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se sont développées à part dans l’Église d’Irlande, de Cambrie, d’Écosse et d’Armorique ». Les Légendes et Croyances de l’antiquité (A. Maury, 1863), ouvrage scrupuleux et érudit, sont des Essais qui ont pour but « d’éclairer l’histoire des religions de l’Occident à l’aide de celles de l’Orient ». L’auteur y étudie avec sagacité le naturalisme des Aryas et regarde les religions aryennes comme le fond commun de toutes les religions indœuropéennes (judéo-chrétienne y comprise). Il montre la part considérable de la légende dans la formation des cultes consacrés à la divinité. Citons encore, dans un ordre davantage littéraire, la Légende de Montrose, de Walter Scott et surtout la Légende des Siècles (de Victor Hugo) où l’auteur a tenté, dans un lyrisme souvent heureux et en larges fresques poétiques dont plusieurs sont des chefs-d’œuvre, « d’exprimer — ce sont ses termes — l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique, de la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects : histoire, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière ; de faire apparaître dans une sorte de miroir sombre et clair, cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée : l’homme… ».

Parmi les légendes qui peuvent concourir à la formation de l’histoire, de la numismatique, etc., sont les inscriptions placées sur les monnaies, médailles, etc. D’abord brèves, puis plus explicites, « elles renfermèrent les noms et les titres honorifiques des divinités locales, des magistrats, des rois, quelques notions topographiques, etc. Les pièces consulaires romaines offrent les légendes les plus curieuses sur les principales familles de Rome, sur les hauts faits qui les avaient illustrées et sur les traditions auxquelles elles faisaient remonter leur origine. À ces factums généalogiques d’une aristocratie qui fut bientôt nivelée par le despotisme, succédèrent, après l’établissement du gouvernement impérial, les formules adulatrices de l’esclavage. Les légendes monétaires ne contiennent plus alors d’intéressant que les faits et les dates… Les légendes qui nous sont restées en langue celtibérienne, osque, samnite, étrusque, nous sont inconnues ; on explique même difficilement celles en caractères persans et sassanides » (Lachâtre). Les légendes des jetons (xve à xvie siècle), répandues dans les provinces, sont des inscriptions plus soumises encore aux caprices des temps : la galanterie elle-même s’y réfugiait, parmi les rappels bibliques et l’histoire. On trouve à la Galerie du Louvre un jeton figurant Charles IX, avec l’inscription : Pietate et justitiâ. On ne pouvait trouver, pour l’ordonnateur de la Saint-Barthélemy, plus flatteuse légende et qui donne mieux la mesure de tels documents. La proclamation dont s’enorgueillissent, en France, les républiques successives et qui pare encore de nos jours monuments et médailles, pièces et assignats, est d’une aussi riche ironie. « Liberté, Egalité, Fraternité ! », attributs officiels du régime, appartiennent en effet à la pure légende ; et la monnaie qui les porte est un socle digne de servir d’assise à l’histoire de ce temps. — S. M. S.

LÉGENDE. — Tout récit où l’histoire est déformée par la tradition peut être appelée légendaire, qu’il s’agisse de narrer des actions guerrières, les hauts faits d’un chef d’État, les vertus d’un prétendu saint ou les gestes d’un quelconque bipède que l’on trouve avantageux d’ériger en idole après sa mort. Par l’élément historique, parfois minime, parfois considérable, qu’elle comporte, la légende se distingue de la mythologie et de la fable dont Stephen Mac Say a donné une étude pénétrante. On sait combien néfastes les récits militaires qui déforment intentionnellement ce qui concerne la guerre, cette plaie hideuse du genre humain. Les généraux à la Foch, à la Joffre, à la Mangin, les gradés

canailles qui cimentèrent leur gloire avec le sang du simple troupier, y deviennent des héros, des demi-dieux exempts des faiblesses ordinaires ; leurs fautes sont passées sous silence et leurs plus douteuses entreprises sont érigées en action d’éclat. Ce travail d’embellissement, poursuivi sous nos yeux par les écrivains patriotards, soucieux d’obtenir le ruban rouge ou un fauteuil à l’Académie, nous renseigne sur la sincérité des louanges décernées depuis des siècles à la vertu guerrière. Même remarque concernant les prétendus mérites des chefs d’Etat à la Napoléon ou à la Poincaré ; grâce à d’habiles subterfuges de style, ces criminels ambitieux passent pour des bienfaiteurs de leur époque.

