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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/157

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et qu’il n’y a plus de mendiants par les routes, donc plus de pauvres, plus d’affamés, plus rien que des bien nantis. Il sent alors son cœur s’amollir, une larme lui venir à l’œil ; rappelant une pitié désormais sans emploi, il rédige un second écriteau qui susurre ce conseil : « Soyez bons pour les animaux !… »

Avec la mendicité, c’est toute la question sociale qui se pose ; en vain jouera la charité (V. ce mot), publique et privée, en vain se produiront des dévouements parfois sublimes, le mode d’appropriation du sol et des instruments de travail engendre nécessairement le paupérisme moral et matériel. La charité est impuissante à guérir les plaies purulentes qu’elle constate chaque jour parce qu’elle ne s’attaque pas aux causes, mais aux effets. Pour un individu qu’elle secourt, deux autres viennent grossir le bataillon des affamés.

La mendicité est un véritable fléau par la pourriture morale qu’elle provoque ou amplifie. En effet, l’être qui demande l’aumône, qui mendie, qui tend la main, subit un abaissement de sa personnalité, toujours plus accentué. Scrupules, fierté s’émoussent et il tombe à n’être plus qu’un animal quêtant sa pitance. Les autres sentiments humains se ressentent évidemment de cette chute morale ; aussi, un anarchiste a-t-il pu dire que si le vol est plus dangereux que la mendicité il est du moins autrement honorable.

Dans les pays où le chômage ne sévit pas encore comme un fléau, où les méthodes modernes de production rationalisée ne jettent pas encore à la porte de l’usine l’ouvrier à 45 ans, la mendicité l’emporte considérablement sur le vol, car tant qu’il peut travailler, gagner son pain sec, l’ouvrier ne songe pas à prendre ailleurs ce qui lui manque, et quand il ne gagne plus sa vie, infirme ou trop vieux, il manque de volonté, d’énergie, de ressort, pour oser autre chose que mendier.

Dans les pays où la rationalisation industrielle jette sur le pavé des hommes encore jeunes, susceptibles de vouloir et d’oser, le vol l’emporte de beaucoup sur la mendicité. L’homme qui a conservé quelque ressort vital répugne à demander l’aumône et prétend se procurer ce qu’il considère comme devant lui appartenir, par des moyens plus dangereux certes, mais qui ne sont pas acceptation passive d’un sort inique et ne le livrent pas, rampant, à la merci du don.

Il semble bien que dans la société actuelle, une partie de l’humanité doive nécessairement osciller du vol à la mendicité et de la mendicité au vol. Et il n’y a pas, absolument pas, d’autre remède que celui-ci : le peuple prenant conscience de son état de mendiant permanent et voleur audacieux, faisant rendre gorge aux profiteurs de son travail, détruisant l’État, et ne voulant plus produire que pour lui-même. ‒ A. Lapeyre.


MENEUR (SE) (de mener). Subst. : Personne qui mène : Le meneur de la danse. Celui qui mène, qui conduit une femme par la main dans certaines cérémonies. Meneuse de nourrices, femme qui recrute des nourrices dans certains villages pour les conduire à Paris ou dans les grandes villes. Meneur d’ours, celui qui mène un ours dans les rues et qui gagne sa vie à lui faire faire des tours. Meneur de gens de guerre, se disait, dans l’ancienne hiérarchie militaire, des commissaires de guerres. Meneuse de table, ouvrière qui forme des jeux avec les cartes après qu’on les a coupées. Meneur de ciseaux, ouvrier cartier qui découpe des cartes.

