Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MET
1544

accouche de mille divagations invérifiables ; et c’est avec une tranquille audace, bien faite pour impressionner les simples, qu’ils débitent leurs insanités. Mais réclame-t-on des preuves, ces phraseurs si prolixes avouent qu’elles sont surtout d’ordre sentimental, qu’une rigoureuse démonstration est impossible et qu’il faut croire sans trop chercher à approfondir. Quelques-uns pourtant ont rassemblé les arguments qui militeraient en faveur de cette doctrine. Pauvres arguments, preuves sans portée, qui font sourire dès qu’on les examine à la froide lumière de la science et de la raison.

« Parfois, écrit Henri Regnault, on se trouve en présence d’un inconnu pour qui l’on ressent, sans raison apparente, une antipathie ou une sympathie invincible. Voilà des observations faciles à faire presque journellement, sans que naturellement, la question de l’attraction des sexes ait à intervenir. Parfois, aussi, l’on est disposé à rendre service, à être agréable à quelqu’un dont on ignore le nom. Pourquoi cela ? Question de fluide, en certains cas, c’est possible, mais ce n’est pas là une explication toujours suffisante. Ces êtres, qui, tout en étant apparemment étrangers, sont cependant irrésistiblement attirés l’un vers l’autre, se sont sans doute connus dans d’autres existences. Avec leurs sens emprisonnés dans le corps physique, il leur est impossible de se reconnaître, mais leurs esprits sont attirés d’une façon impalpable, imperceptible, incompréhensible pour ceux qui ne connaissent pas notre théorie. » N’en déplaise à Henri Regnault, le fait qu’il signale s’explique, même sans recourir à des fluides, par la loi psychologique de l’association des idées. Telle personne m’est sympathique ou antipathique parce que dans sa physionomie, ses gestes, ses allures, le son de sa voix, il y a quelque chose rappelant d’autres individus que j’aime ou que j’exècre. Et le coup de foudre, en amour, ne résulte lui-même que de la rencontre imprévue d’une personne répondant à l’idéal que l’esprit caresse en secret. Les aptitudes naturelles, les vocations irrésistibles, les différences observées entre enfants et parents, entre frères et sœurs, ne requièrent pas davantage la croyance à la réincarnation. Sans doute la physiologie cérébrale n’est qu’à ses débuts, les lois de l’hérédité sont encore mal connues, mais le biologiste sait déjà, de façon certaine, que tous ces faits relèvent des modalités du système nerveux. Et nous ne pouvons que sourire lorsqu’un Léon Denis dévoile, aux yeux éblouis des profanes, la vraie cause des infirmités naturelles : « Par exemple – et le cas nous a été révélé – si, tel de nos amis est sourd et muet de naissance c’est que jadis il a, par ses propos malveillants, causé des malheurs et amené une catastrophe. J’ai connu une petite naine, vieille et difforme, recueillie par l’hospice de Tours et qui fut toujours un objet de répulsion pour tous ceux qui l’approchaient. Elle s’intéressait au spiritisme et je lui prêtais volontiers les publications qu’elle venait me demander périodiquement. Après sa mort, les Esprits nous dirent que cette existence pénible et maladive avait été un correctif de l’orgueil qui était le fond de son caractère dans ses vies antérieures. Ainsi, la plupart des misères et des infirmités qui affligent les humains s’expliquent par des causes plus ou moins lointaines lorsqu’elles n’ont pas été choisies librement par l’Esprit comme un moyen efficace d’épuration et d’avancement. » Hélas ! alcoolisme et syphilis ont des effets tout pareils à ceux que Léon Denis attribue aux vices contractés dans une vie antérieure. Et, pour qu’une femme enceinte accouche d’un infirme ou d’un monstre, une frayeur suffit, au dire d’une vieille tradition populaire. À toutes les maladies, médecine et physiologie assignent aujourd’hui des causes qui n’ont rien à voir avec l’au delà.

