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MIR
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interdire les marches du pouvoir. On voit un Clemenceau, un Tardieu s’ériger — malgré leur passé de requins — en chefs cyniques d’une république dégénérée. Qu’un « tripotage » plus impudent oblige la majorité parlementaire à lui donner congé n’implique pas pour le ministre malhonnête l’éloignement définitif des sphères dirigeantes. C’est une retraite temporaire, le temps de se refaire, dans l’oubli si prompt de l’opinion, une virginité et il reparaît à la tête d’une nouvelle équipe, acclamé par quelques centaines de mameluks avides de monnayer leur domesticité.

Depuis quelques années surtout, illusoire est, sur la conduite des ministres, le contrôle des Assemblées d’élection dites populaires, Les ambitieux et les bavards qui, à la faveur d’un suffrage faussé par la presse et assujetti à l’économie, aspirent à régner sur le pays, n’apportent guère à la Chambre que le souci de leurs appétits personnels. Et ils servent les ministères dans la mesure où se satisfont leurs desseins. La complicité servile des partisans, à peine contrariée par une opposition de façade, dont le rêve est d’être à son tour aux honneurs et aux profits, couvre avec éloquence impéritie, gabegie, palinodies et chantages ministériels.

Au début de la guerre de 1914-1918, le ministère a pris — sans consulter les Chambres, passives et effacées devant le prestige de l’État-major, arbitre de l’heure — les plus graves décisions, souvent néfastes pour le pays. Même lorsque, devant l’invasion et les difficultés croissantes, le directoire de fait consentit à convoquer cette caricature de représentation nationale, digne du fameux Parlement-croupion, il n’en persista pas moins, pendant tout le cours de la guerre, à prendre l’initiative de mesures importantes et souvent extra-légales que contresignaient ensuite les Chambres serviles. Plus tard — les nations revenues à cette période de guerre sournoise que l’on persiste à appeler la paix — un Poincaré introduira le recours aux décrets-lois, prolongation des mœurs de l’état de siège. Consultés après coup les Aragouins applaudiront. Le régime des décrets tend d’ailleurs, à l’heure où nous écrivons ces lignes, à devenir courant dans les pays de fascisme latent.

Pendant les vacances de nos honorables (un bon tiers de l’année se passe pour eux dans les circonscriptions) les politiciens dirigeants ont toute latitude pour s’exercer à la dictature. Et l’on n’en voit point que l’amour du bien public pousse à s’insurger contre des méthodes qui mènent à l’étranglement des dernières libertés du peuple… Déjà, on a vu aux mots État, Gouvernement, puis bientôt (à Parlement, Politique, etc.), on reverra de quelles illusions les démocraties couvrent les agissements des ploutocrates et combien députés ou sénateurs, et plus encore les hommes installés aux postes directeurs, répartis dans les ministères, y apportent le souci constant d’agir selon les intérêts de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent, de cette bourgeoisie dont ils sont issus ou qui a su les conquérir. Cumulant avec leurs fonctions publiques, celles d’avocats, de membres des conseils d’administration de grandes compagnies et de sociétés financières ils ne cessent de faire, au pouvoir, les affaires de ceux qui sont leurs véritables mandants, et les maîtres réels de l’illusoire démocratie.

Primitivement le ministère en France comportait onze portefeuilles (intérieur, finances, justice, guerre, affaires étrangères, etc., pour rappeler les principaux). Mais les appétits de l’après-guerre ont élargi le cercle des convives attablés autour de l’assiette au beurre. Ils sont maintenant jusqu’à 18 ou 20 budgétivores nantis de ministères ou de sous-secrétariats. Et le char de l’État n’en est que mieux embourbé… — Lanarque.


MINORITÉ n. f. (latin minoritas). « La minorité, dans une assemblée, est le petit nombre en opposition

avec la majorité. » (Larousse) (Voir majorité.)

Longtemps, il a été admis que la masse devait obéissance absolue à une minorité qui constituait l’élite. (Chefs temporels : roi ; chefs religieux : prêtres.) La raison était indiscutablement du côté de cette minorité (raison de droit divin, ou raison du plus fort).

Puis, l’échelle des valeurs a changé. À la suite de révolutions et d’évolutions, il a paru tout naturel et très raisonnable que ce soit la minorité qui s’incline devant la majorité : Le Tiers État n’est rien. Que doit il être ? Tout… Le suffrage universel est venu. Les serfs ont été baptisés citoyens. Raison a été donnée — en théorie — au plus grand nombre (voir ce mot).

Dans l’un, comme dans l’autre cas, l’individu — qui est la minorité réduite à sa plus simple expression — est toujours victime, tantôt du bon plaisir des « élites », tantôt de la loi du nombre. Ni ici, ni là, il n’y a place tranquille au soleil, ni pour un Diogène, ni pour un Galilée, ferments du monde. Obéissez au nom de Dieu et du Roi, ou au nom du peuple souverain, mais obéissez !

En fait, la majorité, qui est la foule veule et bête, ne sait rien, ne veut rien, n’impose rien : elle suit, tout simplement. Et malgré les apparences, ce sont les minorités qui font tout. La source des religions, des partis, des sectes, de tout groupement humain est dans une poignée d’individus, souvent en un seul. Et chacun sait comment on crucifie tout novateur qui, nécessairement, bouscule les saintes idoles, chacun sait aussi comment on fabrique l’opinion publique et comment on la triture (voir, exemple entre mille, l’histoire de « l’ennemi héréditaire », en France).

Dans l’exercice du pouvoir, ce sont des minorités incontestables qui s’imposent dans les régimes de dictature déclarée ; ce sont des minorités voilées dans les régimes démocratiques. (Voir : La Douleur universelle, de Sébastien Faure : le suffrage, dit universel, aboutissant, en définitive, par le jeu échelonné des « majorités », à la dictature d’une infime minorité.)

Dans la lutte contre ce même pouvoir, ce sont des minorités également qui finissent par imposer à la masse amorphe et malléable leurs idées d’abord jugées dangereusement subversives. En définitive, c’est le martyr qui a raison.

Les groupements « lutte de classe » n’échappent pas à cette loi. Ils sont « menés » par une minorité agissante. La masse a peut-être, dans ces groupements, l’air de savoir ce qu’elle veut ; au fond, elle s’imprègne de l’idée des animateurs, et elle agit.

L’humanité apparaît donc comme un vaste champ d’expériences où des forces incalculables sommeillent, à l’état latent. Vienne un ferment, un de ces impondérables qui, par sa volonté opiniâtre, traduit les sentiments obscurs de la masse, ou réussit, en lui voilant adroitement le mensonge, à lui persuader qu’elle doit se dresser, et cette masse entre en effervescence. Alors, on crie : Dieu le veut ! ou bien : C’est la volonté nationale ! ou encore : Vive la Révolution ! À ce moment, c’est simplement une minorité qui a fini par imposer son point de vue.

Ces constatations ont ceci de réconfortant, c’est que le moindre des efforts n’est jamais perdu, qu’il n’est pas permis de désespérer et qu’au contraire on doit penser que toute idée juste finit par s’imposer un jour tant est grande la force de la vérité et tant est puissant le rôle des minorités qui la propagent. — Ch. Boussinot.


MIRACLE (du latin : miraculum ; de mirari, admirer). Si l’on s’en tient à la signification étymologique du mot, qui paraît la plus rationnelle et la seule digne d’être retenue, un miracle est un fait extraordinaire, en contradiction apparente avec ce que l’on observe habituellement, et qui, en raison de son extrême rareté,