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ciente et acclimatée, l’inconséquence politicienne s’institue dans les esprits lucides qu’elle obnubile, les volontés qu’elle désagrège, les natures droites dont elle brise la ligne. Elle ne provoque, d’une part, sur la face des foules trompées, que le sourire blasé des déceptions attendues. Et, d’autre part, le remords édulcoré de l’élu — s’il surnage en quelque remous — pimente plus qu’il ne trouble les béatitudes. L’inconséquence est ainsi le renfort du scepticisme stérilisant. Elle en appesantit le détachement, propice aux tyrannies admises comme une fatalité parasitaire… « Tout peut se soutenir, excepté l’inconséquence », argumentait Mirabeau aux temps de foi des assemblées. Aujourd’hui, l’inconséquence est devenue un des mensonges conventionnels de la démocratie et le règne se soutient par l’inconséquence comme la religion par l’absurde. — L.


INCONSISTANCE n. f. Manque de stabilité, de solidité. En gastronomie, l’inconsistance d’un plat, celle d’une opinion en sociologie ou en politique. En physique, absence de liaison des molécules. L’inconsistance d’un bien, d’une affaire sont des facteurs de fragilité ou d’impuissance. Un ouvrage où fait défaut le fond, dont le plan se dérobe, un caractère mou, insuffisamment trempé, sont dits inconsistants. Aussi un manque de suite, de coordination dans les idées, marqué de faiblesse et d’incapacité et considéré en dehors de toute fourberie ou relâchement volontaire : l’inconsistance, par exemple, d’un parti, d’un gouvernement, d’une personnalité régnante. Un Charles VII, un Louis XVI, un Nicolas II, ont été des types royaux inconsistants. Sur les individus inconsistants, nous ne pouvons fonder l’espoir d’une activité avertie, ferme, cohérente, et nous perdons auprès d’eux nos efforts de propagande. L’inconsistance les retient ou les ramène à la masse et ils peuvent tout au plus constituer l’élément flottant et l’appoint aléatoire des partis. À leur point critique les révolutions ont eu plus d’une fois cependant la balance de leur succès commandée par ces forces amorphes. Et nulle sociologie ne peut se désintéresser de l’inconsistant, négliger les pesées soudaines et les réactions de ses marées spasmodiques.


INCORRUPTIBLE adj. (employé aussi substantivement), du latin incorruptibilis. Se dit des corps inaccessibles aux altérations des agents corrupteurs, internes ou extérieurs : le bois de cèdre est incorruptible. Mais le sens s’en étend aux hommes dont le caractère, la vie résistent aux influences qui tendent à les écarter de leur ligne et à annihiler leurs vertus. Les institutions mêmes, les œuvres qui ne se laissent entamer par les assauts du temps peuvent ainsi, et quoique relativement, être regardées comme incorruptibles. À plus forte raison certaines présences qui, dans l’univers, semblent affranchies du transitoire. Diderot nous entretient de « l’incorruptibilité de la loi naturelle », « De l’immutabilité de la lumière naît son incorruptibilité », dit le P. Ventura.

L’absence d’ambition est, dans la société humaine, le premier gage d’incorruptibilité. Des êtres d’exception opposent, naturellement, un roc rebelle aux forces malignes en quête de désagrégation. Mais la raison est, au-dessus de l’accidentel, le refuge vaste et sans surprise où l’individualité se rit des solliciteuses aux présents frelatés qui font sonner de si pauvres appels à la relâche et à la discontinuité… Des passions exigeantes, des besoins étendus, l’esprit de domination sont les chemins familiers de la corruption. Sur le plan politique sont, parmi les personnages directeurs, de plus en plus rares l’ascétisme du sacrifice ou la simplicité du don. Petit est le nombre de ceux qui, au pavois des partis modernes, sont, de par la trempe de leur caractère ou la sérénité de leur attachement doctrinal, à l’abri des séductions

