’homme connaît le progrès historique. Conclusion : les besoins matériels seuls ne suffisent pas pour expliquer ce progrès. Il doit y avoir quelque chose de plus profond, des facteurs spéciaux, n’existant pas chez les autres animaux.

2° L’existence des autres animaux se borne à la tâche de satisfaire leurs besoins matériels, la faim surtout, tels qu’ils sont, sans chercher à les modifier en quoi que ce soit. Or, le progrès humain consiste, précisément, à s’en débarrasser, c’est-à-dire à pouvoir les satisfaire avec le moins de temps et d’efforts possible : preuve indirecte de ce que ce progrès n’est pas poussé

par eux, et qu’ils n’expliquent nullement la civilisation humaine.

3° L’histoire de l’humanité fournit aussi pas mal de preuves directes de ce que l’activité et l’évolution humaines ont d’autres mobiles plus puissants et profonds que la satisfaction des besoins matériels, et que l’effet de ces mobiles se trouve, précisément, entravé par la nécessité de vaquer aux besoins d’ordre matériel.

4° Tout en pouvant être considérée comme une impulsion progressive au début de l’évolution humaine, la faim a joué, incontestablement, un rôle régressif aux époques ultérieures. À l’ère actuelle, c’est elle qui, au fond, accule les masses à l’esclavage et permet de les maintenir sous le joug épouvantable du système d’exploitation capitaliste. Elle est aujourd’hui l’ennemie de l’émancipation, du progrès, de l’évolution.

Donc, le rôle social de la faim varie au cours de l’histoire. Et l’on peut même prévoir l’heure où il deviendra nul. (C’est alors que commencera, à mon avis, la véritable évolution humaine.) Ceci prouve que, dans l’ensemble du processus d’évolution, ce rôle est secondaire, passager, et, pour ainsi dire, accidentel. Les facteurs primordiaux fondamentaux de cette évolution sont d’un tout autre domaine. ̶ Voline.

FAIM. « La faim est la honte des hontes pour une société. » (E. Bergerat.)

La faim est un besoin de nourriture qui se manifeste généralement par l’envie que l’on éprouve de manger ; c’est la misère et la privation de nourriture qu’elle impose, la souffrance qui en résulte.

« Il n’y a pas de nécessité plus impérieuse que la faim. » (Homère.)

Lorsque, par des titillations dans la région de l’estomac, l’être éprouve le besoin de manger, c’est-à-dire lorsqu’il a faim, il ressent un certain charme que crée ce désir ; mais celui-ci peut devenir bientôt douloureux, être plus ou moins aigu et occasionner, alors, un affaiblissement général, lorsque ce besoin n’est pas satisfait à temps ; dès que l’individu a ingéré quelques aliments, tout cesse et redevient normal.

Ce sont les tissus du corps devenus pauvres en matières nutritives qui provoquent le système nerveux, qui, en éprouvant le contre-coup, traduit généralement ce phénomène par une sensation que l’on a appelée la faim.

La faim peut varier d’intensité suivant l’âge, le sexe, le tempérament, le climat, etc., etc…

L’on doit se garder de confondre le mot faim avec celui d’appétit, qui semblent l’un et l’autre désigner à première vue une même sensation qui nous porte à manger.

La faim semble indiquer un besoin que l’on éprouve, par suite, d’une longue abstinence ou de toute autre cause, tandis que l’appétit semble être plus en rapport avec le goût, le plaisir que l’on va éprouver en songeant aux aliments qu’on se propose de prendre.

Ces deux sensations qui paraissent se trouver réunies dans la plupart des cas peuvent exister l’une sans l’autre.

La faim est plus vorace ; l’appétit, plus patient et plus délicat.

La faim indique donc un besoin physiologique plus ou moins urgent, tandis que l’appétit reste Une impression périphérique sensuelle que provoque ordinairement la vue, l’odorat ou parfois même le souvenir des mets savoureux.

Certains physiologistes attribuent la faim au froncement de l’estomac, à la pression ou au frottement de sa tunique interne, à la lassitude de ses fibres musculaires contractées durant de trop longues heures, à la compression de ses nerfs, au tiraillement du dia-