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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/516

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JEU
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abstiens-toi de pénétrer dans nos milieux : tu ne tarderais pas à t’y trouver déplacé, à t’y sentir mal à l’aise et tu n’y resterais pas longtemps.

De plus, mon jeune compagnon, tiens pour certain d’avance que la propagande libertaire exigera de toi les plus durs sacrifices : il faudra, probablement, que tu brises les liens affectueux qui t’unissent à ta famille ; il te faudra, peut-être, rompre avec de vieilles et précieuses amitiés ; tu devras renoncer à la fortune et même à l’aisance qu’on n’acquiert, dans le milieu social actuel, que par l’exploitation de ses semblables.

Mets-toi bien dans la tête que tu auras à affronter les sarcasmes des cuistres et les railleries blessantes des ignorants, à braver les perfidies des méchants, les calomnies des adversaires et les persécutions de l’Autorité.

Voilà ce qui t’attend.

Si tu te sens résolu à tenir tête vaillamment à tous ces assauts, en échange de l’unique satisfaction de t’affirmer bellement et librement, n’hésite plus, décide-toi, viens à nous.

Apporte à notre propagande difficile, périlleuse, parfois ingrate, toujours exigeante, le concours de ton élan, de ta fougue, de ta ferveur, de ton énergie, de ta foi.

Et si tu te donnes sans compter à la cause que tu auras, ainsi, délibérément embrassée, sache, mon jeune camarade, que, quelles que soient les épreuves que te réserve l’avenir, tu n’auras rien à regretter.

Ta part sera la meilleure. — Sébastien Faure.


JOIE n. f. (du latin gaudium). La joie, satisfaction épanouie de l’être, souligne l’heureuse possession des biens convoités par les hommes et l’étendue confiante de leurs espérances : trésors du sentiment, de l’intelligence, comme menue monnaie des richesses matérielles. Elle accompagne, au niveau de l’individualité, les jouissances passagères autant que la quiétude continue. Parfois toute interne et jalousement cloîtrée en nous, elle épanche souvent au dehors un ravissement difficile à contenir. La joie — incidemment silencieuse et secrète : joyau caressé de l’élite — s’extériorise volontiers en démonstrations expansives et fuse en gaîté parfois débordante. Les âmes simples se livrent avec elle : ils nous la donnent totale et singulièrement communicative. Les traits ouverts, le rire des yeux et des lèvres, en accusent, en avances à la fois provocantes et révélatrices, l’intensité.

Sauf les accidents d’ordre pathologique et certaines exceptions stoïques, la joie dit la santé physique et met en relief un rythme organique, marqué au sceau du tempérament. Elle traduit ces vibrations provisoires, intenses à force de précarité et délicieuses sous la menace de leur fin, que nous appelons bonheur. Elle dit la nature et la proportion des élans — injustes ou généreux, cruels ou pleins de courage, et que la soif guide ou la foi — de l’être profond et tracent, pour les esprits attentifs, le cercle où s’agitent ses ondes d’influence. La joie naît et se meut souvent dans l’inconscience de ses conditions et du bien-fondé de son existence, dans l’inattention de son éloquence, dans l’indifférence aussi de sa mesure…

De la joie intérieure — forme élevée de la passion —qui est une montée vers la sérénité, Spinoza a pu dire qu’ « elle est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». Une telle joie est essentiellement bonne et d’une émulation salutaire… Sont désirables par cela même toutes les choses que procurent sainement de la joie, à nous-mêmes et aux autres. Elles augmentent notre puissance réactive et aussi notre rayonnement. Joie physique, joie morale, joie intellectuelle, toutes concourent à la plénitude et à l’harmonie, et si, de quelqu’une, l’un d’entre nous est frustré, s’ap-

puie le domaine de l’ombre dont nos regards souffriront, et le règne de la peine humaine incruste sa recrudescence. Outre notre intérêt évident à la joie multipliée, est-il joie plus délicate et plus pénétrante que de créer de la joie ? Quand les hommes mettront leur rivalité à s’ingénier pour ébranler la joie chez leurs semblables deviendront incompréhensibles les artifices grâce auxquels se maintiennent ces « compatibilités » factices du présent où s’abreuve en douleur le grand nombre…

La joie est aussi l’atmosphère naturelle de l’enfance, que resserrent et rendent irrespirables tant de facteurs hostiles. Cet âge, malheureux, est un non-sens et un danger. Outre le châtiment nocif d’une injustice initiale, il cèle l’anormal en ses replis précoces et ses maturités prématurées. L’enfance joyeuse et libre ! De la joie d’une santé générale (et non des spasmes disproportionnés et intermittents), de l’indépendance des voies personnelles de formation (non d’une tyrannique licence sociale) l’éducation attend ses meilleures conditions. Mais au corps, à l’esprit des jeunes, la vigilance jalouse des familles et des maîtres, à qui l’obéissance promet, ajuste ses tuniques de discipline aux « bienfaits » de morale. Elle jugule, avec méthode, ces curiosités gourmandes qui risqueraient, accrues dans la détente, de faire, au temps d’homme, des unités menaçantes. En éteignant au ventre, au cerveau la joie des petits, la société tue au berceau l’appel des mâles exigences. Et elle s’assure, des grands dévirilisés, la docilité gémissante…

Parmi les vices d’un état social que nous dénonçons ici obstinément, multiples sont les joies dont les circonstances et l’aliment sont la privation, la souffrance ou la détresse d’autrui. Innombrables aussi les joies paralysées dès l’aube et qui cèdent la place à d’affreuses crises, à des crispations, à des sanglots. C’est le propre d’un milieu désordonné que la fréquence de ces joies de proie d’une part, autour de nous, et, par ailleurs, de tant d’amères consternations. Telles sont, du reste, l’altération des consciences et les déviations de la morale que ces joies surgissent et s’affirment dans la conviction de la légitimité, et hors des titillations du remords et des inquiétudes de l’usurpation, la peine d’autres humains en fût-elle la base ou la rançon. De même, dans la pensée, dans le cœur des victimes, anéanties en leur infériorité normalisée, rien ne bondit vers les joies logiquement méritées…

La joie — une des formes du bonheur et une de ses claires manifestations — seule la rendra accessible à tous un régime équitable. Car elle ne peut librement naître et se déployer que dans un cadre d’où seront bannis ses ennemis compressibles, dans un social détendu dont seront écartés, parmi les facteurs de trouble et d’angoisse, ceux au moins réductibles. La joie, pour être pleine, loyale et juste, doit être l’expression d’une intime harmonie dont l’équilibre des unités voisines garantit la richesse et le droit de cité. Et notre tâche, ainsi, vise à préparer, par delà les maux évitables, son règne à l’universelle joie de vivre. — Lanarque.


JOUET n. m. (de jocus, jeu). Petit objet qui sert à l’amusement des enfants. On en trouve la trace, dans l’antiquité, dès l’époque égyptienne. Les Romains avaient déjà des poupées articulées, des figurines en terre cuite. De bonne heure les Grecs déployèrent, autour du jouet, un esprit inventif et un art souvent délicat. La poupée — le jouet classique par excellence — était chez nous fabriquée et vendue par les merciers-bimbelotiers dont les plus fameux tenaient, au xviiie siècle, boutique dans les salles du Palais de Justice et aux foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent. En 1862, un industriel, Jumeau, modela un type de tête habilement colorié qu’adoptèrent rapidement les autres