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de son œuvre ; les ouvrages abondent qui peuvent être consultés à ce sujet. Nous dirons seulement que le naturalisme littéraire contemporain n’a pris toute son importance que par la grandeur de son œuvre qui brave le temps aussi bien que celle de Balzac et de Flaubert. D’autres ont été plus artistes, tels Maupassant et Huysmans ; un Camille Lemonnier a été plus lyrique ; aucun n’a possédé une telle puissance d’évocation des masses, de leurs sentiments, de leurs mouvements, de toutes les manifestations de la vie collective. Il a fait du roman une véritable épopée du labeur tant de la nature que de la foule humaine. Il n’a reculé devant aucun sujet ni détail réalistes, — ce qui lui a valu d’être traité de « scatologue » par des onanistes intellectuels, — mais il s’est élevé jusqu’à l’idéalisme anticipatif d’une société future réalisant, par le travail selon Fourier et dans la fécondité de la terre et de l’espèce humaine, la justice sociale. Idéaliste, Zola fut encore plus vilipendé que réaliste, la justice étant une chose encore plus détestable que la scatologie pour les profiteurs du désordre social.

Réaliste ou idéaliste, l’œuvre de Zola est essentiellement naturaliste parce qu’elle est pénétrée, dans toute su substance, d’un magnifique et clair humanisme qui fait s’évanouir au-dessous de lui toutes les cafardises académiques et nationalistes, Octave Mirbeau a écrit sur Zola : « Son œuvre fut décriée, injuriée, maudite, parce qu’elle était belle et nue, parce qu’au mensonge poétique et religieux elle opposait l’éclatante, saine, forte vérité de la vie, et les réalités fécondes, constructrices, de la science et de la raison, On le traqua comme une bête fauve, jusque dans les temples de justice. On le hua, ou le frappa dans la rue, on l’exila : tout cela parce qu’au crime social triomphant, à la férocité catholique, à la barbarie nationaliste, il avait voulu, un jour de grand devoir, substituer la justice et l’amour. » (La 628-E 8, p. 95). Lorsqu’il atteint ces hauteurs : vérité, réalité, science, raison, le naturalisme ne se distingue plus de l’humanisme et du romantisme ; il se fond avec eux. Lorsqu’un homme parvient à cette foi et à ce courage pour défendre la justice et l’amour contre le crime social, ses instruments et ses bénéficiaires, il n’est plus d’une école, d’une époque, d’un pays ; il appartient à la pensée universelle, à tous les siècles, à toute l’humanité. Par delà le système de l’école naturaliste dont l’étroitesse n’a enchaîné que des disciples inférieurs, l’œuvre de Zola, s’évadant de sa formule scientiste et se répandant à toutes les formes de la vie, a atteint cet humanisme supérieur qui dépasse tous les idéalismes, où l’homme, magnifié par son propre effort, devient véritablement la conscience de la nature.

Il n’est plus, aujourd’hui, de science qui puisse s’abstraire du naturalisme. On peut en écarter un matérialisme qui a fini son temps en ce qu’il niait l’esprit ; on doit non moins écarter un spiritualisme qui est tout aussi périmé en ce qu’il sépare l’esprit de la matière et le met au-dessus d’elle. Les deux sont indissolublement unis dans la nature et dans les êtres sous les formes de l’énergie. Le naturalisme ne peut donc plus être matérialiste au sens étroit de ce mot ; il ne peut davantage voisiner avec un surnaturalisme dont l’imposture, inadmissible à la raison, est de plus démontrée par l’expérience. La concept ion d’un Dieu indépendant et maître de l’univers est aussi absurde que celle du néant ou celle de l’inertie d’une partie quelconque de cet univers. Ce peut être un jeu du snobisme de « croire parce que c’est absurde » ; il n’est plus possible à la raison de s’accorder avec cette mystification métaphysique. On a vainement cherché à réatteler la raison à la vieille carriole thomiste par toutes sortes de subterfuges ; on n’aura pas plus de succès en voulant l’annexer à ce « nouvel humanisme » pseudo-scientifique, à l’usage

