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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/324

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IDE
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comme toutes les forces idéalistes, a suscité des sacrifices d’ordre mystique. Combien des nôtres, en martyrs, sont morts pour l’idée, qu’ils voyaient prochaine et positive, comme en un flamboiement… L’idée est un levier puissant. L’idée saint-simonienne a ébranlé tout le dix-neuvième siècle… D’artistes ou d’écrivains, les œuvres qui manquent de profondeur ou d’assise intellectuelle, voire de coordination, seront regardées, malgré leur vêture séduisante, l’apparat de leur présentation, comme faibles d’idée… On évoque, dans le souvenir, une idée chère, précieuse ou familière… Dans la zone incontrariée du rêve, on goûtera les joies sans heurt de l’idée, forme sûre du bonheur… On y caressera aussi la chimère, autre idée, etc., etc…

Rappeler que, dans l’activité intellectuelle, tout le mouvement de la pensée humaine est compris dans ces trois opérations, savoir : concevoir des idées, lier ces idées (ou juger), lier ces jugements (ou raisonner), c’est dire l’importance primordiale de l’idée.

L’idée est un fait intellectuel simple, par suite indéfinissable. L’idée exprime « quoi que ce puisse être (fantôme, notion, espèce) qui occupe notre esprit lorsqu’il pense » (Locke). Elle se présente comme « la pensée représentative d’un objet par un mot ou un signe équivalent » (Delarivière). « Les idées sont-elles — ou ne sont-elles pas — des choses distinctes de l’esprit, lesquelles existent en lui et auxquelles il s’applique pour connaître les objets, dont ces idées sont les représentations, les images ou les types ? » De l’idéalisme au matérialisme purs, pôles extrêmes, les écoles philosophiques, selon les bases de leur système général, en envisagent différemment la nature. Échelonnées entre ces absolus et leur empruntant peu ou prou de leurs données constitutives, oscillent de multiples conceptions intermédiaires, plus ou moins préoccupées d’unité ou élargies de relativisme… L’idée nous paraît être la représentation des objets extérieurs, mais certains philosophes prétendent que l’objet lui donne naissance par la sensation, tandis que d’autres, s’appuyant sur cette affirmation que la pensée est naturellement objectivante, soutiennent que l’idée seule existe et qu’elle pose en dehors d’elle la réalité d’un objet dont l’existence est toute subjective. Admettre que certaines idées nous sont fournies a priori par la raison et que nous en acquérons d’autres par l’expérience, répond aux diversités apparentes de nos idées et en souligne l’aspect sans en découvrir l’essence. Quoique le problème de celles-ci demeure pendant, nous pouvons néanmoins, d’après leur caractère, leur objet, leurs qualités, leur valeur logique, en discerner des variétés suffisamment distinctes pour établir une classification provisoire propre à en faciliter l’étude. Ainsi sériés leur type conventionnel, leur rôle et leurs répercussions réciproques devient possible le maniement de ces joyaux premiers de la pensée.

L’idée est un élément constitutif de la connaissance. Il n’y a pas de savoir sans l’idée correspondante, quel que soit l’acheminement de la chose connue. « C’est improprement qu’on dit d’une chose : j’en ai bien l’idée, mais je ne puis la rendre ; car ce qui manque est véritablement l’idée. Il est, au contraire, exact de dire : je sens mieux cela que je ne puis l’exprimer. Car on peut avoir le sentiment d’un objet sans connaître le mot et, par conséquent, l’idée qui le représente. » (Delarivière)

