a créée, il faut se rappeler ce qu’était la poésie avant lui. Elle en était à Delille, à ses exploits de virtuosité sur les cordes d’un violon ronronnant et phtisique, à la traduction des Géorgiques au poème des Jardins. Elle en était aux poètes académiciens que Rostand a raillés dans Cyrano.
Il est évident toutefois que cette gloire du « Maître » du « Dire », n’ensoleille plus notre siècle comme le sien. Le nom d’Hugo resplendit au firmament, mais son œuvre semble se détacher de son nom et glisser dans la constellation des vieilles lunes. Ce qui la démode comme l’intérieur d’un palais ancien, cette œuvre, c’est son ameublement : ces draperies opulentes aux fenêtres monumentales, ces ors sur les colonnes, ces peintures dans les caissons qui plafonnent les moindres pièces, tandis que, dans leurs âtres, brûlent, jetant des flammes vives, les arbres entiers fournis par la forêt profonde.
Nous avons le goût des appartements clairs, un peu nus, sans ornements, des meubles en bois précieux mais terminés par des arêtes vives, des vitres claires et sans rideaux à long plis.
La Muse d’Hugo (ancien style) a pour cheveux tous les rayons de l’aurore du jour et du crépuscule. Depuis Sarah, « belle d’indolence » la chevelure des femmes et même celle des Fiérides s’est raccourcie.
Il n’en est pas moins vrai que, passent les soleils et meurent les étoiles, Hugo demeure :
« Entre les plus beaux noms son nom est le plus beau. »
henri-auguste barbier. Que la plus large place lui soit donnée parmi les poètes inspirés ! L’indignation a fait son vers, la Liberté l’a pris dans ses bras, une liberté qui n’était pas une duchesse du noble faubourg Saint-Germain, mais une prolétaire aux fortes mamelles : le jour où le soleil chauffait les grandes dalles, il a chanté
la grande populace et la sainte canaille.
Il les a vues « se ruer à l’immortalité ».
Il exhale en imprécations, fougueuses et en cris de triomphe cette pitié, cette tendresse humaine, ces « pensers nouveaux » qu’andré chénier a répandus en vers antiques d’une admirable douceur et d’une adorable pureté. Mais Chénier, de par ses Élégies et ses Idylles n’est pas un lyrique. Est-il bien certain cependant qu’à ce point spontané et jaillissant sous les coups du malheur, le sentiment n’atteigne pas aux sphères extra-terrestres du lyrisme ?
lamartine. Le cygne de Mantoue, c’est Virgile. Je ne sais quel mauvais épigraphiste affubla de ce surnom le poète magnifique salué par ses contemporains d’un autre nom : les délices du peuple. L’épigraphiste bel esprit aurait pu appeler Lamartine le Cygne du Lac, car le Lac de Lamartine et la Tristesse d’Olympia, le poème d’Hugo, sont deux sommets dans la chaîne ininterrompue et sans fin de la production poétique, depuis qu’il y a des hommes et qui souffrent, et qui chantent nos douleurs. L’amour est la floraison de ces montagnes altières, une floraison si vite recouverte par des neiges éternelles. On ne dira pas la défroque de Lamartine comme on a dit la défroque d’Hugo ; Lamartine est plus proche de l’Harmonie sans fioritures, et ses Méditations, plus que les Contemplations s’agenouillent, sans coussin de velours, sur le prie-dieu devant la fragilité de l’homme et l’infini de l’Univers.
Lamartine est un cygne, mais qui de ses ailes puissantes et cadencées, loin de s’attarder aux barcarolles, franchit des espaces d’azur, à travers les mélodies éoliennes.
Le lyrisme, comme les grandes pensées, ne doit pas venir du cerveau mais du cœur. — Paul Morel.