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MOR
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sentir relié moralement à elle, même pendant une absence prolongée. Le point délicat consiste à mesurer ce que les forces de l’enfant lui permettent de supporter en fait de séparation. Le danger serait que l’instinct conservateur ne s’affolât chez lui… D’un autre côté, l’affection maternelle, par sa, vivacité, éveille toujours un mouvement réciproque chez le petit et, si cette réciprocité venait à manquer trop, l’enfant ne sortirait pas assez vite de la pure animalité…

« La deuxième partie de la tâche… consiste à étendre l’attachement à d’autres êtres que la mère… Comme l’habitude de supporter l’absence de la mère, celle de se trouver en compagnie de gens autres que celle-ci ne s’acquiert que par étapes successives. Les divers membres de la famille, les amis, les voisins se trouvent naturellement désignés pour cet apprentissage. Mais une condition indispensable est à observer. Pour que l’instinct conservateur ne s’alarme point, il faut, surtout au début, surtout si l’enfant s’annonce craintif, le rassurer par beaucoup de douceur dans l’attitude et le ton de voix. »

Il faut que, peu à peu, l’enfant s’habitue à la société de ses égaux (ses petits camarades), des grandes personnes qui doivent « se faire elles-mêmes un peu enfants » et des animaux. « Tous ceux qui ont observé de jeunes enfants savent que ceux-ci prêtent aux animaux une âme semblable à la leur, qu’ils leur adressent des discours remplis de conviction, et que ces mouvements de sympathie se trouvent souvent payés de retour. Pareils jeux me semblent très favorables à cette extériorisation de la personnalité, où je vois le premier résultat qu’il faille se proposer d’atteindre. Mais on fera en sorte que l’enfant se comporte avec douceur… »

X. Il faut créer des habitudes morales. Autorité et exemple. quelques conseils. — La culture et l’extension du besoin d’attachement n’est pas seulement la première préparation de l’enfant à la vie sociale, elle est encore un moyen d’agir sur l’enfant avec un minimum de contrainte.

L’enfant n’est pas un être totalement mauvais qu’il faut corriger mais sa nature n’est pas non plus foncièrement bonne et il ne faut pas trop s’en rapporter à la vie et aux sanctions naturelles — souvent dangereuses — pour sa formation morale. Il y a, en tout enfant, des tendances naturelles qui sont mauvaises, au moins sous la forme où elles se présentent, il faut modifier ces tendances si l’on veut obtenir quelques changements dans la manière d’agir de l’enfant.

« L’éducation morale, dit Binet, ne consiste pas seulement à suggérer des idées justes, larges et humaines ; elle ne consiste pas seulement à faire naître, au moyen de paroles appropriées, des sentiments louables. Ni les idées, ni les sentiments ne suffisent ; il faut encore que l’action s’ensuive. Un être bien éduqué moralement est celui qui agit d’une manière morale… L’action isolée ne suffit pas… Il faut que l’action se répète qu’elle s’organise, qu’elle devienne une manière d’agir qui n’exige point d’effort, qui se fait naturellement. Le résultat n’est pas atteint tant qu’on n’a pas créé une habitude. » (Les Idées Modernes sur les Enfants, pp. 309-310.)

L’emploi des idées, l’utilisation de la sensibilité enfantine, sont sans doute des moyens de parvenir à ce résultat, mais ils ne conviennent pas avec des jeunes enfants : « l’enfant, avant sept ans, écrit M. Prevost, ne saurait discuter, ni comprendre ces mystérieuses règles morales qui déroutent parfois la réflexion des adultes eux-mêmes. »

L’enseignement moral aux petits enfants n’a que deux procédés efficaces : L’un est l’affirmation. L’autre est l’exemple.

… L’enfant s’accroche volontiers à une main solide ; il se laisse emporter joyeusement dans des bras fermes.

