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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/208

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MET
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d’avoir une vision claire et nette des buts poursuivis, nous ne pouvons pas bien souvent apprécier l’utilité lointaine des exercices scolaires employés et des notions enseignées ; nous ne sommes pas certains que d’autres exercices et d’autres notions n’auraient pas une utilité plus grande pour l’élève et de ceci résulte, en grande partie, la surcharge des programmes. Certes, nos connaissances psychologiques en général et la connaissance que nous avons de chacun de nos élèves en particulier, ne peuvent nous permettre d’éviter des erreurs dans l’application de la méthode. Notre connaissance des sujets d’étude n’est peut-être pas assez large et assez souple pour nous permettre de choisir ce qui convient au moment opportun. Et enfin le milieu éducateur avec son matériel d’enseignement et d’éducation, son jardin, etc., n’est pas celui que nous voudrions pour nos élèves. Mais, précisément, en ayant une méthode idéale, nous prendrons conscience des efforts qui nous sont nécessaires pour détruire, au moins partiellement, les obstacles qui se présentent devant nous et qui proviennent de nous, de l’enfant ou du milieu.

Les anciens navigateurs qui, par nuits claires, levaient les yeux pour observer les constellations ne les ont point atteintes et ne cherchaient pas à les atteindre. Mais ces constellations les guidaient et c’est aussi un guide que nous cherchons dans la détermination d’une méthode idéale. Cette méthode dirigera nos réalisations de chaque jour, leur donnera un sens, nous permettra de constater les défauts à corriger et d’imaginer les perfectionnements futurs. Avoir une méthode idéale ce n’est pas seulement concevoir ce qui est mauvais et peut être perfectionné dans notre enseignement, c’est savoir choisir entre plusieurs perfectionnements possibles, être capable de renoncer à des progrès trop chèrement acquis, c’est-à-dire à ceux qui auraient des conséquences mauvaises, autrement dit encore, c’est pouvoir distinguer les progrès essentiels des progrès secondaires et ne pas sacrifier les premiers aux derniers.

Laissant de côté les amalgames de méthodes, qui sont tout le contraire d’une méthode, nous pouvons dire qu’il n’existe en réalité que trois méthodes : celle des logiciens, celle des pédagogues artistes, celle des psycho-pédagogues.

L’enfant fut longtemps considéré comme un petit homme imparfait qu’il fallait éduquer et instruire suivant un idéal éducatif et des programmes d’enseignement. Éduquer, c’était ordonner, défendre, punir. Instruire, c’était faire acquérir une certaine somme de connaissances logiquement divisées et subdivisées en matières que l’un commençait par définir. Nos anciens manuels d’histoire, de géographie, de grammaire, d’arithmétique, commençaient par de telles définitions : « l’histoire est… », etc. De plus, l’étude de chaque matière se faisait toujours suivant une progression logique qui partait toujours des éléments : on commençait l’apprentissage de la lecture par l’étude des lettres, celui du calcul par l’étude de la numération, celui du dessin par le tracé des lignes, etc. L’étude de la géographie, de la grammaire, etc., commençait de même par des éléments : golfes, caps, îles…, parties du discours, etc.

Évidemment les logiciens qui voulaient aller vite et droit au but, sans perte de temps, croyaient suivre la marche du facile au difficile. Il faut reconnaître qu’en suivant un ordre logique et en avançant pas à pas et « de proche en proche », comme le veut M. J. Gal, on se rapproche fort d’une telle marche, cependant on ne la suit pas toujours.

Demandez à un tout jeune enfant de dessiner une ligne droite et une pomme : il vous présentera une ligne qui ne sera pas droite à côté du dessin d’une pomme beaucoup plus satisfaisant. Essayez de faire apprendre à lire, à un débutant, des lettres (éléments

de mots) et des mots, en nombre égal, présentés globalement : ce sera ce dernier apprentissage qui demandera le moins de temps.

Qu’il apprenne à parler ou à marcher, l’enfant suit un ordre naturel qui n’est pas l’ordre logique, et l’on peut s’en rendre compte également en étudiant les progrès des enfants lors de l’acquisition des notions de nombre. Nous disons bien les progrès des enfants, car la marche n’est pas identique pour tous : il y a pour les enfants plusieurs marches du progrès. Si même nous ne tenons pas compte des différences individuelles – qui font, par exemple, que certains enfants font l’acquisition de la notion de 2 avant d’acquérir celle de 1 – et que nous considérions l’enfant moyen, nous avons l’ordre d’acquisition moyen : 1, 2, 3, ½, 4, 5, ¼,… (⅓ apparaissant plus tard), etc… Non seulement cet ordre psychologique n’est pas l’ordre logique, mais encore l’acquisition des notions ne se fait pas progressivement, l’enfant ne « monte pas une marche, puis une autre, puis une autre… » comme le voudrait J. Gal, il fait des bonds successifs, puis s’arrête. La compréhension des notions nouvelles se fait brusquement, puis l’enfant s’efforce de fixer sa nouvelle découverte, l’appliquant à propos et hors de propos ; enfin arrive l’abandon, le repos plus ou moins apparent auquel succède un nouveau bond et le progrès se continue suivant le même rythme : découverte, fixation de la découverte, repos. Tous les progrès de l’enfant sont soumis au rythme, l’enfant a ses métamorphoses, il va de l’avant par révolutions autant que par évolution et l’enseignement, qu’il s’agisse de lecture, de calcul, etc…, donné pas à pas, progressivement peut atténuer mais non empêcher cette périodicité des progrès.

La méthode des logiciens n’est pas seulement combattue par les psychologues parce qu’elle ne tient pas compte du développement mental de l’enfant – considéré dynamiquement et non statiquement – mais aussi parce que le souci de meubler l’esprit nuit à la formation des intelligences : en enseignant à l’enfant une logique d’adulte, on ne lui permet pas de se servir de sa propre logique et de la développer.

Enfin pédagogues artistes et psychologues sont d’accord pour faire grief aux méthodes logiques de leur manque d’intérêt. Tout d’abord, dit le pédagogue allemand Stiehler, les Logiciens construisirent leur système « en dehors de l’enfant ». Les formes géométriques, analytiques, synthétiques réjouirent le cœur des mathématiciens et des pédagogues pédants qui adoptèrent un ordre logique et des formes rigides : pentagone après triangle, etc… Mais l’enfant indocile ne veut rien savoir, il désire dessiner des choses, des scènes animées qui font battre son cœur, mais que les logiciens déclarent être trop difficiles à dessiner pour lui.

Ce que Stiehler dit de l’enseignement du dessin est vrai pour tous les autres enseignements. La méthode des logiciens est un désert aride, sans intérêt pour l’enfant.

Les défauts de la méthode logique provoquèrent la réaction des pédagogues artistes. Comme dans toute réaction, ils furent à l’extrême opposé. Gradation et graduation logique et autorité furent abandonnées. Intérêt et Liberté furent les nouveaux mots d’ordre.

Les centres d’intérêts et le souci d’éduquer remplacèrent la division logique et le souci d’instruire.

Pour satisfaire l’intérêt des enfants, on employa des méthodes globales de lecture, d’écriture, de dessin, etc., et, plaçant au-dessus de tout l’intérêt de l’enfant, on ne se préoccupa guère de savoir si de telles méthodes étaient plus ou moins rapides que les anciennes. Cette pédagogie fut impressionniste, intuitive et libérale.

Cependant, tout comme les logiciens, les pédagogues artistes l’avaient, en une certaine mesure, construite