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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/248

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MIS
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poursuite : il fuit qui le recherche, échappe à qui le tient, pour s’évanouir lorsqu’on croit le saisir à la gorge… Plaisirs ou douleurs ne sont qu’apparence affective, revers sentimental d’un travail profond de perfectionnement ou de destruction. Boire et manger conduisent à refaire nos forces ; jouir des saveurs reste un accessoire. Et les délices enivrants de l’amour aboutissent à la procréation : piège heureux pour l’espèce, bien que parfois, fatal aux infortunés parents. Légendaires sont les noces tragiques de l’abeille-mère qui arrache, en plein ciel, les entrailles de son amant ; l’histoire des insectes est fertile en récits analogues. Semblable à la fleur carnivore des tropiques, l’amour attire par sa couleur et son parfum, souvent, comme elle, il devient le tombeau de l’imprudent que retint son calice. » (A la Recherche du Bonheur.) Mais pour dissiper les mirages, qu’il s’agisse de ceux du cœur ou de ceux des sens, l’homme possède une lumière infiniment précieuse, celle de la raison. C’est en vain qu’un Bergson, qu’un James ont voulu l’obscurcir ; toutes les fumées mystiques, accumulées par les farceurs à la solde des Églises ou des Académies, se dissipent lentement sans que ses clairs rayons aient rien perdu de leur vivifiante énergie. Un Brunetière proclamant la faillite de la science nous apparaît grotesque ; seuls un sorbonnard, un académicien ou un ancien élève des Jésuites peuvent ignorer que la valeur de nos connaissances positives s’avère tout ensemble certaine et relative. Mais les hommes préfèrent souvent de creux mirages à la dure vérité ; ils acclament qui les trompe et se détournent de qui les éclaire. — L. B.


MISÉRABLE (du lat. miserabilus), adj. et subs. Malheureux digne de pitié. Nous le sommes tous ; un peu plus ou moins nous avons droit à la pitié mutuelle et nous n’avons pas à la refuser à d’autres, si nous entendons que nul n’est misérable uniquement par sa faute. Dans l’antiquité, le misérable était une victime de la fatalité. Il y en avait parmi les maîtres et parmi les esclaves. On le pouvait devenir du jour au lendemain aussi bien jadis qu’aujourd’hui. Selon Pascal, on est d’autant plus misérable que l’on est tombé de plus haut. Selon Voltaire, tout misérable est digne de pitié :

« Plaignez, n’outragez pas le mortel ’misérable’,
Qu’un oubli d’un moment a pu rendre coupable. »

La charité chrétienne se fait gloire de secourir les misérables. La solidarité sociale, comme nous la comprenons s’attache à supprimer les causes engendrant les misérables.

Le mot s’applique fréquemment aux choses : Une vie misérable ; une fin misérable.

Au sens figuré se présente une signification particulière et individuelle, différant avec le sentiment caché derrière ce mot. Ce qui est misérable pour un individu de conception bourgeoise, de mentalité quelconque n’a plus la même signification dans la bouche d’un homme d’idées avancées et libres. Nous ne pouvons pas dire que la vie et la mort de la plupart des apôtres et des martyrs de la Muse anarchiste furent misérables, puisque nous estimons qu’ils ont vécu et qu’ils sont morts en beauté. Mais nous prenons à la lettre le sens que lui donne la bourgeoisie quand elle qualifie de misérable leur existence, si l’on entend par là qu’ils n’ont pas profité de leurs idées et de leur apostolat pour vivre bourgeoisement selon l’expression qui s’attache à ce mot. Il n’y a pas déchéance, mais souvent grandeur à vivre en misérable ; en n’exploitant personne, en restant digne et fier, content de peu, mais heureux et riche de ses belles et généreuses idées, fussent-elles pour longtemps encore chimériques à cause de l’ignorance et de

l’inconscience des misérables inaptes à les comprendre et à les vivre.

Les Misérables. Roman de Victor Hugo, dont les lignes suivantes, tirées de la Préface, suffisent à dire toute la pensée : « Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale… ; tant que les trois problèmes du siècle : la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant qu’il y aura ignorance et misère, les livres de la nature de celui-ci ne seront pas inutiles »…

Avec le poète et nombre de penseurs, nous croyons que « les misérables ont fait souvent de grandes choses ». Et, comme Labruyère, nous pensons : « qu’il vaut mieux s’exposer à l’ingratitude que de manquer aux misérables ». Mais nous déclarons que sont bien méprisables les misérables qui s’enrichissent du bien des pauvres. Sus aux profiteurs qui dupent, bernent, pillent les misérables. — G. Y.


MISÈRE (du lat. f. miseria), n. f. Ce mot prête souvent à confusion pour qui n’est pas habitué à l’ironie de certains mots français et à leurs multiples sens.

Le Dictionnaire Larousse donne, sur celui-ci, les indications suivantes : « État digne de pitié ; 1o par le malheur : la misère de Napoléon à Sainte-Hélène ; 2o par la pauvreté : la misère porte au désespoir (Pascal). C’est une la misère que d’avoir affaire aux gens de lois. — Que de misère l’on imprime. — La richesse a ses misères. — Poétiquement : La vile Oisiveté est fille de misère (A. de Musset). — La misère de l’homme se conclut de sa grandeur (Pascal). — La terre où les hommes sont livrés à toutes sortes de maux, est souvent appelée : Vallée de misères. »

Misère et compagnie, est un terme populaire qui dit bien que la misère engendre la misère. Reprendre le collier de misère veut dire qu’après un repos, un congé, un répit, il faut retourner au travail forcé.

Crier Misère n’est pas une solution au mal. C’est souvent un moyen hypocrite d’apitoyer ou de tromper les gens. Par des dehors misérables, un égoïste, un avare, un peureux cachent leurs biens assez souvent mal acquis, peut-être par des profits inavouables, une exploitation honteuse de leurs semblables. Ils craignent les envieux et les curieux.

Enfin, il y a encore la misère physiologique qui découle souvent de la Misère elle-même, par l’hérédité, le surmenage, le manque d’hygiène. C’est la Misère sociale qui s’affiche ainsi par ses victimes.

La vie large, naturelle, saine peut, seule, apporter remède à cette misère-là… Pourtant, bien qu’on parle beaucoup des bienfaits que verserait une existence moins douloureuse et délivrée de la privation, ce sont toujours les parasites sociaux qui profitent, jusqu’à crever de pléthore, des richesses acquises et accumulées par le travail de la multitude. Ce sont ceux qui ne travaillent pas et qu’aucun labeur utile ne lasse qui, chaque année, vont à la mer, à la montagne. Ils ont besoin de vacances, de repos, sans doute pour réparer les fatigues de ceux qui les entretiennent… Et la misère continue.

La misère, elle est le résultat de l’ esclavage, sous la forme du salaire… Elle ne peut disparaître qu’avec la suppression du patronat et du salariat. Tant que le travailleur n’aura pas su s’éduquer, s’organiser et, par l’union des exploités, se dresser pour supprimer l’exploitation, la misère subsistera, se perpétuera, s’aggravera. Ce n’est pas avec des malheureux prostrés par le travail et l’ignorance qu’on peut espérer transformer le monde et rendre socialement bon ce qui trouble aujourd’hui la vie et les rapports humains. Ce n’est pas rêver, en mystique, à la perfection des hommes que de vouloir d’abord supprimer les causes de leur misère. Il n’y a