destructrices. Un Blanqui, un Lénine, longtemps un Guesde, ont offert aux matérialités l’impénétrable limpidité d’une vie simple, ardente, pour qui la conviction fanatique est l’essentiel aliment. Des hommes en qui le peuple voit des apôtres et des saints pour l’analogie de leur abnégation avec celle des grands religieux du passé ( « Rappelons des chrétiens le culte incorruptible », disait Voltaire), peuvent impunément baigner dans les courants corrupteurs sans qu’en souffre la rectitude d’une volonté dressée vers l’idéal. Mais qui accepte de porter son activité sur le terrain où sévit de nos jours ; en fléau, l’achat des consciences — j’ai nommé la politique — y fait par avance le sacrifice du renom le mieux mérité d’incorruptibilité. Politicien est devenu synonyme de discoureur vénal, d’intrigant sans scrupule. Dans la mare aux mandats les réussites s’assurent à la faveur de la corruption, et les pots-de-vin sont, ensuite, la monnaie convenue des complaisances servies, à lois ouvertes et à secrets offices, à une astucieuse ploutocratie d’affaires. La première de nos Républiques elle-même, enfance enthousiaste de notre vie politique, a connu les fléchissements avant-coureurs. Un Mirabeau, un Danton ont été des énergies circonvenues à la faveur de leurs appétits ou de leurs mœurs. À côté d’eux, un Robespierre — selon certains : idéaliste aux besoins matériels effacés, pour d’autres : hypocrite tenacement drapé dans la moralité, car telle est, à un siècle d’éloignement, la sûreté de l’histoire — s’auréola de l’épithète d’Incorruptible… — L.


INCRÉDULITÉ n. f. (du latin incredulitas). L’incrédulité c’est le manque de croyance, la répugnance à admettre ce qui n’est pas prouvé, c’est en réalité un synonyme de scepticisme, théorie du doute de tout ce qui n’est pas évident. C’est donc tout le contraire de la crédulité, de la superstition.

Les anarchistes peuvent affirmer que l’incrédulité est la tendance de l’esprit qui a fait faire le plus de progrès moral, scientifique, intellectuel, au monde. C’est ce que nous allons chercher à démontrer.

Les peuples qui ne sont pas encore sortis de l’état rudimentaire croient qu’ils sont entourés d’esprits qui les menacent, qui leur infligent des maladies, qui doivent être propitiés pour qu’ils ne détruisent pas les êtres humains. Les hommes tremblent devant l’inconnu, ils ne cherchent pas à se débarrasser de cette peur instinctive, abjecte. On voit même actuellement, en France, des personnes qui ne voudraient pas s’asseoir à une table où il y aurait 12 autres convives, et cela parce que, dit-on, il y avait 13 personnes au dernier souper de Jésus, être mythique qui n’a jamais eu de dernier souper. D’autres ne voudraient pas partir pour un voyage ou commencer une entreprise un vendredi, parce que ce même personnage mythique aurait été mis à mort un vendredi ; tandis que si ces personnes crédules étaient chrétiennes, elles devraient se réjouir de la crucifixion de ce sauveur qui resta 6 heures sur la croix (on parle de 3 jours, ce qui est absolument contraire aux récits des évangiles). Les hommes qui ne sont pas affranchis des croyances religieuses, croient aux mascottes, aux porte-bonheurs, au trèfle à cinq feuilles, etc. ; d’autres craignent de passer sous une échelle, d’entrer dans une chambre où il y a trois lumières, de laisser tomber un parapluie ou une canne, ou se figurent qu’un miroir brisé est une sûre prédiction d’un long malheur, etc. Les esprits timorés vivent dans une crainte constante, et pourtant ne font rien pour effacer de leur cerveau ces croyances surannées. Chez les catholiques romains, le, signe de croix, le rosaire répété à satiété, les prières ineptes, les litanies stupides occupent les mains ou les lèvres, et les croyants ne font rien pour améliorer leurs connaissances ou leur état social. La crédulité est donc funeste au progrès.