des esprits délicats à qui répugnent le « laïcisme français » et le « barbare athéisme bolchevique ». (M. Gillouin, Nouvelles Littéraires, 18 avril 1931.) Ce prétendu « humanisme » n’est qu’un résidu fort avarié des méthodes de dressage à l’usage des prétendues élites appelées à commander dans l’état social. Il sent trop l’orthodoxie des encycliques contre les « vilains fétiches du libéralisme » ; il montre trop l’oreille de la politique papaline qui a l’insanité de voir en M. Mussolini « un homme envoyé par la Providence » ! et la matraque des décerveleurs qui hurlent « Vive le roi ! » et « À bas les Juifs ! » L’expérience historique nous a trop appris quelle espèce de monstre — inquisition et bûcher — engendre le singulier accouplement de la « raison » et de la « sainteté » que M. Gillouin essaie de provoquer aujourd’hui pour servir à son « nouvel humanisme ».

L’école naturaliste, sinon le naturalisme qui a derrière et devant lui l’éternité de la vie, est morte de la banqueroute républicaine précipitée la débâcle du dreyfusisme et consommée par la guerre de 1914. Une autre école s’est présentée qui n’en fut qu’un bien anémique rejeton, malgré le ton bouillant de ses proclamations, la juvénile ardeur avec laquelle elle se proposait de changer la face du monde par une nouvelle esthétique. Ce fut l’école naturiste aux environs de 1900. Il serait cruel d’insister sur son avortement. Après avoir annoncé la « Révolution comme origine et comme fin du naturisme », (M. de Bouhélier), les « rédempteurs » que nous offrait cette école finissent aujourd’hui dans l’admiration de feu Clemenceau !…

Nous ne présenterons pas les faisandages du futurisme, du dadaïsme, du surréalisme, qui suivirent, comme des manifestations naturalistes. Au contraire. Nous ne les mentionnons que pour donner l’idée du genre d’art et de littérature que pouvait produire l’acquiescement à la greffe et à la réaction bourgeoise politico-religieuse. Encore plus bruyante que le Naturisme, les manifestations lie de M. Marinetti et de ses disciples furent de la vaseuse loufoquerie en attendant de devenir une adhésion sociale au fascisme. Elles furent plus éphémères. Aujourd’hui on a le Populisme. Il est sorti du cinquantenaire des Soirées de Médan qui a fait redécouvrir le naturalisme à quelques littérateurs incertains de leur voie. Il s’annonce contre la littérature « petite secousse » et « mouvement de menton patriotique » que les disciples de feu Barrès entretiennent pieusement pour des fins patriotiques et mercantiles. Attendons le populisme à ses œuvres. Jusqu’ici il a commencé par où les littératures finissent, par la fondation d’un prix offert aux ambitieux de la loterie littéraire. Ce n’est pas un bon signe.

Attendons aussi à ses œuvres l’art prolétarien qui, s’il peut exister dans la décomposition sociale actuelle, ne pourra qu’être une manifestation naturaliste. Mais il a, pour le moment, à se dégager de la confusion bolchevique où il est plongé.

Le vrai naturalisme ne prendra réellement sa place, toute sa place, que lorsqu’il sera l’expression d’une véritable humanité qui fera l’homme libre, conscient de ses forces, de ses droits et de ses devoirs, pour réaliser une vie harmonieuse au sein de la nature. C’est dire qu’il n’a pas fini de subir l’assaut des mystagogues et de tous ceux qui prospèrent dans le parasitisme social. — Édouard Rothen.


NATURE n. f. (du latin Natura). Ce terme peut être compris dans des sens très différents, soit qu’il désigne d’une façon générale tout ce qui existe, soit qu’il indique plus particulièrement les qualités et l’essence propre de chaque objet examiné séparément.

Dans le premier cas, il serait presque synonyme d’univers, mais dans un sens plus restreint, plus humain, plus personnalisé, plus actif et matérialiste, et