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vêtement accroché à un clou déborde ce clou, de même dit Bergson, la conscience accrochée au cerveau déborde ce cerveau. » Et ce philosophe, qui a l’habitude de remplacer les arguments sérieux par de simples analogies, conclut que l’esprit décroché, libéré, continue de vivre lorsque disparaît le cerveau, « sans que je puisse toutefois promettre, ajoute-t-il avec un sérieux qui frise le comique, plus qu’une survivance temporaire, c’est-à-dire sans que je puisse promettre encore une survivance indéfiniment prolongée ou définitive ». En somme, il adopte les thèmes de la métaphysique judéo-chrétienne et se borne à modifier quelque peu les accords jugés inharmoniques aujourd’hui ; ce qu’il y a de neuf chez lui c’est le langage, non les solutions. L’art subtil du narrateur, l’agrément des périodes, une finesse d’observation indéniable ne pouvaient cacher indéfiniment la faiblesse de sa doctrine. Que les spiritualistes en prennent leur parti le charme est rompu du bergsonisme ; la raison a repris ses droits. Comment admettre l’existence d’un esprit distinct du corps, alors que le mental reste dans une dépendance si complète du physiologique ? Seule la communauté d’origine rend compte du prodigieux parallélisme qui fait coïncider, de façon minutieuse, les modifications cérébrales et les états psychologiques. Les expériences de Flourens ont démontré que l’animal décérébré n’était qu’une machine, un automate capable d’exécuter certains mouvements réflexes ou habituels, mais dépourvu d’intelligence et de besoins. Un pigeon se laissera mourir d’inanition devant un monceau de grains, toutefois il avalent les aliments que l’on placera dans son bec. Et l’ablation des hémisphères cérébraux aura des effets d’autant plus notables que l’on s’élèvera davantage dans la série des vertébrés ; tant il est vrai que le développement de la conscience est en raison directe de la perfection du système nerveux. Combien misérables aussi les élucubrations de Bergson touchant les maladies de la mémoire et ses jeux d’acrobate pour démontrer que les souvenirs ne se conservent point dans le cerveau. Sans doute la physiologique ignore beaucoup de choses touchant le système nerveux mais le mystère n’est pas plus grand de savoir pourquoi la régénération d’un tissu nerveux suffit à faire reparaître les images qu’il gardait en réserve, que de savoir pourquoi l’empreinte digitale revient rigoureusement identique après une brûlure profonde ou une plaie.

Nous devons donc conclure que la base dernière de la mentalité psychologique c’est le cerveau. Alors que l’homme se croit le maître de l’univers, nous apprenons, par les récentes découvertes médicales, que lui-même obéit aux glandes endocrines. Ses vices, ses vertus, son caractère en découlent, de même que son tempérament physique et la nonchalance ou la vivacité de son intellect. Mais l’éducation reçue, le milieu où l’on vit, la profession que l’on exerce, influent également sur le contenu de l’esprit. Des hommes fort cultivés et par certains côtés très modernes ont été comme arrêtés dans leur développement par une formation qui retarde de plusieurs siècles. Ceci se remarque souvent parmi les anciens élèves de l’enseignement congréganiste. Pour eux, la scolastique représente le dernier cri de la sagesse ; ils ne lisent qu’avec des lunettes théologiques, n’ont que dédain pour l’art affranchi des préoccupations religieuses ou patriotiques et ne voient dans les soulèvements populaires que de diaboliques machinations. De même, la profession crée des habitudes, des préjugés, qui marquent l’individu de façon indélébile généralement ; d’où la mentalité sinistre du politicien, du juge, du militaire, du patron. Milieu physique et moral, opinions philosophiques ont une importance non moindre ; l’homme du nord se distingue aisément de l’homme du midi, et l’on sait combien efficace l’action de la publicité, de l’opinion, de l’exemple. Sans doute le tempéra-

ment contredit parfois les idées, mais toutes choses égales, un libertaire cherchera moins à tyranniser ses semblables qu’un partisan de l’autorité. Ajoutons, chez les esprits d’élite un sentiment de révolte à l’égard des contraintes que la famille, la société, l’église prétendent leur imposer ; un besoin d’être soi-même, de se frayer sa propre voie, les détourne du conformisme traditionnel.

Toute mentalité humaine comporte certains éléments identiques ; c’est en vertu des principes souverains de la raison que nos opérations logiques deviennent possibles ; leur disparition serait le signal d’une éclipse de la pensée. Néanmoins de prodigieuses différences sont observables, soit dans le temps soit dans l’espace, entre les manières de sentir et de juger des peuples comme des individus. La fiévreuse activité chère aux habitants d’Europe et d’Amérique contraste avec la passivité qu’affectionnent les orientaux ; un artiste original, un vrai savant passeront pour des anormaux aux yeux du petit-bourgeois apeuré ; le cerveau libéré des dogmes est aux antipodes de l’esprit grégaire. Avec l’âge, la mentalité se transforme souvent ; socialiste à vingt ans, le même individu, surtout s’il a fait fortune, pourra s’affirmer réactionnaire à cinquante ; l’inverse arrive aussi quelquefois. Une crise lente ou brusque, une révolution intellectuelle ou sentimentale surviennent fréquemment chez les jeunes, moins souvent chez l’homme mûr, provoquées par le travail de la réflexion interne ou par des circonstances extérieures. Méprisables lorsqu’elles n’ont d’autre guide que l’intérêt, de pareilles transformations imposent le respect, quand elles ne valent à l’individu que des injures et des persécutions. Assurément le nombre est restreint de ceux qu’attire le sentier abrupte, rocailleux, bordé de précipices, qui conduit vers les sommets de la pensée ; ils existent pourtant et nous devons les aider à se découvrir eux-mêmes, à trouver leur chemin, à s’orienter. — L. Barbedette.

MENTALITÉ (Nouvelle. Ce qui distingue le monde ou l’humanité individualiste anarchiste, c’est qu’il ne consacre pas l’avènement d’un parti — économique, politique, religieux — d’une classe sociale ou intellectuelle — d’une aristocratie, d’une élite, d’une dictature. Ce monde, cette humanité n’existe qu’en fonction d’une mentalité nouvelle d’une conception autre que celle qui domine dans la société archiste, d’une façon différente de situer l’unité humaine dans le milieu humain.

La grande, l’ineffaçable caractéristique de cette mentalité nouvelle, c’est la place qu’elle fait à l’unité humaine, considérée comme base de toute activité, de toute réalisation sociale — à la personne humaine envisagée dans toutes les situations comme intangible, comme inviolable. C’est l’impossibilité absolue pour le social d’opprimer ou de restreindre l’individuel. C’est, dans les rapports de toute nature qu’ils peuvent entretenir les uns avec les autres, la mise sur le même pied, à un niveau semblable, des collectivités et des isolés, des totalités et des unités. Autrement dit, l’assurance qu’aucun désavantage ou infériorité — en matière d’accords, de tractations, d’ententes, de contrats ou autres — ne pourra résulter pour la personne humaine du fait de vivre, agir, produire ou consommer isolément.

Aucune humanité ne sera du goût de l’individualiste anarchiste si elle ne se fonde pas sur cette « mentalité nouvelle ». — E. Armand.


MENUISIER n m. (tiré du latin minutiare). Le menuisier travaille le bois en planches pour en faire des boiseries, des huisseries et des meubles. Menuisé a signifié : rendre menu, petit, menus travaux. Ce mot fut appliqué avec raison par les orfèvres qui étaient de deux catégories : les grossiers et les menuisiers.