Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
NEV
1797

ensemble. Bien que le mot de névropathie indique que l’élément morbide principal est le « nerf » il apparaît déjà clairement qu’il s’agit d’états ressortissant par essence au fonctionnement psychique et que le terme qui conviendrait mieux serait celui de cérébropathie.

Disons que, si nous envisageons l’élément purement nerveux, il s’agira ici de ce qu’on a appelé névroses et, si nous visons aussi le cerveau, il s’agira de ce qu’on a appelé psychonévroses et cérébropsychoses, états essentiellement chroniques où cerveau et sympathique sont intéressés ensemble.

C’est tout ce que nous pouvons dire en l’état de la science neuro-psychiatrique.

Pour objectiver pratiquement le sujet, je passerai en revue les plus communs de ces états.



Les nerveux. — Rien n’exprime mieux que ce mot qui fait partie du langage courant l’état névropathique dans sa forme impalpable, état qui se sent qui se devine, mieux qu’il ne se définit. Le flair et l’observation populaire suffisent à bien des cas. À nous de préciser si faire se peut.

Ce qu’entend le vulgaire par nerveux est l’état de celui qui réagit en toutes circonstances par des manifestations où les fonctions nerveuses jouent le principal rôle. Acceptons comme antonyme l’apathique, l’homme mou, naturellement inactif, l’insensible, le difficile à ébranler. Le nerveux sera vif, impétueux, susceptible, irritable, violent, bavard, désordonné, déséquilibré, ultra-sensible.

L’un et l’autre état évoquent, des tableaux très nets du point de vue intellectuel. Le premier sera l’état de l’individu équilibré, réfléchi, mais parfois aussi d’une intelligence peu vive ; l’apathique est souvent un esprit inerte et pauvre.

Le second donne l’impression de l’agité, parfois insupportable, mais dont la nervosité le dispose, comme tous les expansifs, à des opérations cérébrales d’une envergure importante, à des sensations d’art, à des sentiments exaltés, On se représente mal un génie apathique. La nervosité le caractérise plutôt.

On pressent qu’il est fort difficile de décrire ici le type parfait tenant le milieu entre les deux extrêmes. Mais on conçoit que la nervosité est déjà quelque chose de morbide. Elle constitue en fait la prédisposition, le tempérament.

Il y a un tempérament nerveux dont les manifestations exagérées seront précisément la névropathie. Celle-ci aura comme signes essentiels des troubles de l’humeur et du caractère, de la sensibilité morale, un déterminisme reposant presque exclusivement sur des facteurs d’ordre sentimental, passionnels on sensitifs et beaucoup moins le raisonnement et la logique, La vie moderne, entraînant par ses excès multiples un détraquement du système nerveux, est justement l’âge d’or de la névropathie. Rien n’escompte plus que le surmenage les divers modes de la sensibilité. La névropathie sera, par essence, la grande névrose de la sensibilité. Le commerce avec le névropathe, continuons à dire le nerveux, est l’une des conjonctures les plus pénibles de la vie en commun. La nervosité est un état qui se multiplie de jour en jour. Il est un humus sur lequel viendront germer d’autres états aux contours cliniquement plus déterminés, déjà étiquetés soit par le médecin soit par le profane.

La névropathie n’est donc pas le fait de quelques victimes seulement ; on peut dire qu’elle est une maladie collective et caractéristique de la régression des masses. Ce qu’on a appelé dégénérescence et qui existe sans conteste, a pour syndrome dominant la névropathie, prélude, on le conçoit, des grandes névroses cérébrales qui sont sur le chemin de la démence, laquelle démence équivaut à la mort sociale.

Toutes les complications de la vie sociale qui rendent celle-ci insupportable parce qu’elle traduisent une impuissance absolue d’adaptation, ont pour terrain commun un système nerveux spécifiquement irritable. Ce qu’on y voit dominer, c’est la puissance exagérée du réflexe : d’abord des centres sensitifs presque douloureusement hyper-esthésiques, puis un temps de réaction très court qui donne l’impression de l’impulsivité où l’inhibition volontaire n’a pas le temps d’intervenir ou intervient trop tard.

Ces sensibilités morbides sont à la base de tous les états passionnels qui défraient les chroniques de la vie journalière. C’est le terrain où germent tous les attentats à la paix publics ou privés. Que de situations internationales, nationales, familiales, dépendent des nerfs de ceux qui tiennent le volant de notre char !

La névropathie est une complication des civilisations ou de ce que l’on désigne sous ce nom. C’est dire qu’elle engendre les situations les plus contraires : splendides dans le cadre des arts et des sciences ; absurdes clans le cadre des créations de l’imagination ; magnanimes ou atroces dans le cadre de la vie sociale. De l’exaltation charitable de certains mystiques aux atrocités de la guerre il y a toute une gamme, vers le milieu de laquelle trouvera place l’homme moyen, conventionnellement normal. Il y a des héros dans tous les sens.

La névropathie, alliée fréquemment à d’autres manifestations d’une biologie morbide est bien une maladie héréditaire, constitutionnelle. La famille névropathique compte tous les ralentis et déséquilibres de la nutrition, tous les sujets à métabolisme perturbé : les arthritiques (mot aussi vague que névropathie), obèses, goutteux, diabétiques, eczémateux, lithiasiques, etc., etc.

Où localiser un tel mal ? Partout et nulle part. C’est toute la mécanique qui souffre, sous l’empire cependant d’un système nerveux central qui souffre davantage. Plus spécialement le système sympathique semble devoir être l’irrégulateur de cette désorganisation.

La cause ? Elle est lointaine et polymorphe, car elle ressortit à toutes les influence pernicieuses qui s’abattent sur l’ensemble de la population : tuberculose, syphilis ; surtout les grandes intoxications alimentaires ou autres.

Les alcooliques, les nicotinisés, les coktailisés, les opiomanes, les carnivores font souche de névropathes.



Émotivité. — Le terrain commun étant déblayé, voyons quelques végétations.

Les émotifs forment un groupe à part. La constitution émotive si joliment décrite par le docteur Dupré après le docteur Morel qui a fait en 1860 du délire émotif une maladie autonome, dont il localisa même l’origine, en vertu d’une intuition clinique tout à fait géniale, dans le système des ganglions sympathiques viscéraux, cette constitution est une des formes les plus répandue de la névropathie. Elle est essentiellement caractérisée par une prédominance des états émotionnels qui gouvernent tout le psychisme.

On sait le rôle énorme que jouent les émotions dans la vie morale. Normalement subjuguées, sauf rares exceptions, par la raison qui les canalise, les règle, les inhibe et les maintient dans un juste équilibre. Les émotions peuvent inversement devenir tyranniques. Autant elle pimentent et charment la vie quand elles sont le reflet d’un bonne santé morale, autant leur dérèglement peut devenir une torture. Ce n’est pas seulement dans les circonstances solennelles de la vie qu’elles débordent et qu’elles déchaînent les passions les plus redoutables, mais il advient qu’elles empoisonnent la vie mentale pour des futilités. Elles prennent très vite la forme très pénible de l’obsession. On sait combien ce phénomène est tyrannique. Il est jus-