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OBE
1813


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OBÉIR (du latin obedire). — Obéir, dit le Larousse, c’est se soumettre à la volonté d’un autre et l’exécuter, se laisser gouverner. Pour nous, obéir c’est cesser de vivre durant l’instant où nous sommes soumis à une volonté étrangère ; c’est cesser d’être entièrement « nous-même » ; c’est nous diminuer dans la proportion où s’augmente la puissance de celui qui commande. C’est encore s’annihiler, s’absorber dans une personnalité étrangère, c’est n’être plus qu’une force mécanique, un outil, une chose passive au service d’un dominateur.

L’organisation de la société actuelle est toute entière basée sur l’obéissance. Nous obéissons au maître (voir ce mot) qui nous emploie ou à ses satellites ; la femme obéit a son mari ; l’enfant se soumet aux codes civils et religieux de son pays, il se courbe devant les usages, les coutumes du milieu dans lequel il vit ; le soldat obéit à ses chefs comme le bon citoyen se soumet aux lois de son pays.

Pourtant nulle obéissance matérielle, celle des lois comme celle des individus, n’a sa force et sa raison en elle. Toutes ont leur origine dans une conception mentale. Aucune ne s’exerce par elle-même, toutes se basent sur des idées. Et c’est parce que l’homme se courbe devant ces idées, que lui-même a créées, qu’il obéit servilement à toutes les puissances d’autorité.

L’obéissance a deux phases distinctes : 1° On obéit parce qu’il est matériellement, impossible de ne pas le faire ; 2° On obéit parce que l’on croit devoir obéir.

Le premier cas ne se rencontre plus que rarement. Il ne se produit que lorsque, quelqu’un se sentant assez vigoureux pour imposer sa volonté, contraint un autre à lui obéir, à se soumettre à ses volontés. Dans l’état de vie presque animale où vécurent les premiers humains, cette volonté du plus fort fut pendant longtemps la loi suprême. Elle ne se reproduit aujourd’hui, que lorsqu’une personne désavantagée au point de vue physique est obligée de se plier aux exigences de quelqu’un, plus vigoureux et mieux bâti. Lorsqu’elle se pratique, c’est parce que les usages, la sanction morale et légale, un état de chose anormal le permettent. C’est pourquoi nous voyons toujours des mères corriger leurs enfants, des maris battre leurs épouses, des homme » robustes abuser de leurs forces pour molester leurs semblables, moins avantagés au point de vue physique. Cette obéissance n’implique aucune sanction morale, elle n’est que passagère et uniquement matérielle. Celui qui obéit se soumet, par crainte de la violence, en gardant la volonté bien nette d’agir à sa guise aussitôt qu’il sera hors de portée des représailles de celui qui le domine présentement. Ce genre de contrainte, cette forme de l’obéissance a dû se présenter et perdurer longtemps durant les premiers âges de l’humanité.. Pour céder la place, au second genre d’obéissance que nous allons examiner.

Ce n’est que plus tard, lorsque les conditions de leurs milieux ont permis aux hommes de commencer à réfléchir, que certains d’entre eux, à mentalité plus développée, plus intelligents et plus rusés que leurs congénères, ont éprouvé le désir de se faire obéir des autres, soit pour satisfaire leur intérêt égoïste, soit afin d’imposer au groupement dont il font partie l’idéal de vie

qui leur paraît convenir le mieux à leurs semblables. Mais il n’est plus question ici de soumettre les masses qui les entourent par la seule force physique qui, en l’occurrence, s’avoue inopérante. Il faut pouvoir courber la foule en lui fixant une ligne de conduite dont profit l’ignorance et la terreur des hommes inquiets en elle ne pourra, en aucun cas, se départir. Pour y parvenir il a suffi aux premiers dominateurs de mettre à face de la nature incompréhensible et terrible. Il a suffi d’imposer à l’imagination des humains la croyance en des entités mystérieuses chargées d’apporter elles-mêmes aux hommes des règles de conduite. La crainte, la terreur inspirée par l’inconnu, l’insaisissable à des cerveaux frustes, s’étendit ainsi à ceux qui parient en leur nom, à ceux qui expliquent la loi et exigent l’observation des ordres des premières divinités.

On obéira alors parce que l’on croira être obligé d’obéir.

L’homme acceptera par ignorance, cette obéissance basée sur des chimères, fondée par la ruse, comme, par ignorance aussi, il acceptera demain celles qui naîtront, lorsque la crainte qu’inspiraient les premiers invisibles commencera à disparaître. Par ces lois mystérieuses — tout entières issues du cerveau d’un égoïste intelligent et présentées comme l’expression d’une volonté extra-naturelle — les chefs vont, désormais, commander à l’homme en lui disant : « Tu dois obéir ». Le « Je veux » qui, auparavant, s’adressait au corps et auquel on pouvait toujours tenter de se soustraire, n’est plus ; l’homme a désormais, en lui une contrainte invisible, un fardeau pesant qui, en tous lieux et en tout temps, lui indiquera ce qu’il doit faire et ne pas faire : la voix des dieux — qui demain s’appellera Conscience — lui indiquera son devoir auquel il lui sera impossible, désormais, de se soustraire. Toujours depuis qu’il est sur la terre, l’homme a distingué dans l’amas des choses, celles qui lui procurent du plaisir et de la satisfaction et celles qui lui produisent de la douleur. Nul autre que lui-même ne lui a enseigné ce bien et ce mal naturels. Mais en s’appuyant sur la volonté exprimée par les dieux, volonté aussi indiscutable qu’incompréhensible, les maîtres s’efforcèrent de lui faire accepter comme l’expression même du bien, la résignation passive, la soumission aveugle, la douleur, le renoncement aux aspirations les plus naturelles, c’est-à-dire le Mal sous toutes ses formes. Par cette transformation, le mal officiel fut la vie elle-même, avec ses aspirations, ses désirs et ses joies, son besoin de liberté, sa curiosité des choses, ses nobles révoltes, son horreur de la souffrance, enfin tout ce qui est beau et vrai. Les premiers codes écrits ou non furent très différents suivant les milieux et les races où ils se formèrent ; ils subirent au cours des siècles, de nombreuses modifications, en rapport avec l’évolution des sociétés. Mais quelles que soient les lois et les puissances sociales auxquelles obéissent les hommes, il est hors de doute que leur force est subordonnée à l’acceptation d’un code moral, lequel code résulte, nous l’avons vu, des idées erronées que l’homme s’est fait du monde ambiant et de ses phénomènes. Les premiers législateurs, en imposant leurs codes au nom des dieux, n’eurent pas à en faire valoir la moralité ; les humains habitués à obéir à la