Mais c’est dans le domaine religieux que la légende revêt les proportions les plus fantastiques. Pour tromper les âmes simples, les prêtres ne reculent devant aucune exagération ; d’un malfaiteur public ils réussissent à faire un saint et dans les songes creux de malheureuses hystériques, ils trouvent moyen de découvrir le doigt de Dieu. Rien ne les arrête. Après avoir brûlé comme sorcière la pucelle d’Orléans, ils sont parvenus à faire admettre qu’elle était inspirée par le ciel. Parmi les saints du calendrier, soi-disant faiseurs de miracles, se trouvent des fous sanguinaires ; et pour édifier les dévots on fabrique miracles, grâces, faveurs célestes et l’on falsifie la vie du bienheureux devenu populaire. Saint François d’Assise s’est vu attribuer un pouvoir presque divin par des biographes dédaigneux de l’histoire et soucieux seulement de glorifier cette victime du mysticisme outré. Saint Martin de Tours devint célèbre grâce aux fables répandues à son sujet par les écrivains ecclésiastiques. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, car dans les pays catholiques, chaque région, chaque bourgade possède sa relique de saint ou son lieu de pèlerinage. Au moyen âge surtout, alors que l’esprit critique n’existait plus, on se gargarisait des plus absurdes légendes ; les apparitions du diable ou de la Vierge étaient quotidiennes, les femmes se croyaient la proie des lutins, les moines conversaient avec des revenants ; entre la terre et l’au-delà les limites n’étaient pas nettes et les échanges étaient constants. Lorsque l’Église eut inventé le purgatoire et que le clergé vendit des messes à l’intention des défunts, les apparitions d’âmes qui réclamaient des prières devinrent nombreuses ; personne ne pourra dire quelle inestimable source de richesses, pour les moines, s’avéra cette innovation.

Les Évangiles eux-mêmes sont d’ailleurs, pour le moins, des écrits légendaires. De nombreux exégètes ne voient plus en Jésus (voir ce mot), qu’un mythe, qu’une création subjective de l’esprit halluciné des premiers chrétiens. Même ceux qui admettent son existence réelle doivent convenir que les écrits sacrés du Nouveau Testament contiennent une multitude de fables ineptes et qu’il serait vain de vouloir identifier le Jésus de la légende avec le Jésus de l’histoire. Mais lues sur un ton doucereux, avec des allures dévotes, les mensongères légendes chrétiennes, qu’elles datent d’hier ou de plusieurs siècles, déforment les cerveaux enfantins et les obnubilent parfois pour le reste de leur existence. Travail d’autant plus facile que l’esprit qui s’ouvre, par atavisme sans doute, est naturellement avide de merveilleux, épris de fantastique. Les religions, qui répondent à l’enfance de l’humanité, sont adaptées à la faiblesse des jeunes cerveaux ; aussi l’Église veut-elle s’en emparer à tout prix avant que la réflexion devenue plus forte permette de contrôler ses affirmations. On connaît le mot d’un prêtre, rapporté par L. Barbedette : « Donnez-moi l’enfant jusqu’à l’âge de sept ans, et il demeurera l’enfant de l’Église pour le reste de son existence. » C’est à l’aide de légendes et de mensonges que ce prêtre enfonçait dans l’âme de ses élèves, les idées et les tendances chères aux Serfs du Vatican, dont parle Bon-