Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ILL
950

des tués ou emprisonnés pour faits d’illégalisme. Dans ces condamnations, les théoriciens de l’anarchisme, du communisme, du socialisme révolutionnaire ou insurrectionnel ont une large part de responsabilité, car ils n’ont jamais entouré la propagande en faveur du geste révolutionnaire des réserves dont les « explicateurs » sérieux entourent le geste illégaliste.

Dans une société où le système de répression revêt le caractère d’une vindicte, d’une vengeance que poursuivent et exercent les souteneurs de l’ordre social sur et contre ceux qui les menacent dans la situation qu’ils occupent — ou poursuit l’abaissement systématique de la dignité individuelle — il est clair qu’à tout anarchiste « l’enfermé » inspirera plus de sympathie que celui qui le prive de sa liberté ou le maintient en prison. Sans compter que c’est souvent parmi ces « irréguliers », ces mis au ban des milieux fondés sur l’exploitation et l’oppression des producteurs, qu’on trouve un courage, un mépris de l’autorité brutale et de ses représentants, une force de résistance persévérante à un système de compression et d’abrutissement individuels qu’on chercherait en vain parmi les réguliers ou ceux qui s’en tiennent aux métiers tolérés par la police.

Nous nourrissons la conviction profonde que, dans une humanité ou un milieu social où les occasions d’utiliser les énergies individuelles se présenteraient au point de départ de toute évolution personnelle, où elles abonderaient le long de la route de la vie, où les plus irréguliers trouveraient faculté d’expériences multiples et aisance de mouvements, les caractères les plus indisciplinés, les mentalités les moins souples parviendraient à se développer pleinement, joyeusement, sans que ce soit au détriment de n’importe quel autre humain. — E. Armand.

ILLÉGALISME. « Exercice de métiers hasardeux non inscrits aux registres des professions tolérées par la police. » (E. Armand)

En principe, tous les anarchistes sont des illégaux, ou plus exactement, des a-légaux. Négateurs de l’autorité, des lois, ils tendent vers leur destruction et s’ingénient en attendant l’an-archie, à échapper à leurs contraintes.

En fait, une grande partie des anarchistes, tout en préparant la disparition progressive ou simultanée de tous les articles du Code des Lois, s’adapte au fait social, le subit. C’est ainsi qu’ils se plient aux lois sur la propriété, aux lois sur le service militaire, aux lois sur les mœurs, etc. L’attitude de ces anarchistes : illégaux par principe et légaux en fait, leur est dictée soit par le sentiment de leur impuissance devant les foudres de la loi, soit par préjugés, ou traditions, ou morales, soit par tempérament.

La critique des bases d’autorité, au service de tempéraments combatifs, logiques, débarrassés des préjugés courants sur la morale et l’honnêteté, a donné naissance à une catégorie d’anarchistes, qui ont affirmé une théorie de vie illégaliste.

A la force sociale ou gouvernementale, ils opposeront leur audace, leur science et leur ruse. Ce qu’ils ne peuvent réaliser socialement, ils le réaliseront individuellement. Face à l’autorité qui fait le Bien et le Mal, qui commande au nom de sophismes ou de sa force, tout est Bien, pourvu qu’on soit le plus fort ; il n’y a de Mal que d’être insuffisamment armé. Si l’exploité voulait, il n’y aurait plus d’exploitation. Attendre qu’il le comprenne, et ose se refuser à être exploité, c’est apporter, ou au moins conserver, sa part d’acceptation à l’édifice autoritaire. Or, eux, ont compris, ils oseront, ils vivront en dehors de la loi, contre la loi.

Travailler, c’est consolider l’État ; être soldat, c’est défendre le Capital. Ils veulent que disparaisse l’État et le Capital : ils ne seront pas soldats ; ils ne travailleront pas. Personnellement, ils s’insurgent ; ils n’ac-

ceptent pas la loi. Ils n’ont pas d’instruments de production, pas de matière première sur laquelle exercer leur activité. Ils prendront leur part de la richesse sociale, du capital produit, amassé, par les générations disparues et monopolisé par quelques individus.

