Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
FED
802

longtemps que le second demandera quelque chose au premier, qu’il ne pourra se suffire complètement à lui-même.

Puisqu’il est obligé de s’associer, qu’il en reconnaît la nécessité, il est obligé de respecter le contrat auquel il a souscrit. Ceci implique forcément que l’individu accepte les décisions de l’ensemble, que la minorité accepte celles de la majorité, dans les limites du contrat, suivant le Statut.

On peut, évidemment, dire que la minorité a toujours raison, que l’individu est plus éclairé que la majorité. Ceci n’est pas toujours exact. De même que les majorités, les minorités ou l’individu peuvent être dans l’erreur.

Il convient de dire aussi qu’il y a deux sortes de minorités et d’individus : celles ou ceux qui marchent en avant et celles ou ceux qui restent en arrière.

Si on a affaire à une minorité — individuelle ou collective — qui voit plus juste et plus loin que la majorité, il n’est pas douteux qu’elle aura rapidement raison, que son point de vue, rejeté hier, sera adopté demain, après expériences, puisque aucune opposition d’intérêts ne dresse l’une contre l’autre la majorité et la minorité et que toutes deux, au contraire, tendent à réaliser une même chose, à atteindre un même but.

La minorité deviendra donc majorité. Détentrice de la vérité, elle sera un élément de succès, à la condition, toutefois, qu’elle accepte les décisions de la majorité, qu’elle les applique, qu’elle agisse dans leur cadre.

Ce sont les événements eux-mêmes qui lui donneront raison. Elle doit être disciplinée. Elle comprendra d’autant mieux la nécessité de cette discipline, qu’il est certain d’avance qu’elle donnera elle-même naissance, un jour prochain, à une majorité issue de son propre sein.

N’est-ce pas là le résultat d’une évolution naturelle incontestable contre laquelle aucun argument ne peut être apporté ? Si, au contraire, on a affaire à une minorité d’arrière-garde retardataire, figée, convient-il de l’écouter ? Non. Il faut s’efforcer de la faire évoluer, sans la brimer et de l’amener à rythmer son action sur celle de la majorité d’avant-garde, sans la brusquer, en utilisant, pour cela, la leçon des faits. Les événements ne tarderont guère à lui démontrer son erreur.

La loi du nombre est donc la seule qu’une association puisse accepter. Et ceux qui ne l’admettent pas ne peuvent participer effectivement à l’œuvre commune.

Cela veut-il dire que l’individu abdique toute liberté, toute initiative ? Du tout ; au contraire, l’individu est pleinement libre de discuter sur toutes les questions qui se réfèrent à la vie de l’association ; il a le droit d’exprimer son point de vue, son opinion sur toutes les questions et de tenter de faire prévaloir cette opinion, ce point de vue.

Mais lorsque tous les associés qui désirent user de ce droit — qui est en même temps un devoir — ont discuté et qu’il faut décider, la discipline s’impose à tous.

La décision de la majorité ne souffre aucune discussion. Il faut l’appliquer. Ainsi, en pleine souveraineté, l’association a discuté et décidé. Il lui reste à agir. Tous les associés doivent le faire, dans le cadre des principes d’abord, suivant les décisions ensuite.

Discussion, décision et action caractérisent donc les stades successifs que traverse toute idée dont l’association a reconnu la nécessite d’application pratique.

Au premier stade se place le droit, au deuxième, l’expression de ce droit, au troisième, le devoir.

Ce n’est qu’en utilisant le premier, qu’en exprimant le second et en acceptant le troisième, que les associés pourront permettre à l’association de vivre, de se déve-

lopper naturellement et normalement, en marchant constamment vers ses buts.

La solidarité et l’entr’aide, bases morales de l’association permettront à l’individu de recevoir de ses associés ce qui lui est dû, en même temps qu’elles assureront à ces derniers le concours du premier.

On peut donc dire que l’association est la loi fondamentale, parce que naturelle et scientifique, qui s’impose aux hommes qui veulent vivre en société.

Quant aux autres, s’ils ne veulent rien devoir au milieu, ils doivent, en revanche, ne rien lui demander.

C’est l’évidence même.

L’association engendre automatiquement l’alliance, le fédéralisme.

En effet, si une association est forcément limitée à un milieu restreint, un très grand nombre d’associations peuvent avoir une communauté de vue, d’intérêts matériels et moraux, immédiats et futurs.

Ceci les oblige à se réunir, à reconnaître l’identité de leurs buts, à déterminer les moyens à employer pour les atteindre, à se donner une doctrine commune, à établir un contrat, à dresser un statut pour agir ensemble.

À ce moment, le fédéralisme est né. Les nécessités économiques, à chaque époque, lui assignent la forme convenable.

C’est ainsi que, de nos jours, le monde, partagé en deux classes rivales, est obligé de se donner une organisation fédérative, que les syndicats, patronaux et ouvriers, sont devenus la forme-type de cette association. Les uns œuvrent pour conserver les privilèges capitalistes, les autres pour établir l’égalité sociale.

C’est entre ces deux forces, qui représentent les classes en présence, que se livrera la véritable bataille sociale. Le succès de l’une sera fait de l’écrasement de l’autre. Celle qui triomphera sera celle qui aura le mieux compris le fédéralisme associatif.

En dehors d’elles, rien d’autre n’existe vraiment. Tout leur est obligatoirement subordonné, et l’accessoire : le politique tend de plus en plus à disparaître devant le principal : l’économique. Et le jour n’est pas éloigné où les partis : bourgeois ou ouvriers, de même que les gouvernements qui en sont les conséquences, devront disparaître devant les classes ayant rassemblé toutes leurs forces : politiques, économiques et sociales dans de vastes associations, fédérées entre elles, chacune sur son propre plan.

Il n’est pas exagéré de dire dès aujourd’hui que le syndicalisme révolutionnaire et anti étatiste exprime la synthèse de la force de classe ouvrière, comme il est déjà la synthèse du mécanisme social de l’avenir.

Il a dû, tout naturellement, se préparer à la tâche qui lui incombera et s’efforcer de fonctionner dès maintenant, selon les principes qu’il veut appliquer intégralement plus tard.

Il s’est donc donné, pour cela, une structure adéquate à la besogne à accomplir et dotée des organismes qui doivent lui permettre de réaliser sa tâche.

Ces organismes sont : le syndicat fonctionnant sur la base des comités d’atelier et des conseils d’usine ; l’union locale, l’union régionale, la confédération générale du travail et l’internationale syndicale. Pour accomplir la partie technique de son programme, il a institué des fédérations nationales et internationales d’industrie qui doivent, dès que possible, donner naissance à un comité économique du travail, sur le plan national et international.

Tous ces rouages se meuvent suivant les principes-fédéralistes, de la base au faîte et du faîte à la base, accomplissant ainsi un cycle complet formé de deux courants : l’un ascendant, l’autre descendant.

Le courant ascendant va de l’individu à l’internationale, en passant de l’unité au nombre, du simple