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sur les châteaux pour les détruire ; qu’il brûle les vieilles masures qu’il habite depuis longtemps et qu’il laisse debout les belles habitations des riches, qui seront demain les habitations des travailleurs.


HABITUDE n. f. Ce mot désigne couramment une manière d’être usuelle. La coutume de certaines attitudes, un penchant vers certains actes et comme une facilité naturelle à les accomplir, constituent des habitudes, classées d’ordinaire en bonnes ou mauvaises, d’après leur répercussion ou par rapport à la moralité.

La psycho-physiologie connaît des habitudes qui sont des dispositions permanentes de l’organisme, acquises par la répétition d’actes donnés. Dans le sens pathologique, l’habitude (ou habitus) désigne l’aspect extérieur, la manière d’être habituelle du corps. « L’habitus comprend les attitudes, les gestes, le volume du corps, la coloration de la peau, la rigidité ou le relâchement des tissus, les modifications du rythme et du caractère de la respiration, l’éclat augmenté ou diminué des yeux, l’aspect extérieur des organes des sens, etc. Le facies est un « habitus » de la face ; le decubitus est l’ « habitus » du malade couché. L’ « habitus » trahit non seulement les états pathologiques, mais le tempérament et le caractère » (Larousse).

En biologie, l’évolutionniste Lamarck (1744-1829) formule, dans sa Philosophie zoologique, la loi de l’habitude selon laquelle « les organes se développent par l’habitude (travail, exercice : habitude active) et s’affaiblissent par le défaut d’usage dans tout animal qui n’a pas dépassé le terme de son développement ». Cette découverte n’est pas circonscrite à une évolution fermée dans le cycle individuel. Si la loi de l’habitude est une conséquence immédiate de l’assimilation fonctionnelle ; si, selon une expression saisissante, « la fonction crée l’organe », les caractères acquis ne disparaissent pas : ils se retrouvent dans la descendance et s’y accentuent à la faveur de la même activité. Ils régressent au contraire si la répétition cesse d’en entretenir le processus et vont jusqu’à l’atrophie et la disparition. La dentition comparée des rongeurs, des carnassiers et des herbivores, le rapport des ramifications de l’intestin et de la tâche de digestibilité que lui impose l’alimentation habituelle de l’animal, la résorption, aujourd’hui critique, de l’appendice vermiculaire constituent des exemples faciles et rapprochés. Par l’hérédité, la théorie de Lamarck gagne le transformisme, atteint, dans l’évolution, la sélection des espèces et cette souplesse de l’adaptation vitale des êtres à des conditions qui en brisent la ligne normale et l’habitude, en même temps qu’elle souligne cette remarquable docilité organique aux injonctions du besoin…

Le droit pénal regarde certaines infractions, dites infractions d’habitudes ou collectives, comme seulement poursuivables quand une série de faits en démontrent le caractère habituel. Tel est le délit d’habitude d’usure. L’organisme répressif, enclin à examiner les actes dits « délictueux » comme accomplis dans la sérénité du libre arbitre et soucieuse d’appuyer ses sanctions sur le « solide » des responsabilités personnelles, tient en général pour aggravantes les circonstances d’habitude qui, près de celles du milieu, expliquent et atténuent la gravité de certains actes. Combien d’habitudes, contractées par des individus déjà héréditairement prédisposés et dont l’existence malheureuse respire quotidiennement les miasmes endémiques du vice, sont parmi les déterminantes de gestes qui n’eussent jamais été accomplis autrement. Comme impulsée par un sadisme de vindicte, l’organisation pénale que l’on nomme « justice » préfère punir que chercher dans le crime un mal social qui comporte des précautions et des soins. Peu lui importe que son glaive symbolique frappe en définitive l’innocent dans cette « résultante » qu’une société cou-

pable lui livre… Et son châtiment même alourdit le fardeau écrasant des habitudes, maintient l’atmosphère où elles durent et s’enveniment, mène à la récidive lorsqu’elle pourrait écarter.

La philosophie définit l’habitude une disposition contractée à la suite d’un changement survenu dans un être. Ce changement peut être apporté du dehors ou venir de l’être lui-même : l’habitude est ainsi la conséquence d’une action subie ou accomplie par un agent. Elle est subie lorsque l’action est exercée par une cause externe (la température extérieure modifie nos organes tactiles) ; elle est accomplie lorsqu’elle est le fait de l’homme ou d’un animal, c’est-à-dire d’un être en possession de l’activité et de la spontanéité d’action propres aux êtres vivants. La condition principale de l’habitude est la répétition rapprochée des mêmes actes : une action répétée a plus d’influence qu’une action unique. Si le premier acte ne modifiait pas l’activité et ne laissait pas en elle une tendance à le reproduire, il en serait évidemment de même du second et de tous ceux qui viendraient ensuite, car chacun de ceux— ci seraient encore premiers par rapport à l’habitude et inefficaces au même titre. L’habitude naît donc avec la première action et dès le premier moment de cette action. L’habitude est ainsi proportionnelle à l’action. Et elle n’est pas seulement sous la dépendance du nombre et de l’échelonnement des actes, elle n’est pas uniquement fonction de leur multiplicité et de leur fréquence, mais aussi de leur intensité et de leur durée, elle est soumise à leur dynamisme. Une action prolongée a plus de répercussion qu’une action passagère. Un seul acte, s’il est suffisamment énergique et soutenu peut, du premier coup, donner naissance à une habitude déjà vivace…

Deux théories s’opposent quant à la nature de l’habitude. L’une, qui remonte à Aristote, voit dans l’habitude une loi de l’activité, commune à tous les êtres vivants, en vertu de laquelle ces êtres tendent à persévérer dans leur être même, c’est-à-dire dans leur action et, par conséquent, à maintenir ou à reprendre ce qui vient d’eux-mêmes, à écarter, à annuler ce qui leur vient du dehors. L’habitude n’est ainsi possible que chez les êtres vivants parce qu’en eux seuls existe une activité à la fois une et identique, capable de conserver le passé dans le présent et de continuer celui-ci dans l’avenir. L’autre doctrine, qui peut être rapportée à Descartes, voit dans l’habitude un phénomène de passivité. D’où cette définition de Rabier : « l’habitude est la modification plus ou moins persistante produite dans un être par toute action exercée sur lui ». L’idée essentielle éveillée par le mot habitude, c’est une manière d’être relativement stable et dépassant en durée la cause qui l’a produite. L’habitude est commune à tous les êtres matériels, vivants ou non, qui peuvent recevoir d’un phénomène passager une altération durable qui est l’habitude. L’habitude se ramène à l’inertie : c’est la loi en vertu de laquelle tout changement imprimé par une action quelconque continue d’être si nulle action contraire ne s’y oppose… Auguste Comte voyait ainsi dans l’inertie l’habitude elle-même. Il s’ensuit que l’habitude est plus visible, plus parfaite dans l’être le plus passif. Si l’homme, bien qu’essentiellement actif, est le plus capable d’habitudes, c’est que, par tous ses organes, toutes ses facultés (la volonté excepté), il obéit à la loi de passivité et d’inertie. Dans cette hypothèse, il semble que l’habitude ne soit pas proprement du domaine de l’esprit. Elle réside tout entière dans les organes qui seuls se modifient par l’usage. Cette doctrine, conforme à l’unité du matérialisme scientifique, apparaît à la fois trop exclusive et systématique. En effet, l’assimilation des habitudes contractées par les vivants aux modifications conservées des êtres inorganiques est contestable. Dans ceux-ci il semble n’y avoir qu’une permanence toute passive et, dans ceux-là, une persistance active, un effort de recons-