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Que de cerveaux puissants ont sombré face à cette inquiétude subite qui les tenaillait à l’approche de la mort ! Et comment s’en étonner, quand on sait l’histoire des religions, de quelle façon elles ont travaillé l’esprit des hommes à travers les âges, et les traces profondes qu’elles y ont laissées ?

« L’Enfer, c’est l’horrible vision qu’on évoque devant les enfants, les vieillards et les esprits craintifs à qui, pour les épouvanter, les terroriser et les mieux assouplir aux volontés du Clergé, on décrit, avec un luxe de détails incomparables, les horribles tourments auxquels sont condamnés les réprouvés, sans qu’ils puissent seulement conserver l’espoir que leurs tortures auront une fin ; c’est le spectre qu’on installe au chevet des agonisants, à l’heure où l’approche de la mort leur enlève toute lucidité et toute résistance. » (Sébastien Faure, L’Imposture Religieuse, p. 80)

L’Enfer est une invention sublime de l’Église et toutes les religions — bien avant la religion chrétienne — s’en sont servi pour asservir les hommes ; cependant, il faut rendre à César ce qui appartient à César, et reconnaître que c’est à l’Église chrétienne que revient « l’honneur » d’avoir décrit, par la plume de ses théologiens, tous les raffinements des supplices exercés dans le lieu maudit, créé par Dieu pour punir les infidèles.

Pourtant, quelles que soient l’épouvante et la terreur exercées par l’Enfer, même à l’origine de la Chrétienté, les infidèles, en leur naïveté, estimaient qu’une éternité de douleur, c’était payer bien cher quelques péchés terrestres. Le dogme de l’Enfer eut pu en souffrir et les représentants de « Dieu » sur la terre comprirent qu’il serait utile, dans l’intérêt même de la religion et de l’Église, d’ouvrir aux pécheurs une porte de salut. C’est environ vers le troisième siècle que le purgatoire vint se placer entre le Ciel et l’Enfer. Le purgatoire est l’antichambre du Ciel et les âmes des pécheurs peuvent se purifier en ce lieu si elles ne sont pas complètement damnées. Est-il besoin d’ajouter que le Purgatoire fut une source de richesses pour l’Église et pour le Clergé, ce dernier enseignant que les offrandes pouvaient libérer les âmes qui souffraient en attendant d’être admises au Ciel parmi celles des bienheureux ?

Et dire que sur de telles fantaisies se sont bâtis des mondes ! C’est que tout est humain dans la Société et que les fondateurs de religions sont des hommes. Ce n’est pas Dieu qui a « créé » l’homme à son image ; c’est l’homme qui a « créé » Dieu à son image, et comme l’homme s’offense, il a imaginé que Dieu pouvait également être offensé. La loi humaine prétend que toute « peine » mérite « châtiment ». Le châtiment est une défense, affirme le moraliste. L’Enfer est un châtiment. Dieu a-t-il donc besoin de se défendre ? « C’est se faire de Dieu une étrange idée, dit J. M. Guyau, que de se figurer qu’il pourrait ainsi lutter matériellement avec les coupables sans perdre de sa majesté et de sa sainteté. Du moment où la « loi morale » personnifiée entreprend ainsi une lutte physique avec les coupables, elle perd précisément son caractère de loi ; elle s’abaisse jusqu’à eux, elle déchoit un Dieu ne peut pas lutter avec un homme ; il s’expose à être terrassé comme l’ange par Jacob. Ou Dieu, cette loi vivante, est la toute puissance, et alors nous ne pouvons pas, véritablement, l’offenser, mais il ne doit pas nous punir ; ou nous pouvons réellement l’offenser, mais alors nous pouvons quelque chose sur lui, il n’est pas la toute puissance, — il n’est pas l’ « absolu », il n’est pas Dieu » (J. M. Guyau, Esquisse d’une Morale sans obligations ni sanctions, p. 228).

