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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/303

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méthode historique. Il est juste de dire que d’autres études peuvent se prévaloir du même avantage.

II. Quelques opinions sur l’histoire et son enseignement.

« Si Michelet déforme la vérité, c’est par besoin esthétique ou pour moraliser : Taine la déforme pour étonner. » (A. Aulard).

« Les sciences historiques sont de petites sciences conjecturales qui se défont sans cesse après s’être refaites. » (Ernest Renan).

« L’histoire n’est pas une science d’enfants. » (Charles Delon).

« Ce que l’histoire nous a appris, c’est surtout à nous haïr les uns les autres. » (Fustel de Coulanges).

« L’histoire, Jean-Jacques Rousseau le dit avec raison, si judicieusement qu’on l’écrive, est une terrible démoralisatrice. » (Emile Faguet).

« Les historiens montrent leurs amis borgnes du bon côté, leurs ennemis du mauvais, et font ainsi paraître les premiers clairvoyants, les seconds aveugles. » (Bourdeau).

« … Dans l’histoire, depuis le temps de l’antique Égypte et de l’antique Chaldée, trônent, couronnés de tiares et de lauriers, célébrés par des monuments grandioses, admirés « entre tous les hommes, les grands tueurs d’hommes que furent les « seigneurs de la guerre. » (E. Lavisse).

Le psychologue et pédagogue américain, Dewez, a consacré une étude de réelle valeur à l’enseignement de l’histoire à l’école primaire.

Selon Dewez, nous n’avons pas à nous occuper du passé comme passé, mais comme moyen de comprendre en les analysant, les conditions sociales présentes : « La structure de la société actuelle est extrêmement complexe. Il est pratiquement impossible que l’enfant l’aborde en masse et qu’il s’en fasse une représentation définie. Mais des phases typiques découpées dans le développement historique des sociétés montreront, comme agrandis par un télescope, les facteurs constitutifs essentiels de l’ordre social. La Grèce, par exemple, représente le rôle de l’art et des pouvoirs d’expression individuelle ; Rome nous fait voir sur une grande échelle les éléments et les forces déterminantes de la politique. Ces civilisations sont déjà relativement complexes, et une étude encore plus simple de la vie des chasseurs, des nomades, des agriculteurs, des civilisations débutantes, celle des effets produits par l’introduction des outils de fer, servira à réduire l’extrême complexité de la vie sociale aux éléments les plus facilement saisissables pour l’enfant. »

Dewez nous montre également les difficultés de cet enseignement, comment les maîtres doivent tenir compte des intérêts enfantins, utiliser les biographies, etc.

Un psychologue et pédagogue belge, le Dr Decroly, tenant compte des mécanismes de l’esprit de l’enfant et répartissant le travail scolaire en : 1° observation ; 2° association (dans l’espace : géographie ; dans le temps : histoire) ; 3° expression (par le langage, le dessin, l’écriture, etc.), propose de supprimer l’histoire en tant que matière d’un enseignement systématique. C’est en fait à peu près la même proposition que celle de Clémendot qui demandait la suppression de l’histoire enseignée à heures fixes et son remplacement par des explications historiques occasionnelles.

L’association dans le temps dont parle le Dr Decroly est plus et moins que l’histoire :

Plus : parce que, surtout avec les jeunes, on s’efforce de donner les notions de temps, de durée : temps employé à remplir un seau de charbon, à nettoyer le poêle, à l’allumer, que dure la combustion d’une allumette, que le poêle est allumé chaque jour, pendant combien de jours il est allumé chaque semaine, pendant combien de mois il est allumé dans l’année.

Moins : parce que certaines parties de l’histoire : maisons vieilles et maisons neuves, vêtements employés par les vieux et les jeunes, sont du domaine de l’observation.

Le Dr Decroly recommande de profiter de l’imagination enfantine pour faire revivre les temps écoulés.

Une citation précisera ce qui précède : « Après avoir, à la leçon d’observation, étudié la chandelle et la bougie, à la leçon d’association ils ont cherché les avantages et les inconvénients de ces deux modes d’éclairage, leurs usages, leurs applications. Après cela, ils ont étudié l’histoire de la chandelle et ils ont déterminé où se trouvent les différentes matières qui entrent dans sa fabrication.

« Ces leçons d’association n’ont pas simplement pour but de lier les notions acquises entre elles, mais elles ont aussi une grande importance au point de vue moral et social. Grâce à elles, l’enfant acquiert la notion de ce qu’il doit à ses semblables et, petit à petit, il se rend compte que, sans la contribution de chacun il lui serait impossible de vivre. Ces leçons d’association développent donc le sentiment de la solidarité humaine et disposent l’esprit à une sympathie mutuelle.

« Elles ont un troisième but : faire connaître le « déterminisme des choses ». Comment, en effet, faire comprendre à un enfant pourquoi un objet a telle forme, pourquoi il est fait de telle substance ? Or l’enfant qui a confectionné ces différents objets trouve souvent l’explication immédiate. »

Un pédagogue suisse, Ferrière, tenant compte de l’évolution des intérêts enfantins, tout en conservant pour les jeunes enfants la division du Dr Decroly, propose les étapes suivantes :

1° Pour l’enfant de 7, 8 et 9 ans : exercices d’association partant des besoins ;

2° Pour l’enfant de 10 à 12 ans : emploi des biographies ;

3° Pour l’enfant de 13 à 15 ans (âges approximatifs) : « faire ressortir les enchaînements psychologiques et sociaux, les actions et les réactions de l’individu sur la société et de la société sur l’individu ».

Un écrivain, Maurice Charny, a émis, à propos de l’histoire, une suggestion qui nous paraît heureuse :

« Il ne faut pas cesser d’enseigner ce que fut la réalité ; mais il faut la corriger par l’enseignement du rêve… qui sera la réalité de demain, puisqu’il y a du rêve d’hier dans la réalité d’aujourd’hui…

« L’étude bien conduite des utopies fournirait d’abord le fondement d’une morale autrement humaine et vivante que celle des petits traités de civisme kantien… »

Ensuite il serait aisé de montrer qu’au point de vue social certaines « utopies » sont devenues des réalités : réduction des privilèges nobiliaires, etc.

Enfin, au point de vue scientifique, cet enseignement de l’utopie prouverait que « les modernes ont pu non seulement atteindre partiellement, mais dépasser les imaginations des anciens ».

Tout ceci aurait pour résultat d’ « aiguiller les générations futures vers cette idée que les sociétés vivent dans un perpétuel devenir et qu’elles doivent se préparer à abandonner certaines de leurs convictions les plus chères, comme nos ancêtres ont progressivement abandonné les leurs. La marche de l’évolution morale et sociale en serait peut-être accélérée ; l’inévitable renouvellement des croyances ne serait plus du moins ralenti par la conviction stupide que « tout est dit ».

En résumé, il nous semble que les éducateurs devront s’efforcer d’obtenir pour l’école primaire :

1° La réduction des études historiques en les restreignant aux faits dont la connaissance prépare le mieux l’enfant à comprendre la société actuelle sans y voir le terme définitif du progrès social caractérisé par la différenciation des individus — c’est-à-dire le développement de la personnalité — et leur concentration volon-