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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/250

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MIS
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mine ; que, par conséquent, il existe là-dessous une cause secrète que vous n’apercevez pas, vous dissimulez et ne cessez de mettre en avant la théorie de Malthus ! Mais nous vous signalerons à la défiance des travailleurs ; nous redirons partout, avec un éclat de tonnerre : L’Economie politique est l’organisation de la misère ; et les apôtres du vol, les pourvoyeurs de la mort, ce sont les économistes. Il est prouvé désormais que cette nécessité de la misère, qui tout à l’heure nous a plongés dans la consternation, n’est point absolue ; c’est, comme dit l’école, une nécessité de contingence. Contre toute probabilité, la société souffre de cela même qui devrait faire son salut. Toujours la misère est prématurée, toujours le paupérisme anticipe. A l’encontre du sauvage, à qui la disette vient par l’inertie, elle nous vient à nous par l’action, et notre travail ajoute sans cesse à notre indigence. L’équilibre n’ayant pu être atteint, il ne reste d’espoir que dans une solution intégrale qui, synthétisant les théories, rende au travail son efficacité, et à chacun de ses organes sa puissance. Jusque-là, le paupérisme reste aussi invinciblement attaché au travail que la misère l’est à la fainéantise, et toutes nos récriminations contre la Providence ne prouvent que notre imbécillité. Depuis cinquante ans, observe E. Buret et, après lui, Fix, la richesse nationale en France a quintuplé, tandis que la population ne s’est pas accrue de moitié. À ce compte, la richesse aurait marché dix fois plus vite que la population. D’où vient qu’au lieu de se réduire proportionnellement, la misère s’est accrue ? Les crimes et délits, comme le suicide, les maladies et l’abrutissement, sont les portes par où s’écoule la misère. D’après les chiffres officiels, l’accroissement moyen de la population étant 5 p. 1.000 celui de la criminalité, somme totale, 31.2, il s’ensuit que le paupérisme arrive sur nous six fois et un quart plus vite que, d’après la théorie de Malthus, on n’avait lieu de l’attendre. A quoi tient cette disproportion ? La même chose se prouve d’une autre manière.

En général, les nations occupent, sur l’échelle de la misère, le même rang que sur l’échelle de la richesse. En Angleterre, on compte un indigent sur cinq personnes ; en Belgique et dans le département du Nord, un sur six ; en France, un sur neuf ; en Espagne et en Italie, un sur trente ; en Turquie, un sur quarante ; en Russie, un sur cent ; l’Irlande et l’Amérique du Nord, l’une et l’autre placées dans des conditions exceptionnelles et tout opposées, présentent, la première, la proportion effrayante d’un et même plus sur deux ; la seconde un et peut-être encore moins sur mille. Ainsi, dans tous les pays de population agglomérée, où l’économie politique fonctionne régulièrement, la misère se compose exclusivement du déficit causé par la propriété à la classe travailleuse. »

Les tendances de l’économie politique, si vigoureusement fustigées par Proudhon, n’ont fait que s’accentuer. Plus un pays est riche et plus la grande partie de ses habitants vit dans la misère : vols, meurtres, suicides, « portes par où s’écoule la misère » vont sans cesse en augmentant. Périodiquement, la grande presse fait écho aux angoisses capitalistes et déplore que le blé, le vin soient abondants. L’industrie, comme l’agriculture, souffre de pléthore. Il y a de toute marchandise en trop grande quantité. La vente n’est jamais suffisante pour compenser la production. Bientôt, tous les marchés seront accaparés, et il s’établit autour du moindre petit peuple, client possible, des concurrences inouïes, brutales, déclenchant parfois et de plus en plus souvent des guerres atroces. Faute d’acheteurs pour leurs produits, des industries jettent sur le pavé pour des mois, des centaines de mille de travailleurs qui vivront dans la misère la plus féroce.

Le machinisme se développant sans cesse augmente,

contuple la production, supprime la main-d’œuvre, jette sur le marché du travail des bras en quantité qui s’offrent, nécessairement, au plus bas prix, avilissant encore des salaires cependant bien minimes, enlevant à la classe la plus importante de la société tout moyen de consommer ces produits qui manquent de consommateurs. Et cependant, malgré la misère qu’il crée et les embarras qu’il suscite aux gouvernements et aux capitalistes, le machinisme ne peut être repoussé sous peine de voir péricliter puis disparaître toute industrie sous la concurrence des industries étrangères capables, dans la misère de leurs ouvriers, de trouver des produits coûtant si peu et pouvant, par conséquent, se vendre au minimum. En vain, on garantira l’industrie ou l’agriculture par un système de douane : protectionnisme ne vaut pas mieux que libre-échange (voir ces mots).

Le grand mal dont souffrent les sociétés modernes, c’est la propriété. On produit uniquement pour vendre et non point pour consommer. Devant des filatures qui ferment leurs portes pour cause de mévente, des centaines de mille de prolétaires défilent, vêtus de hardes infâmes, faute de pouvoir en acheter d’autres. Et ainsi pour le cultivateur, le mégissier, le chausseur, l’éleveur, etc…

Une société où la misère existe en permanence, au milieu de richesses parfaitement inemployées, est une société d’abrutis, d’ignorants ou de fous. Seul un renversement total des valeurs, seule une Révolution pourra supprimer la misère en soumettant définitivement la production à la consommation, en ne produisant plus pour négocier, mais pour satisfaire des besoins. — A. Lapeyre.


MISÉREUX n. m. (rad. misère). C’est encore un vieux mot repris de nos jours, surtout dans les milieux que préoccupe la question sociale. Il est synonyme de misérable, mais à la commisération qu’il traduit se mêle une protestation et comme une pointe de révolte. Il s’emploie fréquemment dans le monde ouvrier. Les écrivains qui usent de ce mot ont l’intention bien marquée de ne point lui donner le sens de vil et de méprisable qui accompagne si facilement le mot misérable. Quelque part, Séverine a employé cette phrase : « Il est d’autres parias que les miséreux en bourgeron », Cela signifiait qu’il y a d’autres exploités que les ouvriers d’usines. Il y a les employés de commerce, d’administration, diverses catégories de fonctionnaires de l’État, de la ville, des banques, etc., etc. En un mot, il y a des miséreux partout où il y a des exploités.

Ces miséreux sont des nôtres. Travailleurs sous le joug de l’exploitation et de l’autorité, quels que soient vos bourreaux et la misère dont vous souffrez ; unissez-vous pour être forts ; ne vous laissez pas dominer par la détresse. — G. Y.


MISSION n. f. (du lat. mittere, envoyer). Présentement le mot mission s’emploie dans les domaines les plus divers. Nous parlerons des missions religieuses surtout, un peu aussi des missions militaires et scientifiques.

C’est à évangéliser Israël, non à conquérir le monde entier que songeaient les premiers apôtres de Jésus. Mais les Juifs, ceux qui avaient émigré au dehors comme ceux de Palestine, mirent peu d’empressement à se convertir. Par contre les prosélytes venus du paganisme accueillirent avec joie la nouvelle doctrine, et Paul se tourna franchement vers eux. Malgré les récriminations de Pierre et des chrétiens de Jérusalem, attachés au particularisme juif, il abandonna la loi mosaïque et dispensa les gentils de la circoncision et des autres rites chers à la Synagogue. Ce coup d’audace assurera le triomphe du messianisme chrétien,