Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MUT
1743

protection contre ces éléments sera assurée par les mesures ordinaires que la société est toujours dans l’obligation de prendre pour la sauvegarde des vies et de la propriété de ses membres.

« Quand la société aura pu obtenir une sécurité approximative du genre de celle esquissée ci-dessus (une sécurité de ce genre n’est jamais absolue) ; lorsqu’elle aura développé la conscience de ses membres à un tel point qu’ils ne trouveront plus aucun plaisir dans la coercition de leurs semblables ou dans leur possession de moins d’occasions d’exercer de leurs facultés qu’ils en possèdent eux-mêmes, nous en serons alors au seuil de l’adhésion du principe de l’égale liberté, et sa mise en pratique sera relativement facile.

« La conception la plus élevée de la liberté consiste donc en la plus grande somme de liberté individuelle qui se puisse obtenir ; car vivre sa vie il l’extrême limite possible est ce que chacun désire, ouvertement ou secrètement, qui le réalise ou non. C’est la seule façon de retirer de la vie une satisfaction ; et tous les hommes sont avides de satisfaction et de bonheur.

« Il y a divers ismes qui enseignent que la société, en général, peut tirer un meilleur avantage en soumettant (plus ou moins complètement) l’individu à un état central, gouvernement, commune, ou tout autre système, peu importe le nom, de pouvoir contrôlant (lequel se présente toujours comme rationnel et bienveillant). Dans tous ces systèmes, on tient très peu compte de l’individu.

« La théorie mutualiste, d’autre part, affirme que les intérêts de la société, en général, sont mieux servis par les systèmes qui garantissent les intérêts de l’individu : absence de contrainte et de restriction aussi longtemps que les activités individuelles sont dépourvues de caractère agressif : élimination de tous les facteurs qui limitent artificiellement les possibilités de l’homme ; organisation volontaire de la société en associations lorsque les activités en vue dépassent la puissance d’un seul individu ; bref, création volontaire et échange mutuel de commodités dans des conditions excluant tous privilèges spéciaux et tous monopoles protégés par l’État.

« Le Mutualisme ne pourra être mis en application que lorsque l’attitude d’esprit générale le rendra possible. Ceci n’est pas écrit dans le but de ressusciter l’antique querelle concernant le changement de circonstances : s’il vaut mieux qu’il soit intellectuel ou moral, ou encore s’il faut attendre que les hommes naissent bons avant d’espérer des circonstances meilleures.

« Quant à la phase économique du Mutualisme, l’analyse peut démontrer que de grandes modifications en vue d’obtenir du mieux sont possibles ; mais il faut que les hommes sachent comment amener ces changements et qu’ils veuillent œuvrer dans cette intention. Cette croyance en une situation meilleure, en un système où les produits et les services sont échangés équitablement — c’est à dire sur une base mutuelle — au lieu de la méthode actuelle où chacun essaye de s’exploiter ou de se piller l’un l’autre ; cette croyance peut être appelée un changement d’attitude.

« Le Mutualisme est applicable à toutes les relations humaines. De la naissance à la mort, dans toutes les circonstances, la mutualité, l’association volontaire, pour l’action réciproque, peut s’appliquer partout, à tout moment, et servir à résoudre tous les problèmes des rapports sociaux, tous les litiges que peuvent soulever le commerce et l’industrie. Pour pratiquer le Mutualisme ou Mutuellisme, deux seules conditions sont nécessaires : 1° que l’individu non agresseur ne soit astreint à aucune sorte de coercition ; 2° qu’aucune portion du profit du travail d’autrui ne lui soit ôtée sans son consentement. De ces deux généralisations négatives, affirmant la souveraineté de l’individu, découle ce corollaire positif et constructeur : la réci-

procité, lequel corollaire implique initiative individuelle, libre contrat, association volontaire.

« Pour qu’il n’y ait aucune incertitude sur la signification du terme souveraineté de l’individu, nous dirons que nous l’employons ici comme synonyme du complet contrôle de l’individu non agresseur sur lui-même, ses affaires et le produit de son travail.

« En deux mots, le Mutualisme ou Mutuellisme est un système social fondé sur l’exercice de rapports réciproques et non agressifs entre individus libres.

« Les principaux points du programme mutualiste ou mutuelliste sont donc :

« Au point de vue individuel : liberté égale pour tous — en l’absence d’agression ou d’empiètement d’autrui ;

« Au point de vue économique : réciprocité illimitée, impliquant liberté d’échange et de contrat — en l’absence de tout monopole ou privilège ;

« Au point de vue social : liberté absolue d’association volontaire — en l’absence de toute organisation coercitive. »

Nous terminerons cet exposé par un court extrait d’un livre publié en 1875 par William B. Greene, un proudhonien de la première heure, qui, déjà en 1849, propageait la notion de la « banque mutuelle » — extrait où l’auteur décrit la différence existant entre le Communisme et le Mutualisme :

« Le premier pas bien marqué dans le progrès humain résulte de la division du travail. C’est la caractéristique de la division du travail et de la distribution économique des diverses occupations, que chaque individu tend à faire précisément ce que les autres ne font pas. Dès que le travail est divisé, le communisme cesse nécessairement et c’est alors que naît le mutualisme, négation du communisme, — le Mutualisme, c’est-à-dire la corrélation réciproque des unités humaines de chacun à autrui et d’autrui à chacun dans un but commun. La marche du progrès social va du communisme au mutualisme.

« Le Communisme sacrifie l’individu pour obtenir l’unité de l’ensemble. Le Mutualisme considère l’individualisme illimité comme la condition primordiale et essentielle de son existence. Le Mutualisme coordonne les individus sans aucun sacrifice pour l’individualité en un ensemble collectif au moyen d’une confédération spontanée — ou solidarité. Le Communisme est l’idéal du passé, le Mutualisme celui de l’avenir. C’est devant nous qu’est le jardin d’Eden, comme une chose à édifier et à atteindre ; ce n’est pas une chose derrière nous, un état perdu le jour où le travail a été divisé, les activités distribuées, l’individualisme encouragé et que le Communisme (ordre social purement animal et instinctif) s’est prononcé contre lui en s’écriant : « Mortel, tu es condamné à mourir. »

« L’assurance mutuelle a démontré, par l’exemple pratique, un peu de la nature, de la portée et du fonctionnement du principe mutualiste. Lorsque la monnaie aura été mutualisée grâce aux banques mutuelles, que le taux de l’argent prêté aura été réduit à zéro, il deviendra possible de généraliser l’assurance mutuelle, l’appliquant à toutes les contingences de la vie, de sorte que les hommes, au lieu d’être des ennemis les uns pour les autres — comme ils le sont actuellement — se fédèreront. Si l’un d’entre eux est victime d’une perte accidentelle, cette perte lui sera compensée par tous les autres, partagée par l’ensemble : si un gain accidentel échet à l’un d’eux, il deviendra le lot de l’ensemble, partagé entre tous.

« Avec le système mutualiste, chaque individu reçoit le salaire juste et exact de son travail. Tout service qui peut s’équivaloir en coût étant échangeable pour des services s’équivalant en coût, sans bénéfice ni escompte. Tout ce que le travailleur individuel peut ensuite obtenir en surplus de ce qu’il a gagné lui est