Au fig. et famil. Se dit de celui qui prend un ascendant sur les autres et les assujettit à sa volonté : les meneurs d’un parti. C’est plus particulièrement dans ce sens que le mot est employé, et le plus souvent par la classe bourgeoise qui se rend compte de l’influence de certains individus dans tous les mouvements de masses. Aussi quand la grande presse parle des meneurs

révolutionnaires, elle y ajoute un sens péjoratif afin de disqualifier les militants susceptibles d’amener au succès un mouvement de revendication. Elle emploie ce terme également afin de cacher au prolétariat son véritable degré d’évolution. Elle lui dit : « bien sûr, tu réclames, tu protestes, tu te révoltes, mais tu n’en es pas moins un pauvre troupeau absolument incapable de te guider toi-même ; il te faut un chef, un meneur !… » Aujourd’hui encore, même quand il n’y a pas de meneur, même quand le mouvement est spontané, le peuple en vient néanmoins à croire qu’en effet, si tel et tel camarade n’étaient pas là, agissant comme chefs, comme meneurs, il eût été incapable d’action. Cette conviction entrée en lui, si on arrête « les meneurs », si on les emprisonne, l’ouvrier perd confiance en sa propre capacité, se décourage et cesse la lutte.

Les partis politiques dits de gauche, et même les syndicats à tendances politiques, ont aussi besoin du meneur. Cet être hybride et sans conviction profonde, prêt à toutes les besognes, aux meilleures et aux pires, à la fois chef et valet, se hisse, à la force d’un coup de gueule, aux bonnes places pour manœuvrer le prolétariat dans un but personnel ou pour le service d’un parti. Le meneur est l’affirmation permanente de l’inconscience du peuple, de sa faiblesse et de son abandon.

Autre chose est, par contre, le militant qui agit vigoureusement et intelligemment (seul ou dans le sein d’un mouvement quelconque) n’étant rien, ne voulant rien être qu’un homme libre qui sait ce qu’il veut, le veut bien, et essaie d’entraîner ses compagnons et non de se substituer à eux, de les mener… Le premier suppose un troupeau. Le second affirme des individus. ‒ A. Lapeyre.


MENSONGE n. m. (du bas latin mentitionica de mentiri, mentir). On n’admet plus aujourd’hui que la religion soit une invention pure et simple des prêtres ; elle serait d’origine sociale et, parmi ses facteurs primitifs, comprendrait les tabous, l’animisme, le totémisme, la magie. Mais l’on oublie trop le rôle énorme joué par le caprice ou l’intérêt sacerdotal, dans l’établissement des dogmes, des rites, des prescriptions morales. Purgatoire et confession, pour ne citer que ces deux exemples, furent inventés par les théologiens catholiques, le premier pour extorquer l’argent des fidèles, la seconde pour renseigner le clergé sur les agissements secrets de ses adversaires. Pas un mot du purgatoire dans l’Évangile ; et c’est au xie siècle seulement que les croyants se mirent à racheter les peines des morts en faisant de larges aumônes aux monastères. Dans la primitive Église, certains fidèles s’accusaient publiquement des fautes qu’ils avaient commises, par esprit d’humilité ; mais on ne trouve rien qui ressemble à la confession auriculaire d’aujourd’hui. C’est en 1215 seulement qu’elle fut rendue obligatoire par Innocent III, ce pape intrigant, qui rêvait d’asservir toute la chrétienté. Comme il fallait faire la cour aux grands et trouver pour eux des accommodements avec le ciel, les confesseurs inventèrent une science nouvelle, la casuistique, permettant de rendre bonnes, chez le maître, des actions qui, chez le valet, restaient mauvaises. Chose facile puisque l’Église allonge ou raccourcit, à volonté, la liste des fautes qui conduisent en enfer ou au purgatoire ; par contre il faut beaucoup d’ingéniosité pour masquer une contradiction si flagrante et lui donner une apparence de raison. Cette duplicité éclate avec une force spéciale lorsqu’il s’agit du mensonge.

Mentir, dit le catéchisme, c’est parler contre sa pensée ; il ajoute que l’on ne doit jamais mentir. Les théologiens vous expliquent qu’en effet le mensonge est intrinsèquement mauvais, c’est-à-dire mauvais en soi ; Dieu a donné la parole à l’homme pour traduire sa pensée ; un accord permanent doit régner entre celle-ci