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mêmes de l’ordre établi. L’abandon des superstitions religieuses, le développement de l’instruction rationnelle, l’adoption d’une morale biologique basée sur les meilleures conditions d’une vie normale, et les avantages de l’entraide, permettraient de franchir avec rapidité les étapes.

Une humanité définitivement pacifiée, vivant en harmonie parfaite, sans qu’aucun de ses membres use de licences condamnables à l’égard de l’ensemble, sans que, par conséquent, la collectivité se trouve jamais dans la nécessité vitale de réagir par la violence contre des éléments de désagrégation et de mort, tel apparaît le résultat final de cette évolution, si l’on considère que le progrès étant indéfini, il n’est pas de motif de fixer à l’avance une barrière à l’acheminement humain dans un domaine quelconque… Cependant un tel résultat suppose, pour être atteint, non pas seulement la disparition de certaines formes transitoires de tyrannie capitaliste, militariste, cultuelle, ou autre, mais encore la généralisation d’un état de conscience, et d’habitudes de discipline personnelle stricte, dont actuellement très peu d’humains sont capables de donner l’exemple. La disparition de l’autorité dans la cité universelle, suppose, en effet, la disparition préalable des compétitions de toute nature qui lui ont donné et lui donnent inévitablement naissance, sous les aspects et avec les caractères les plus différents, dans les circonstances les plus diverses de la vie, au service des idéologies, comme des besoins économiques, les plus opposées, qu’il s’agisse comme moyens de la police d’État, ou du lynchage anonyme et spontané.

Le but immédiat n’en demeure pas moins intéressant : tendre sans cesse à réaliser pour tous et pour chacun le maximum de liberté individuelle compatible avec les nécessités de l’association, et les possibilités sociales obtenues. Ceci, tout en se souvenant, d’après la formule célèbre que, toutes choses égales d’ailleurs, les orages de la liberté sont d’ordinaire préférables à la trompeuse sécurité de la contrainte. — Jean Marestan.

LIBERTÉ. Le fait d’être libre, de ne dépendre de personne au point de vue physique, intellectuel et moral : la liberté est un idéal qui est loin d’être atteint.

Ce serait une erreur de chercher la liberté en arrière de nous dans la vie primitive. L’homme sauvage vit en troupes et de ce fait il est asservi. Des croyances superstitieuses en outre (totems, tabous, etc.) assujettissent son esprit ; il ne peut pas faire tel geste, manger telle chose, etc.

Dans la société actuelle les pauvres, qui forment la grande majorité des humains, ont très peu de liberté. Ils doivent sacrifier à la conquête du pain de chaque jour la plus grande part de leur temps. En outre les pauvres qui sont en général ignorants sont remplis de préjugés qui achèvent de les rendre esclaves. Chacun vit comme on lui a appris à vivre et comme vit son entourage. L’idée ne lui vient même pas de vivre autrement ce qui fait que, en quelque sorte, on pourrait le déclarer libre puisqu’il n’a pas de désirs.

En un sens, le riche est plus libre ; c’est pour cela qu’on appelle situations indépendantes celles que confère la fortune. Avec beaucoup d’argent on fait ce qu’on veut, on va où on veut. Néanmoins il ne faudrait pas croire que le riche soit en possession de la liberté absolue. Par son éducation et ses mœurs il est prisonnier de son milieu. Même quand il les réprouve, il se soumet à ses pratiques et à ses habitudes pour conserver une bonne réputation.

Car tous les milieux sont tyranniques. L’individu est dépendant jusque dans son vêtement pour lequel il doit suivre la mode, sous peine de passer pour un personnage ridicule, voire pour un fou.

La liberté de penser est aussi très relative, on est

contraint de penser — ou de feindre de penser — comme son entourage autrement on n’est pas compris. L’individu — s’il entend demeurer dans la « normale » admise et comprise — ne peut innover que sur des points très restreints, pour lesquels il devra encore s’expliquer pour tâcher de convaincre. Celui qui est par trop différent des autres est qualifié original, ce qui se prend en mauvaise part ; on ne l’aime pas et on fuit sa compagnie.

On peut donc dire qu’il n’y a de liberté nulle part. Cette tyrannie du milieu est-elle un bien ou un mal ? Elle est à la fois l’un et l’autre. Elle est un bien pour les intelligences inférieures qui trouvent la vie toute préparée et qui seraient tout à fait désemparés si elles devaient l’ordonner elles-mêmes. Mais pour les intelligences supérieures, la tyrannie grégaire est un mal, car elle les force à se mettre à un niveau commun qui leur est inférieur. L’homme de génie, et même plus simplement l’homme supérieur, sont incompris et détestés ; à moins que le succès et la fortune ne fassent pardonner leur originalité.

Les sociétés de l’avenir, plus raisonnables que les nôtres, donneront plus de liberté à l’individu. On comprendra qu’il faut permettre et même admettre tout ce qui n’est pas nuisible à autrui. Ainsi la liberté du costume. Il n’y a aucune raison pour uniformiser la façon de s’habiller ; chacun devrait se vêtir selon sa fantaisie et ses goûts. De même pour la liberté des idées, l’individu a le droit de penser ce qui lui plaît et d’exprimer sa pensée. Il est faux d’admettre la culpabilité morale, du moment qu’il n’y a pas ordre formel donné à un être faible, enfant ou déséquilibré mental. L’adulte est mal fondé à rejeter sur une tierce personne la responsabilité d’un acte, il pouvait ne pas se laisser influencer, Les lois seront, elles aussi, de moins en moins oppressives.

L’arsenal de la légalité actuelle sert avant tout à maintenir les déshérités dans la résignation à leur sort. Le communisme qui supprimera les classes sociales et rendra le travail léger à porter permettra d’accroître dans une large mesure la liberté de l’individu. — Doctoresse Pelletier.

LIBERTÉ. Ce mot est si souvent employé dans tous les milieux qu’il semble que tout le monde soit d’accord sur sa signification. Il n’en est rien : individu, groupement ou organisation, classe sociale, tous parlant de liberté, ne comprennent par là que leur liberté propre, trop souvent assimilée à un « bon plaisir » ridicule. On arrive ainsi à fabriquer toute une série de libertés au nom desquelles on asservit les êtres humains. Pour citer quelques exemples frappants, rappellerai-je que c’est surtout au nom de la liberté qu’on a fait, dernièrement, massacrer des millions d’hommes de tous les pays ? C’est au nom de la liberté de conscience que les porteurs de goupillons réclament à cor et à cri le droit d’abrutir les foules ignorantes pour arriver plus facilement à leurs fins d’asservissement et de domination. C’est au nom de la liberté du travail que le patron d’usine fait appel à la police et à la force armée pour maintenir, et parfois massacrer, les ouvriers qui réclament le droit à une existence meilleure. C’est au nom de la liberté commerciale que les mercantis de toutes sortes réclament le droit de rançonner le producteur et le consommateur, de les empoisonner au besoin avec des produits frelatés. C’est au nom de la liberté, de la justice et de l’ordre que, tous les jours, on construit des prisons et qu’on y enferme des malheureux, que l’on construit des engins de meurtre et… que l’on s’en sert ! C’est au nom de la liberté que… Mais je n’en finirais pas si je voulais énumérer tout ce qui se fait au nom de la liberté pour opprimer les hommes.

Le mot de liberté est donc, comme tant d’autres, dé-