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cela tient principalement à ce que, de nos jours, les associations sont des formations de combat exigeant une discipline plus stricte que le demanderait une société pacifiée.

Lorsque, déduisant les conséquences de la division du travail, nos docteurs prétendent que « le groupe syndical tend naturellement à réduire l’action isolée de l’individu, sinon à l’annihiler », ne confondent-ils pas le groupe syndical, organe de lutte, avec le groupe coopérateur formé en vue de la réalisation d’une œuvre voulue et poursuivie en commun accord ? Quand on considère la division du travail, on remarque d’ailleurs que le lien coactif est plutôt entre les groupes sériés exécutant des travaux parcellaires qu’entre les membres des groupes accomplissant des travaux similaires. L’ensemble des premiers a une structure fixe ; les seconds sont interchangeables. Si l’École réaliste attribue une valeur absolue à des prétentions autoritaires qui ne sont que des déviations contingentes afférentes à une période de déséquilibre, n’est-ce pas parce qu’elle cède aussi à des préjugés animistes, parce qu’elle considère l’homme comme un être spirituel, entité indivisible ? Or l’homme psychique inséparable de l’homme physique est un être composite. Sans entrer dans des considérations biologiques, on doit penser que ses caractères de toute nature, s’ils ne sont pas absolument indépendants les uns des autres, ont une existence distincte et une activité qui leur est propre. Donner l’exclusivité à l’une de celles-ci c’est étouffer les autres, amoindrir l’ensemble. Si l’homme se laisse absorber tout entier par un groupe, il est certain que nombre de ses activités seront réfrénées et que sa personnalité sera tronquée. S’il n’associe, au contraire, avec d’autres animés d’un même vouloir, poursuivant un but défini, qu’une seule de ses facultés, il acquiert plus de puissance pour réaliser son désir, sans renoncer le moins du monde à l’exercice de ses autres dons naturels. Loin de diminuer sa valeur, il pourra la hausser à un niveau qu’il n’aurait pu atteindre en restant isolé. Il va sans dire qu’il ne s’agit là que de poser un principe dont l’application dans nos sociétés si complexes demandera maintes études : l’instruction intégrale, l’orientation professionnelle, la multiplicité des emplois, l’utilisation des loisirs…

La volonté de délimiter étroitement la portion de lui-même que l’homme engage dans chaque section de l’atelier social est sommairement indiquée dans la charte d’Amiens. L’adhésion au syndicat n’est tout d’abord envisagée qu’en qualité de travailleur salarié d’une catégorie déterminée ; à mesure que le groupe s’élargit, s’incorpore à d’autres plus compréhensifs, le lien se relâche, les devoirs sont plus discutés. Enfin la liberté devient entière pour tout ce qui est étranger à l’action professionnelle.

La même tendance au maintien de l’autonomie se retrouve dans des groupements économiques autres que ceux de la classe ouvrière. Les entreprises capitalistes n’imposent à leurs propriétaires ou dirigeants d’autres obligations que celles qui concourent à atteindre le but des associations. Assurément les nécessités de la lutte les incitent à une certaine conformité intellectuelle et sentimentale, mais cette uniformité n’empêche pas de grandes divergences de principes et de conduite.

Aux formes d’organisation qui laissent à l’homme la faculté de participer au fonctionnement d’autant de groupes spécialisés que le comportent ses tendances et ses aptitudes, son instinct de sociabilité, on peut donner le nom de fédéralisme fonctionnel, dont le fédéralisme territorial n’est qu’un aspect particulier. Ce fédéralisme rend possible la conciliation de l’organisation et de la liberté. — G. Goujon.


LIBERTÉ POLITIQUE (et Autorité). « Deux faits

antagonistes dominent la politique humaine et la résument tout entière : les nécessités sociales et les droits individuels ou, en termes plus précis, l’autorité et la liberté. » (Larousse)

Inexacte est ainsi une définition qui enferme les nécessités sociales dans une autorité nécessaire et paraît les identifier. Des deux écoles qui, aux pôles opposés, se disputent l’influence en matière politique, l’une, l’anarchie, négatrice de l’autorité — voir ce mot — ne répudie pas la discipline sociale consentie et n’a jamais fait résider l’harmonie de la société dans l’entrechoquement de fantaisies individuelles qui sont, elle le sait, le chemin familier de la tyrannie. Elle reconnaît au contraire les bienfaits de l’entente entre les hommes et l’utilité du renoncement à des « libertés » excessives pour garantir une liberté individuelle équitable et qui dure ; elle fait appel à l’entraide pour réduire l’empire des nécessités inéluctables qui, chaotiquement ou autoritairement assurées, briment, pour le seul profit de quelques-uns, la majorité des individus et empêchent leur liberté de s’épanouir. C’est en cherchant, hors de la contrainte autoritaire et de son cortège d’abus, la satisfaction des nécessités sociales qu’elle espère délivrer pour chacun la plus grande somme d’effective liberté. L’autre, le despotisme, doctrine paradoxale de la force, entend opérer la délivrance par la compression et confond le silence des peuples jugulés avec la paix heureuse des multitudes satisfaites. Il entend réduire l’homme à la passivité des choses et regarde comme un péril social — disons un trouble-règne — toute aspiration vers la liberté. Il n’a besoin que d’acceptation et prétend faire, contre elles-mêmes, le bonheur des masses… Aussi est-ce aujourd’hui dans les forces du peuple, demain dans les énergies conjuguées de l’humanité tout entière et dans leur jeu à la fois libre et sagace que nous cherchons les ressources propres à l’accomplissement des « nécessités sociales ». Comme nous y cherchons le rempart contre une autorité séculaire, toujours à l’affût de formes rajeunies d’oppression, plus que jamais parées des dehors de la générosité. Et que notre vigilance s’exerce à mettre sur pied des institutions de nature à en écarter l’emprise et à en prévenir le retour…

Larousse, esprit perspicace et passionné d’exactitude, reconnaît d’ailleurs que dans la lutte qui met aux prises les deux principes, l’autorité, jusque-là victorieuse, a toujours fait peser sur les hommes son fardeau malfaisant et il oriente ses espérances vers la liberté. Si son attention avait été davantage portée vers les maux qui découlent du despotisme social, il aurait constaté que les nécessités inhérentes à la vie en société et qui, plus encore dans les temps modernes, avec les besoins accrus, exigent la tâche concertée de tous, n’ont jamais été, sous le signe d’un privilège qui n’a pas désarmé, intelligemment satisfaites. Il apercevrait qu’une coordination logique des efforts en réduirait pour l’humanité l’assujettissement, en même temps qu’une juste distribution de ses avantages procurerait à tous les hommes, admis enfin, avec des droits égaux, au « banquet de la vie », une jouissance à la fois libre et méritée. Et ce scrupuleux publiciste eût cessé, nous le pensons, de demander la vérité à un compromis et de partager à titre égal entre la liberté et l’autorité, sa sollicitude. Il eût laissé ce soin aux États, qui ne font semblant de s’intéresser sympathiquement à la liberté — danger pour qui commande — que pour mieux masquer leurs entreprises de domination et, l’étouffant sous leurs embrassades hypocrites, s’emploient à anéantir dans l’œuf toute velléité d’indépendance…

« La liberté, qui n’a pour elle que le droit, est presque toujours victime sur la terre de l’autorité, qui dispose ordinairement de la force et qui possède la ruse. La liberté, reconnue par tous les politiques