Mais il se méfie des mains qui tremblent ; il pleure quand des bras débiles veulent le lever de terre. L’enfant respecte et chérit la force physique, dès qu’il sait que cette force est coalisée avec sa propre faiblesse. Pareillement, dans le domaine moral, l’enfant apprécie la netteté, la fermeté, la décision, la force de ceux qui le gouvernent. Son instinct lui révèle qu’avec de tels gouverneurs, il a plus de sécurité…

… Les deux préceptes essentiels qui contiennent toute la morale enfantine, c’est : 1° « Il faut obéir » ; 2° « Il ne faut pas mentir. » … Ces deux préceptes contiennent bien toute la morale enfantine, car ils sont la condition essentielle de l’éducation, c’est-à-dire du perfectionnement moral de l’enfant. Si l’enfant désobéit ou s’il ment, vos moyens d’agir sur lui seront paralysés… … L’exemple. Ce second agent de l’éducation morale des enfants… est assurément le plus énergique. Seulement, la paresse éducatrice de bien des parents, une paresse qui mérite ici le nom de lâcheté, en rend l’usage moins commun. Trop souvent même l’exemple contredit l’affirmation. » (Lettres à Françoise, maman.)

Tout ce que nous venons d’extraire des « Lettres à Françoise maman » nous paraît fort juste, mais nous n’en saurions dire autant des moyens employés par le même auteur pour combattre la désobéissance et le mensonge. Plus utiles aux parents éducateurs seraient les conseils de D. C. Fisher (Les enfants et les mères), et ceux que nous avons trouvés dans une brochure publiée par le Comité national suisse d’hygiène mentale : « Comment l’enfant prend ses habitudes ».

« Les habitudes, chez l’enfant, dépendent beaucoup des influences que le milieu ou les circonstances ont sur son esprit. En effet, sa mentalité est extrêmement formable plastique et prompte à accepter des suggestions ainsi qu’à imiter ce qu’il voit et entend. C’est pourquoi l’enfance est le meilleur moment pour tacher d’établir les habitudes désirables et changer ou éliminer les tendances qui, dans la vie ultérieure, pourraient se révéler désavantageuses. La plasticité de l’esprit humain diminuant rapidement avec les années, c’est donc dans l’enfance qu’il faut prévenir l’éclosion des mauvaises habitudes. »

De cette brochure, extrêmement riche en conseils, nous allons extraire presque tout ce qui a trait à l’obéissance, non seulement parce que le problème de l’obéissance est l’un des plus importants qui se posent à qui veut faire l’éducation des jeunes enfants, mais encore parce que nos lecteurs anarchistes risquent de confondre la liberté et le développement de la personnalité, qui sont des buts, avec les moyens éducatifs appropriés, puis, à la suite d’un échec, de revenir à des moyens de pure contrainte également mauvais.

« I. — Vous employez peut-être une mauvaise méthode pour vous faire obéir.

« 1° Observez-vous si l’enfant fait attention à ce que vous dites quand vous lui donnez un ordre ? Un enfant occupé à jouer peut parfaitement ignorer que vous lui parlez. 2° Lui donnez-vous des ordres sans avoir l’intention ferme de les faire exécuter ? L’enfant s’en aperçoit bien vite et ne se donne plus la peine de les écouter. 3° Lui permettez-vous aujourd’hui une chose pour laquelle vous le punirez demain ? Si l’enfant ne sait pas exactement et toujours ce qu’il doit faire, il sera fortement tenté d’essayer la chose défendue. 4° Promettez-vous à l’enfant des récompenses pour le faire obéir ? Si vous avez cette habitude, c’est une bonne affaire pour lui que de ne pas obéir et de se faire payer toujours plus cher son obéissance. 5° Essayez-vous d’effrayer l’enfant pour lui faire exécuter ce que vous commandez ? Au début il est possible que la peur le fasse obéir vivement, mais, ou bien il s’habituera, assez vite à l’objet de sa peur et n’y fera plus attention ou bien il deviendra un enfant timide et nerveux. 6° Rendez-vous la désobéissance intéressante par l’excitation des con-