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nisation bourgeoise, qui repose sur la finance, les révolutionnaires n’ont, hélas ! que leur sincérité, car chez eux les fonds manquent. Et pourtant l’argent est le nerf de la guerre. Ce n’est qu’avec lui que l’on peut intensifier la propagande et propager les idées de libération qui nous sont chères. Et c’est pourquoi, malgré la situation précaire des travailleurs, les libertaires sont continuellement obligés de faire des appels de fonds afin de pouvoir poursuivre leur action et éclairer les hommes sur tous les vices et infamies du capitalisme.


FORÇAT n. m. (de l’italien forzato). On appelle forçat un homme condamné aux travaux forcés. Autrefois, les forçats étaient utilisés sur les galères, bateaux de guerre ou de commerce longs et bas, allant à la voile ou à la rame et étaient particulièrement occupés pour ramer. La somme de travail qu’ils étaient obligés de fournir était formidable et de là est venu que le mot galère est aujourd’hui employé familièrement comme synonyme de bagne et travaux forcés (Voir les mots bagne, galère, etc.).

Par la suite, les galères n’existant plus, les forçats — tout au moins en ce qui concerne la France — furent employés dans les arsenaux et enfin déportés dans des colonies aménagées à leur usage. Il y a peu de temps encore les forçats étaient marqués au fer rouge sur l’épaule, mais cette pratique barbare a disparu, ce qui ne veut pas dire du reste que le sort du forçat se soit sensiblement amélioré. De nos jours, les criminels condamnés aux travaux forcés à perpétuité ou à temps, sont transportés dans la Guyane, contrée de l’Amérique du Sud, en bordure de l’océan Atlantique. Le sol de cette colonie est montagneux et marécageux ; le climat chaud et humide rend cette colonie particulièrement insalubre et, à part le travail que le forçat est obligé de fournir, la simple résidence en cette contrée est un véritable enfer. Quel que soit le peu d’intérêt que l’on puisse porter à la majorité des forçats, la cruauté inutile dont ils sont l’objet soulève de dégoût et de mépris le cœur de tous les hommes sensibles. Rejetés hors l’humanité qui les a vomis, ils auraient tout au moins droit à la pitié, mais il semble que la bourgeoisie les persécute à plaisir. Condamnés à construire des routes, sur un terrain marécageux, soumis à une température tropicale, peu nourris et mal vêtus, simple jouet entre les mains de chefs et gardiens barbares et absurdes, dont l’unique plaisir, en ces contrées lointaines, est de jouir de la souffrance d’autrui, peu de forçats résistent longtemps au régime qui leur est imposé. La bourgeoisie qui les transporte là-bas n’a pas même, pour couvrir son infamie, une excuse utilitaire, car les conditions de vie sont telles dans les bagnes de Guyane, que le forçat produit un travail absolument inutile et que, depuis des années et des années qu’il est employé à construire des routes, aucune route encore n’a pu être terminée. La peine prononcée contre le forçat varie d’ordinaire entre 5 ans et 40 ans de travaux forcés, mais une mesure odieuse d’administration publique l’empêche à jamais de se relever ; c’est ce que l’on appelle couramment le doublage. A partir de sept ans de travaux forcés, le forçat, une fois sa peine terminée, est condamné pendant un laps de temps égal à celui de sa peine, c’est-à-dire qu’il est obligé de résider, « librement », dans la colonie pénitentiaire et de répondre à deux appels annuels afin que sa présence puisse être constatée par les autorités responsables.

Le régime et la vie du forçat libéré sont encore plus terribles que celle du forçat proprement dit. Dans un pays où il n’y a ni commerce, ni industrie, ni comptoir, il lui est impossible de trouver du travail et de gagner ce qui est indispensable à son existence ; l’unique ressource qui lui reste est de commettre un crime afin d’être condamné à nouveau et de ne pas crever de faim ou de maladie. C’est généralement ce qu’il fait. C’est ce

que le capitalisme appelle sans doute relever le moral de l’individu. Faut-il s’étonner d’un tel état de chose, alors que le capitalisme repose lui-même uniquement sur le vol et sur le crime ?

Il n’y a pas que des forçats civils, il y a aussi des forçats militaires : ces derniers sont à Biribi. Leur sort n’est pas plus enviable que celui de leurs frères de misère qui résident à la Guyane. Ce sont des « fortes têtes », diront les bourgeois. Qu’ont-ils fait ? Pas grand-chose ; parfois rien du tout. Mais l’armée est une institution féroce. Quelle est la vie de ces forçats ? Terrible. Laissons la parole à un grand journaliste bourgeois qui a visité les bagnes et qui, dans un livre qu’il écrivit à son retour : Dante n’avait rien vu, nous fait frémir d’horreur. « Le supplice des condamnés militaires — nous dit Albert Londres dans son éloquent ouvrage — n’est pas un mythe, elle est écrite sur la pierre dure. L’une des bases de l’institution est le relèvement par le travail. Le travail est un fait : quant au relèvement, il se pratique de préférence à coups de botte.

Lorsqu’il n’y a pas de fourbi, la ration pour ces hommes jeunes est suffisante : les faméliques peuvent même trouver leur compte parmi les restes. On désigne par fourbi le bon accord entre acheteurs et vendeurs de denrées. Le fourbi a pour but d’engraisser le sergent et de dégraisser la gamelle.

Le général Poeymirau passait un jour devant l’un des camps :

— Que donnez-vous à manger à vos hommes aujourd’hui ? demanda-t-il à l’adjudant.

— Des fevettes, mon général.

— Qu’ont-ils eu hier ?

— Des fevettes, mon général.

— Qu’auront-ils demain ?

— Des fevettes, mon général.

Discrètement, Poeymirau rappela à ce destructeur de légumes secs l’existence des bêtes à cornes. » (A. Londres, Dante n’avait rien vu, pages 55, 56).

Et plus loin :

— Pourquoi êtes-vous puni ?

— Le sergent m’a mis une dame dans la main. J’avais les mains en feu, j’ai demandé une pioche. « Vous avez une dame, vous travaillerez la dame », qu’il répondit. Ça me cuisait trop. J’ai jeté la dame sur la route. »

Au suivant :

— Moi, dit-il, je suis orphelin.

On ne lui tira pas un mot de plus. C’est la seule réclamation qu’il voulut faire à la société.

Au suivant :

Celui-là, le plus petit, ne provient pas des bataillons d’Afrique. Aucun antécédent. C’était un zouave. Un coup de poing à son sergent et ce fut cinq ans de travaux publics.

— Toujours un 18, toujours un 30, toujours un 60 (il veut parler des jours de cellule qui pleuvent), et cela pourquoi ? Je n’en sais rien, mon capitaine, on ne peut pas se garer, il en tombe de partout.

— Vous êtes des malheureux. Prenez une bonne fois la résolution de ne plus attirer la foudre sur vous, et vous en sortirez.

— Oui, nous sommes des malheureux, mais il en faut sans doute, et nous le serons toute notre vie, puisque c’est le sort. Ce n’est pas contre cela que je proteste. Je proteste parce qu’on ne nous fait pas notre droit. »

Une dernière image :

— Mon capitaine, dit Véron, moi j’ai à me plaindre.

— Allez.

— On m’a mis aux fers pendant deux heures.

— Pendant deux heures ? fait le capitaine à l’adjudant.

— Mais non ! »

Les fers se composent de deux morceaux, l’un pour les mains, l’autre pour les pieds. Les mains sont placées