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ble monstre s’il existait. Ses méditations les plus éthérées, ses plus sublimes extases n’ont jamais pu lui apporter des lumières seulement suffisantes pour concevoir un merveilleux représenté sous d’autres formes que celles de la nature. Quand on se trouve en présence d’une conversion, il n’est pas douteux qu’elle a été déterminée, soit par l’intérêt, soit par la sénilité mentale, soit par un mauvais fonctionnement stomacal ou intestinal. Les quatre grains d’ellébore du bon La Fontaine sont plus efficaces pour l’équilibre de l’esprit humain que toutes les casuistiques.

C’est « le mortel qui a fait l’immortel », dit le Rig-Veda. Ce sont les hommes qui ont créé les dieux, en même temps que les mythes dont ils sont les héros plus ou moins compliqués, depuis celui dont la puissance est dans le fétiche protecteur du primitif africain, depuis les innombrables esprits de la féerie panthéiste, jusqu’à l’Être Suprême, le Grand Horloger, l’Éternel, l’Unique. « La création des dieux est la plus naturelle, la plus secrète, la plus lente, la plus haute des œuvres de l’homme. C’est le suprême achèvement des expériences profondes. C’est le fruit mystérieux des sèves cachées. » (P.-L. Couchoud) Mais c’est aussi, quand l’homme arrive à la conception monothéiste, la manifestation de son orgueilleuse personnalité, l’instauration de son propre culte, l’adoration de lui-même, l’exacerbation mégalomane de l’individu qui ne se contente plus d’être une unité dans le Grand Tout, mais veut être l’Unité dominante, et qui lui fait créer cette divinité monstrueuse qui est pour l’humanité et pour toute la nature la plus épouvantable des calamités.

Toutefois, l’instinct primitif, naturel, est demeuré si profondément enraciné dans l’homme ; il porte si indélébilement le besoin d’une divinité particulière, d’un fétiche qui lui soit personnellement attaché, qu’il ne cesse de voir dans ce Dieu unique le protecteur spécial de sa race contre les autres races, de sa patrie contre les autres patries, de sa famille contre les autres familles, de lui-même contre autrui. Le monde entier sera peut-être frappé des pires catastrophes ; il a la certitude secrète que lui-même y échappera. De même que le totem protégeait ses ancêtres, le Dieu-Unique le protégera, lui, entre tous. Et souvent, même s’il n’est plus un primitif fétichiste « impuissant à concevoir une cause générale réglant les phénomènes naturels » (Nouveau Larousse), s’il paraît s’élever au-dessus de l’idolâtrie par une conception plus haute du divin, il ne comprend plus quand il est frappé comme les autres, et il s’effare, il proteste, il perd la foi. Jean Lorrain a raconté l’histoire de la prostituée toulonnaise qui va noyer dans le port la statuette de la Vierge à qui elle a vainement demandé de lui rendre « son homme » emprisonné à la suite de quelque vilaine aventure. De vieilles dames donnent le fouet à l’image de saint Antoine de Padoue et la mettent en pénitence dans les cabinets, parce que le saint ne leur a pas ramené le toutou échappé de leur giron. La littérature du moyen âge, les contes et le théâtre de la Vierge en particulier, abondent en naïvetés de ce genre. Une foule de pères et de mères ont eu besoin que la guerre leur tuât leurs propres fils pour comprendre l’abomination de cette ignominie que d’autres ne cessent pas de trouver « fraîche, joyeuse et divine » ! Quelle différence y a-t-il entre les solliciteurs de la Vierge, de saint Antoine de Padoue, du « Dieu des Armées », et ceux des fétiches ? Dent de singe ou médaille bénite, l’explication, si subtile qu’elle soit, des sorciers qui en font commerce, ne montre aucune distinction à faire parmi ceux qui les portent et en attendent protection.