Le sentiment du déjà vu, éprouvé par quelques personnes en face d’un objet, d’un individu, d’un paysage perçus cependant pour la première fois, parut longtemps un argument plus sérieux. « Les paroles que j’entends, crivait au xive siècle le moraliste japonais Kenke, je les ai déjà entendues ; les choses que je vois, je les ai déjà vues autrefois ; quand ? je ne saurais le dire. » Plusieurs cas semblables sont rapportés par les auteurs spirites qui, généralement, ont soin de les enjoliver quelque peu, afin de frapper davantage l’imagination du lecteur. « Il y a une dizaine d’années, disait le Rév. Forbes, en 1906 je visitais Rome pour la première fois. À plusieurs reprises, dans la ville, j’ai été saisi par ce flot de reconnaissances. Les thermes de Caracalla, la voie Apienne, les Catacombes de Saint-Calliste, le Colisée, tout me paraissait familier. » Visitant à Rome la bibliothèque vaticane, Méry : « Y fut reçu par de jeunes hommes, des novices en longues robes brunes, qui se mirent à lui parler le latin le plus pur. Méry était bon latiniste, en tout ce qui tient à la théorie et aux choses écrites, mais il n’avait pas encore essayé de causer familièrement dans la langue de Juvénal. En entendant ces Romains d’aujourd’hui, en admirant ce magnifique idiome, si bien harmonisé avec les monuments, avec les mœurs de l’époque où il était en usage, il lui sembla qu’un voile tombait de ses yeux ; il lui sembla que lui-même avait conversé en d’autres temps avec des amis qui se servaient de ce langage divin. » Malheureusement pour les spirites, la fausse reconnaissance ou paramnésie est un trouble de la mémoire bien connu des psychologues. Ribot, dans Les Maladies de la Mémoire, en donne des exemples typiques et cherche à découvrir le mécanisme de cette illusion. « Un homme instruit, écrit-il, raisonnant assez bien sur sa maladie et qui en a donné une description écrite, fut pris vers l’âge de trente-deux ans d’un état mental particulier. S’il assistait à une fête, s’il visitait quelque endroit, s’il faisait quelque rencontré, cet événement, avec toutes ses circonstances, lui paraissait si familier qu’il se sentait sûr d’avoir déjà éprouvé les mêmes impressions, étant entouré précisément des mêmes personnes ou des mêmes objets, avec le même ciel, le même temps, etc. Faisait-il quelque nouveau travail, il lui semblait l’avoir déjà fait et dans les mêmes conditions. Ce sentiment se produisait parfois le jour même, au bout de quelques minutes ou de quelques heures, parfois le jour suivant seulement, mais avec une parfaite clarté. » D’ordinaire la fausse mémoire est liée à un désordre mental lorsqu’elle est durable, à une fatigue profonde lorsqu’elle est passagère. Elle est d’origine physiologique, et n’a rien à voir avec la métempsychose, de l’avis de tous les savants consciencieux.

Que penser maintenant du souvenir d’une vie antérieure spontanément reparu, à ce qu’on assure, chez quelques enfants ? Les occultistes ne s’en étonnent point, car ils prennent au sérieux toutes les divagations du bambin. « L’enfant, dira Papus, voit ses ancêtres, voit son génie familier lui apparaître souvent et jouer avec lui. Si les parents sont assez intelligents pour ne pas couper ses relations, cette existence en partie double peut avoir une grande importance dans la destinée terrestre. » Malheureusement certains parents, non seulement ne répriment pas les folles illusions de l’imagination enfantine, mais peuplent le cerveau de leur rejeton des spectres et des fantômes dont leur propre esprit est le jouet. Les réminiscences, observées chez les bambins par un entourage crédule, résultent du souvenir gardé par eux de conversations maintes fois entendues. « Dès qu’il a commencé à parler, lit-on dans la Revue Spirite, Raoul (un petit brésilien) a répété à maintes reprises ces paroles : « en morri », qu’il est impossible de traduire en français dans leur concision,