« Les malheureux ne doivent-ils pas être, en tant que tels, sinon sous les autres rapports, les préférés de la

bonté infinie ? » demande également Guyau. Mais non, les malheureux sont justement malheureux parce qu’ils ont cru et qu’ils croient encore en la bonté divine. À vouloir le royaume des cieux, ils gagnent l’Enfer ; l’enfer durant leur vie ; l’enfer après la mort ; les deux se tiennent.

Qu’a-t-il donc à craindre de plus terrible que son passage sur la terre, le pauvre bougre, le paria, le miséreux ? La terre n’est-elle pas pour lui une vallée de larmes et la cruauté du Dieu céleste peut-elle être plus épouvantable que celle des dieux terrestres ? « Dante n’avait rien vu » nous dit un écrivain bourgeois, Albert Londres, en décrivant les supplices endurés par les loques humaines victimes de la brutalité des chefs militaires, dans les bagnes d’Afrique.

Et c’est partout où se portent les regards, que l’Enfer nous apparaît sur cette boule ronde. L’Enfer, c’est l’usine, où le maître domine, où le travail est un esclavage qui ne nourrit pas celui qui l’accomplit ; l’enfer, c’est la caserne où l’individu ne devient qu’un numéro ; l’enfer, c’est la prison, c’est le bagne, où, pour s’être mis en marge de la loi injuste, des hommes sont enfermés durant des années et des années ; l’enfer, c’est la guerre, qui détruit toute une jeunesse virile, qui incendie villes et villages, et qui laisse derrière elle une population de veuves, d’orphelins et de criminels ; l’enfer, c’est la Société viciée, corrompue, pourrie, présidée par une poignée de parasites malfaisants : juges, ministres, députés, avocats, commerçants, financiers, industriels, prêtres et diplomates, qui vivent de la misère d’autrui et spéculent sur l’ignorance, qui est la faiblesse du peuple. Cet enfer-là, il n’est pas imaginaire. Il n’a pas germé en l’esprit d’hommes ivres d’autorité ; il est réel, palpable, matériel ; on le voit, on le touche, on le subit et on en souffre.

C’est cet enfer-là qu’il faut détruire, car il est une insulte à l’humanité et à la civilisation. Il charrie dans ses ruisseaux de boue et de sang les corps de millions et de millions d’asservis et d’exploités, qui ne sont considérés que comme une marchandise que l’on achète et que l’on vend, que l’on oppresse et que l’on tue.

Éteignons donc, par notre action, par notre lutte, par notre volonté, le feu de cet enfer. Sachons lever la tête et réduire la puissance d’un capitalisme qui est la cause primordiale de toutes les souffrances, de toutes les douleurs, de toutes les misères et de tous les supplices et, lorsque la terre sera un paradis construit par les hommes, sans craindre la mort, sans craindre l’enfer, les vieillards :

S’éteindront, béats, sous le ciel mystère,
Ayant bien vécu, loin de ses hauteurs.


ENGRAIS n. m. Dans le mot Agriculture, nous avons donné d’amples détails sur ce qu’on appelle les engrais ; nous allons ici même compléter ces renseignements sur cette très importante question qui intéresse au plus haut point la production par le sol de toutes les denrées alimentaires dont se nourrit l’humanité, et de beaucoup de matières premières indispensables à la production industrielle, tels les textiles, les laines et les bois de toute sorte qui servent à fabriquer machines et outils. Les engrais, ce sont toutes les matières organiques ou minérales que l’expérience et la science ont montrées comme capables de fertiliser les terres, c’est-à-dire qu’une fois que ces matières, convenablement préparées, sont enfouies dans le sol ou épandues à sa surface, elles augmentent la quantité de matériaux que contient déjà ce sol qui sont en état de nourrir les divers végétaux qui le recouvrent pour leur procurer un développement normal. L’engrais le plus connu, même des temps antiques, c’est le fumier de ferme, provenant des déjections de nos divers ani-