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et de fait. La Révolution abolit les privilèges, mais certains corps de métier sont encore inaccessibles à tous parce que demandant, pour être exercés, des capitaux, que l’inégalité économique de fait, concentre entre les mains de quelques-uns au détriment des autres. En droit les privilèges sont abolis, mais en fait ils sont toujours la loi de l’économie politique.

Comme nous l’avons dit plus haut, le problème se pose dans toute son ampleur avec Colins, Proudhon, Marx. Il est établi désormais, sur des bases rigoureusement scientifiques, que l’inégalité économique — au point de départ — est la seule cause du paupérisme moral et matériel des classes laborieuses… Tous les efforts des socialistes et des anarchistes tendent, soit vers la suppression de l’inégalité économique totale, définitive, soit vers la suppression de cette inégalité au point de départ.

Quant aux autres inégalités, elles ne sauraient obéir aux mêmes lois. « C’est à choisir, dit E. Armand dans L’Initiation Individualiste Anarchiste : ou le monde sera courbé sous le joug d’une inégalité forcée ; ou libre cours sera laissé au développement, à l’épanouissement des inégalités, c’est-à-dire des originalités personnelles ; ou le milieu humain sera semblable à une prairie splendide, à un pré immense, où des fleurs par milliers rivaliseront entre elles, diverses de grandeurs et d’aspects, de couleurs et de nuances, de parfums et de senteurs ; ou bien il demeurera un océan stagnant, dont aucun mouvement n’agite jamais l’onde épaisse et lourde. » — A. Lapeyre.


INERTIE n. f. (du latin inertia). État de ce qui est sans mouvement. Au figuré : « manque d’activité, d’énergie intellectuelle ou morale » (Larousse). Au point de vue social qui, principalement nous intéresse ici, l’inertie consiste surtout à ne pas agir dans le sens que, logiquement, vu notre situation, notre condition sociale, on pourrait s’attendre à nous voir agir.

Dans la société présente, lorsqu’il s’agit de mettre fin à des abus de toutes sortes qui vont, contre toute justice, contre les lois mêmes, au détriment de pauvres justiciables, ou lorsqu’il s’agit de faire obtenir aux travailleurs le bénéfice de certaines « lois sociales », il arrive souvent que les différentes administrations font attendre indéfiniment une mesure, une décision qui puisse donner une légère satisfaction aux ayants droit. On appelle cela l’inertie des bureaux, des administrations, etc.

Nombreux sont ceux qui ont à s’en plaindre. Que ce soit un accidenté du travail insistant pour la liquidation de sa pension, ou un prisonnier arrêté sans motif et réclamant un jugement qui ne peut que le libérer, ou mille autres cas analogues, l’inertie des pouvoirs publics est proverbiale chaque fois qu’il s’agit de faire obtenir son droit ou de « rendre justice » à un malheureux ou à un contempteur de la société. Ce n’est pas toujours par paresse ou par négligence qu’on agit ainsi, mais c’est très souvent avec la volonté bien arrêtée d’arriver, par un retard systématique, à lasser le réclamant. Il y a là une « inertie calculée » qui sape perfidement l’équité.

Lorsque, dans les classes sociales qui souffrent le plus des inégalités du système capitaliste, nous venons mettre à vif toutes les plaies du régime, et demander au peuple de réagir et de travailler avec nous à l’édification d’un nouvel ordre social, nous nous heurtons également à l’inertie des masses qui, pourtant, continûment gémissent et maudissent leur sort. Elles nous approuvent quelquefois, souvent même, mais quand nous leur demandons de faire un effort, d’intervenir elles-mêmes, de travailler à secouer leur joug et réaliser leurs aspirations, elles ne comprennent plus et attendent, par inertie, qu’autrui leur apporte le mieux désiré, pourvu qu’elles n’aient aucune énergie physique ou

intellectuelle à dépenser. Plutôt les illusions démocratiques, les trompeuses promesses des religions et des partis, les paradis de « demain » !

Il nous faudra encore un sérieux travail de propagande pour arriver à vaincre cette inertie du peuple.

Force d’inertie. — Propriété qu’ont les corps de rester à l’état de repos ou de mouvement jusqu’à ce qu’une cause extérieure les en tire. Figuré : « Résistance passive qui consiste surtout à ne pas obéir » (Larousse). Pour les anarchistes, qui sentent en eux l’impossibilité d’obtempérer et ne peuvent toujours sans risque grave ouvertement refuser ou désobéir, la force d’inertie a une véritable signification. Dans la lutte de tous les jours qu’ont à soutenir les opprimés contre les oppresseurs, ceux-là ont assez fréquemment l’occasion d’employer la force d’inertie. Elle exige, d’ailleurs, souvent plus de volonté, de ténacité, d’endurance que les manifestations actives de cette lutte. Quand les ouvriers d’une usine, d’une industrie, d’un pays tout entier se mettent en grève, ils emploient la force d’inertie. De même quand un prisonnier fait la grève de la faim pour protester contre l’arbitraire de son incarcération, contre celle de camarades, contre son maintien au régime de droit commun, etc.

Quand le réfractaire ou l’objecteur de conscience — chrétien ou athée — refuse d’être soldat, de prendre les armes, d’apprendre à tuer et de tuer, ils se servent également de la force d’inertie, et cette force est si grande, lorsqu’elle est au service d’une volonté inébranlable, qu’on peut dire que nul, ni un homme, ni l’ensemble des hommes, ne peuvent contraindre un autre homme à accomplir ce qu’il ne veut pas faire ! L’homme, même seul, peut dans ce cas braver toutes les autorités et leur dire : « Vous pouvez me tuer, mais vous ne me forcerez pas à vous obéir ! »

Si tous les opprimés savaient user à propos et résolument de la force d’inertie, l’oppression sociale aurait vécu. Mais cela demande trop d’énergie soutenue pour qu’on puisse espérer détruire un régime aussi solidement enraciné que le régime capitaliste par ce seul moyen.

La force d’inertie, opposée au vouloir des maîtres par les défavorisés sociaux, aura donc toujours une grande valeur morale et éducative, économique parfois. Elle sera toujours, par le relief de l’altitude, un exemple de nature à galvaniser les hésitants, mais elle ne pourra être utilisée avec profit que dans certains cas déterminés, tant à cause de la concentration volontaire et de la valeur individuelle qu’elle demande, qu’en raison des formidables moyens de défense et d’attente dont dispose l’adversaire. Elle pourra désagréger, petit à petit, le régime autoritaire qui nous écrase, y faire d’assez sérieuses lézardes, mais pour le mettre bas, il faudra y joindre le levier des forces actives et révolutionnaires du peuple, aidé de tous les hommes assez élevés et assez droits pour ne pouvoir vivre dans l’atmosphère du privilège. — E. Cotte.


INFAILLIBLE adj. Qui ne peut manquer d’arriver. Pronostiquer un succès infaillible. Qui ne peut tromper : remède infaillible. Qui ne peut se tromper : nul n’est infaillible.

Infaillibilité (Théol.). Privilège par lequel l’Église et le Pape, dans l’exercice de leur ministère, ne peuvent se tromper en matière de foi. L’infaillibilité du Pape a été proclamée par le Concile du Vatican, en 1570, sous Pie IX.

Jusque vers le neuvième siècle de l’Église catholique, la Papauté n’existait pas, mais la Primauté. Un évêque était investi d’un prestige exceptionnel afin que les opprimés pussent s’adresser à lui et obtenir justice à l’aide de sa puissante intercession. Cet évêque était le centre de l’unité catholique et bénéficiait ainsi d’une