Il n’est aucune religion qui n’ait son origine dans le naturisme et qui n’en continue les traditions lorsqu’elle veut atteindre les foules humaines. Maury, quand il disait que « le naturalisme a été le point de départ de la religion brahmanique et aussi des religions grecque,

latine, gauloise, germaine, slave », constatait que le naturalisme — en l’espèce le naturisme — est à la base de toutes les religions. Renan a vérifié que « les premières intuitions religieuses de la race indo-européenne furent essentiellement naturalistes », Le bouddhisme, en particulier, a conservé ce naturisme qui éveille « le désir de se perdre dans l’infini des choses ». (É. Reclus.)

L’animisme, dont on a. fait une philosophie ayant pour principe l’âme qui est en tout être vivant, a été la première doctrine métaphysique expliquant la vie ; il est toujours celle qui l’explique le plus simplement. Les études physiologiques contemporaines sont de plus en plus en concordance avec l’animisme polyzoïque qui voit, dans chaque organisme vivant, d’autres organismes également vivants. « Notre corps est une république de vies », a dit Fonsegrive résumant l’ouvrage de V. Perrier : Les Colonies animales. La science, d’accord avec la philosophie animiste, ne fait plus de distinction entre la force animatrice et la matière. Tout est âme et tout est esprit ; spiritualisme et matérialisme, animisme et organicisme, se confondent dans la vie universelle. L’animisme philosophique rejoint ainsi l’idée naturiste « d’une ressemblance originaire des conceptions chez tous les êtres organisés » et d’une égalité entre eux, hommes ou animaux, ceux-ci étant de par la définition même du mot : animal, les « possesseurs du souffle », ceux qui « ont une âme », tout comme ceux-là.

« L’humanité, dans sa radieuse jeunesse, créait des mythes ; spontanément elle animait la nature entière, personnifiait, humanisait toutes choses. Elle donnait une émotion, une pensée, une voix à cette goutte d’eau, à cette plume, à cette feuille que la froideur de notre raison nous fait paraître inanimée. Les poètes, alors, traduisaient en paroles humaines toutes les voix de l’univers, composaient ce que nous appelons les fables et qui est la plus vraie des vérités. » (Anatole France.) Toutes les fables, les légendes, les traditions du naturisme se retrouvent dans les religions. Les mythes forment le fond de leurs dogmes et de leurs cérémonies, quelles que soient les transformations qu’ils ont subies. « Quand on parle des religions antiques, on dit mythologie. Quand on parle de la religion chrétienne, on dit théologie. Au fond, les deux termes sont synonymes. Mythologie : théologie à laquelle on ne croit plus. Théologie : mythologie à laquelle on a foi. » (Couchoud).

L’idée de Dieu est sortie du culte du feu. Le feu, élément supérieur de la vie chez tous les peuples qui ont évolué, adoré dans le Soleil, est demeuré l’image de la fécondation et de la purification ; fécondation de la Terre et des intelligences, purification de la vie et des âmes en marche vers le progrès d’une vraie civilisation. Tous les dieux qui ont pris forme humaine sont nés au solstice d’hiver, quand le soleil recommence à monter vers le Zénith. Il en est de Jésus, « l’Agnus dei », comme des païens Mythra, Moloch, Horus, Apollon, Bouddha. Les paysans des Andrieux, dans les Alpes françaises, qui pratiquent encore l’offrande au Soleil comme leurs ancêtres préhistoriques, font les mêmes gestes que les mages bibliques à l’étable de Bethléem…

Le dogme abracadabrant de la Trinité, exploité par l’Église, n’a d’explication compréhensible que dans son origine naturiste. Sa première conception, la plus naturelle et la plus simple, est dans la représentation de la famille : le père, la mère et les enfants. Elle commença à être métaphysique, mais resta naturelle, dans l’unification du ciel, de la terre et de l’ensemble des êtres. Elle fut plus métaphysique avec les trois figures d’Aristote : le commencement, le milieu et la fin, de même avec la trimourdi indoue : la naissance, la destruction, la renaissance. Compliquée par les prêtres qui en ont fait un galimatias, elle a été dans le plus ancien culte védique la triade de Savitri, Maya et Vayou, dans le brahmanisme celle de Brahma, Shiva