Et comme l’actuel possesseur de ces capitaux ne voudra pas se laisser exproprier, on emploiera les moyens adéquats : tantôt des moyens directs : le vol ; tantôt indirects : escroqueries, fabrication de fausse monnaie, etc., etc. Nul n’est obligé, en droit, de se soumettre à un contrat unilatéral, qu’il n’a pas été appelé à discuter, qu’il n’a pas contresigné.

D’autre part, le minimum de bien-être et de liberté, nécessaire à tout individu évolué, ne peut être que très rarement acquis par des procédés légaux. De ce fait, le produit du travail de chacun ne lui reste pas intégral, et le travail devient une duperie. C’est ainsi que Guizot a pu dire avec juste raison : « Le travail est une garantie efficace contre la disposition particulière des classes pauvres. La nécessité incessante du travail est le côté admirable de notre société. Le travail est un frein ! »

Fatigué, exténué, sale souvent, l’ouvrier, le travailleur, rentre dans un logis dont le loyer n’est pas trop élevé, c’est-à-dire : un taudis. Pas de place, pas d’air, pas de meubles ; une nourriture insuffisante ou de mauvaise qualité ; le souci continuel de ne pas dépenser plus que ce qu’il gagne ; la maladie qui le guette, le chômage ; enfin la continuelle et terrible insécurité du lendemain.

Ah ! échapper au salariat ; être propriétaire de son champ, de son atelier, de sa maison ! Le travail ne pouvant nous libérer, nous nous débrouillerons en dehors des limites de la loi.

Pour vivre la vie libre que nous voulons, il nous faut mener une campagne de tous les instants contre les institutions sociales. Il nous faut créer un milieu de « nôtres » considérable ; émanciper le plus grand nombre possible de cerveaux, afin d’être plus forts pour résister à l’oppression. Mais notre presse est chlorotique : faute d’argent ; nos conférenciers ne peuvent se déplacer : faute d’argent ; nos livres ne peuvent être édités : faute d’argent ; nos écoles ne peuvent subsister : faute d’argent. Faute d’argent, telle est la litanie ; car le travailleur, qui a déjà grand peine à se nourrir, se vêtir, se loger avec son salaire, ne peut distraire pour la propagande que des sommes ridiculement minimes.

Ah ! si nous avions de l’argent ; si nous pouvions disposer de ce levier formidable pour révolutionner les esprits, comme notre vie pourrait s’épandre. Or, nous voulons vivre, et tout de suite. Il n’y a pas de Ciel ni d’Enfer pour nous recevoir après notre mort. Il faut vivre maintenant !

Par le travail rarement la libération est possible ; nous serons donc : illégalistes.

Mais ici, il est bien nécessaire de s’entendre. L’illégaliste ne pose pas ses actes comme révolutionnaires. Il sait : qu’une escroquerie, un estampage, un vol, etc., ne modifient en rien les conditions économiques de la société. Il sait qu’en ne se rendant pas à la caserne, il n’a pas détruit le militarisme. Non plus, l’illégaliste, parce qu’échappant à l’usine, à l’atelier, ou à la ferme, parce que ne « travaillant » pas, n’est un paresseux.

L’illégaliste-anarchiste choisit un travail non accepté par les lois, donc dangereux, comme moyen de vie économique, comme pis-aller. Il est toujours prêt à faire un travail utile, à condition qu’il puisse jouir du produit intégral de ce travail.

Aussi, il est entendu que « en tous cas, jamais la pratique des « gestes illégaux » ne saurait, à nos yeux, diminuer intellectuellement ou moralement qui s’y livre.. C’est même le « critérium » qui permettra de savoir à qui on a affaire. Nul individualiste n’accordera sa confiance au soi-disant camarade qui se targue « d’illégalisme », ne pense qu’à bombances et fêtes, indiffé-