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gens considèrent comme un malheur la venue de l’enfant qui sera une lourde charge.

Chez les animaux, la mère ne choie ses petits que lorsqu’ils sont trop jeunes pour se subvenir à eux-mêmes. Dès qu’ils sont grands, elle les chasse et les mord. C’est en vain que Croc Blanc, le héros de Jack London, fait fête à sa mère la louve qu’il a retrouvée ; elle a d’autres petits et elle fait comprendre à son ancien fils qu’elle ne le connaît plus.

Dans l’humanité, la société prolonge l’amour maternel ; mais ici, encore, il faut considérer les classes. Seuls les parents riches ont le loisir de choyer longtemps leurs enfants. Chez les pauvres, dès que le fils est à peu près en âge de gagner sa vie, on le renvoie ; souvent même c’est lui qui veut partir, heureux d’échapper enfin à l’autorité parentale et de quitter un foyer où il n’a connu que la misère.

Presque toujours la maternité est imposée à la femme malgré elle. Jeune, les sens en éveil, elle cède à l’homme qui lui parle d’amour et souvent lui promet le mariage. Ignorante, la pauvre fille devient vite enceinte et celui qui est l’auteur de la grossesse l’abandonne avec des injures. Mariée, la maternité est aussi imposée la plupart du temps à l’épouse. Elevée dans les préjugés, la femme n’ose pas réfléchir aux choses de la reproduction, elle se contente de subir et croit qu’il n’y a rien à faire contre la nature.

Cette mentalité, il faut le dire, est en voie de disparition. Si la jeune fille se laisse encore prendre aux premiers rapports sexuels, la bêtise qu’elle a faite lui sert de leçon et elle apprend à se préserver.

Dans le mariage, l’homme, à moins qu’il ne soit une brute alcoolique, comprend qu’il n’a pas intérêt à accabler son épouse d’enfants qu’il lui faudra nourrir sur son travail.

L’interdiction de l’avortement est un des faits de la loi de l’homme ; c’est une contrainte odieuse qui viole la liberté la plus essentielle de l’individu : celle de son corps.

Imposée à la femme, la maternité est méprisée lorsqu’elle a lieu hors mariage. La famille jette à la porte la fille mère dont l’enfant viendra y apporter le déshonneur ; il est encore des pères qui se croient alors en droit de tuer la coupable et si le monde ne les approuve pas, il les excuse.

Cette idéologie barbare est l’expression du millénaire esclavage dans lequel la femme a été tenue. Seul l’homme compte dans l’humanité et la seule raison d’être de la. femme est de fabriquer l’homme ; on impose donc à la femme la maternité, comme le fermier l’impose aux femelles de ses troupeaux.

Individuelle dans son acte initial : l’enfantement, la maternité le devra-t-elle rester dans l’élevage et l’éducation des enfants ? Je ne le pense pas.

L’industrialisation doit s’étendre à la formation des générations futures, car là, comme ailleurs, l’individualisation fait contre beaucoup de peine de mauvais travail.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’évoquer la salle luisante de propreté de l’institut de puériculture et de lui comparer le taudis de la famille pauvre où le bébé croupit dans ses langes souillés.

C’est en vain que les gens qui s’évertuent à vouloir mettre sur les plaies sociales des cataplasmes inopérants, font enseigner la puériculture aux petites filles des écoles primaires. Pour faire de l’hygiène, il ne suffit pas d’en avoir appris jadis les rudiments ; il faut en avoir le courage, en avoir le temps, la place, et avoir de l’argent, toutes choses qui manquent nécessairement lorsque l’on doit travailler tout le jour pour un salaire insuffisant.

La société présente se substitue, par ses écoles, à la

famille pour l’éducation des enfants ; celle de l’avenir fera un pas de plus et elle assumera tout entier l’entretien de l’enfance.

La maternité, comme l’industrie, cessera d’être individuelle pour devenir sociale. La femme sera ainsi libérée du plus lourd fardeau de sa vie.

Car si c’est un plaisir pour la femme riche d’embrasser, à certains moments de la journée, son bébé coquettement paré, l’élevage d’un nourrisson est un fardeau écrasant pour la femme pauvre. Plus de sommeil : le bébé crie la nuit, il faut se lever, le calmer, le changer, l’allaiter. Plus de jeunesse : les pauvres plaisirs de l’ouvrière sont proscrits, le bébé ne doit pas être quitté d’un instant. La morale sévère même blâme la jeune mère qui se détournerait de ses devoirs pour songer aux plaisirs. J’ai vu des mères susciter l’indignation parce qu’elles emmenaient leur bébé au cinéma.

Pour peu que la femme écoute les conseils des repopulateurs et qu’elle ait une demi-douzaine d’enfants, sa vie est finie. Lorsqu’ils seront élevés, elle sera vieille et les fatigues de la grossesse et de l’allaitement auront fait d’elle une loque.

La maternité éteint l’intelligence de la femme. Il lui faut se mettre au niveau du bébé qu’elle fait sauter sur ses genoux ; pour l’amuser elle ressasse pendant des heures des chansons puériles.

Comment lire, lorsque, d’une bout de la journée à l’autre il faut allaiter, débarbouiller, changer, bercer, laver les couches, etc. L’étudiante dont l’esprit éveillé s’intéressait à tout, n’est plus qu’une ménagère abrutie.

Ceci n’est pas une vue personnelle, je n’en prendrai pour exemple que la chanson poitevine :

Quand je vis tous ces drapiaux
Etalés sur la palisse
Cela me fit jurer, ma foi,
Que je resterais toujours fille.

Le sacrifies de la mère fait-il le bonheur de l’enfant ? Non, certes, et Freud nous a montré ce que le bourrage officiel nous empêchait de voir, c’est que l’enfant, loin d’aimer ses parents, les déteste ; leur autorité lui est odieuse.

La maternité, en effet, ne saurait donner ni l’intelligence, ni la science pédagogique. L’esprit de l’enfant se développe au petit bonheur. Pour bien des mères l’enfant n’est qu’une poupée dont elles s’amusent ; un incident heureux vient-il de leur advenir, elles couvrent l’enfant de baisers ; sont-elles de mauvaise humeur, elles rudoient, elles frappent même le pauvre petit qui n’y comprend rien.

De la culture intellectuelle de l’enfant, la plupart des parents ne s’occupent pas du tout ; sans la loi sur l’instruction obligatoire, beaucoup ne l’enverraient pas même à l’école.

On a dit que l’éducation sociale enlèverait aux enfants leur originalité. On oublie que l’originalité est une fleur rare qui ne pousse guère en terre inculte et que d’ailleurs une éducation bien comprise peut, loin de l’étouffer, la susciter au contraire.

L’essentiel est de donner à l’enfant la santé, le bien-être physique, la culture intellectuelle et morale ; les spécialistes de la maternité sociale le feront beaucoup mieux que les mères.

La maternité sociale donnera la vie rationnelle à l’enfant et, grâce à elle, la femme pourra enfin oser vivre pour elle-même. — Doctoresse Pelletier.

A Consulter. — L’amour libre : Ch. Albert. — Maternité consciente : Manuel Devaldès. — L’amour et la maternité : Doctoresse Pelletier. — Maternité (roman) : Brieux. — Libre amour, libre maternité, etc.