L’idée est présente également dans nos sentiments : elle détient les principaux traits de l’objet et en fixe, pour ainsi dire, le raccourci mental. Elle est à l’aboutissant de nos perceptions, assure le fondement de nos opérations intellectuelles, accompagne les manifestations actives de toutes nos facultés. Elle constitue, en ce sens, une manière d’être commune à tous nos modes d’existence sans être, à chacune, indissolublement mêlée. Elle a souvent, en fait, dans l’esprit — et cela ne préjuge en rien de son essence, ni de ses sources — comme une réalité propre. Et nous l’utilisons, dans sa forme dis-

tincte, abstraite, oublieux de ses attaches, exactes ou supposées, avec la substance et les modalités environnantes. Simple appréhension, pure représentation, effectivité spirituelle ou synthèse épurée, schéma caractéristique, principal de nos échanges, de nos réceptions, de nos interprétations, elle évolue dans notre vie pensante comme une personne émancipée dont les actes ne rappellent pas nécessairement l’ascendance ni n’évoquent la filiation…

Selon l’angle sous lequel nous les examinons varie le caractère des idées. Si nous considérons leur état en l’esprit, ou en elles-mêmes, elles sont ou « obscures-confuses » — et cette qualité peut appartenir à « toutes les idées spontanées et primitives » — ou « claires-distinctes », s’il s’agit d’idées « réfléchies et développées ». Elles sont aussi actuelles ou habituelles selon qu’on envisage l’acte même qui produit l’idée ou dans la faculté de la produire à toute occasion. Étudiées dans leur objet elles sont ou « contingentes » ou « nécessaires » (l’infini, l’espace, le temps étant admis parmi ces dernières). Et les premières se subdivisent en « spirituelles » (beauté, vertu, etc., etc.), « sensibles » (solide, son, couleur) et « intellectuelles » (rapports, lois, substances), puis, en « simples » (indécomposables : idée de solidité) et « complexes » (idée de corps ou de substance) ; en « abstraites » (sans correspondant dans le monde réel : idée de triangle) ou « concrètes » (non séparées des objets auxquels nous les voyons liées couramment : idée d’objets triangulaires) — autre exemple : on dira que « l’idée de substance et de solidité sont abstraites et que celle de substance solide est concrète » (G.-Ar.) — en « individuelles » (ou particulières : Paris, la Seine) et « générales » (étendues à un plus ou moins grand nombre d’individus, idée de ville, de fleuve). Examinées dans leur rapport avec leur objet, les idées se divisent en « réelles-vraies-complètes » et en « chimériques-fausses-incomplètes »…

Quant à la question si controversée de leur nature, nous l’aborderons tout à l’heure à propos des idées générales. Disons seulement que, des conditions et du processus de leur formation, de la prédominance accordée aux facultés correspondantes, certains philosophes en ont inféré une essence adéquate, faisant participer leur substance du milieu évolutif ou originel. Les idées, pour les uns, se ramènent à des images. Pour d’autres elles se confondent avec les mots. Matérialisées ou non, elles sont, dans un système, regardées comme d’ordre sensible. Elles seront par ailleurs spécifiquement intellectuelles ou (plus ou moins apparentées au divin, ou issues de lui) uniquement d’ordre spirituel. De leur subjectivité — attribut circonstancié — on conclura à leur éternité dans la substantialité indivise de l’âme et de Dieu, et l’humanité n’en sera plus que le réceptacle accidentel, et peut-être apparent. A nos corps elles prendront seulement leurs modes et leurs qualités fugitives et se serviront d’eux comme de voies d’échange et de pénétration. Ici elles se réfugieront vers les stériles théologies, là elles se tiendront en contact vivant avec les recherches fécondes de la science. Toute une gamme de théories emprunte aux généralisations hâtives, aux assimilations abusives et aux oppositions parfois logomachiques de leurs parcelles de possibilités, quelques faces de vraisemblance. Et nos « vérités », avec elles encore, demeurent chancelantes…

En ce qui concerne leur acquisition, nos idées sont usuelles (ou expérimentales) ou philosophiques (scientifiques). Les premières — les plus fréquentes — sont celles que nous devons aux usages de la vie, aux circonstances. Ce sont celles que chacun, en plus ou moins grand nombre, est en mesure de se procurer. Les autres, fixées par des caractères précis qui les élèvent au rang de principes, sont le résultat d’un enseignement théorique. Telles les idées d’être, de substance, l’idée collective, les idées de substance fictive (idées d’espace et de