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ses désirs, mate ses vouloirs, brise ses impulsions pour obéir aux Autorités qu’il s’est données. Il diminue sa vie, l’enserre dans des barrières, la codifie, va à l’encontre du but qu’il devrait se proposer. La contrainte imposée à l’homme lui fait haïr la vie sociale et il ne se rend même pas compte de ses sentiments, mais ses actes en sont la fidèle manifestation et les besoins à l’expansion desquels il s’oppose, produisent, en se dénaturant, les perversions, les déviations de sentiments, toute cette foule d’actes anormaux et, néfastes que nous constatons au sein des sociétés ou il y a des gens qui commandent et d’autres qui obéissent. Pourtant, en naissant, l’homme n’a contracté aucune obligation ; il n’a acquiescé à aucune convention. Seule, la nécessité de recevoir l’aide d’autrui, l’a conduit à donner, au cours de sa, vie, quelque chose de lui en échange ; mais il y a loin de là à la prétention que s’arrogent les sociétés humaines de faire plier les individus sous des règles édictées par des gens morts, souvent, depuis des siècles..Seuls le savoir et la science sont capables d’indiquer à l’homme ce qui convient à sa nature, et l’absolu besoin que nous avons les uns des autres règle suffisamment les concessions mutuelles que nous devons faire pour notre plus grand bien à chacun en particulier. L’homme n’a pas de secours à attendre de l’extérieur, rien ne lui viendra que de lui-même. S’il veut réaliser son bonheur, s’exercer, à détruire tous les préjugés, toutes les entraves qui s’opposent à la liberté de ses actes, il est temps, grand temps, qu’il apprenne à désobéir. — Charles Alexandre.


OBJECTION (de conscience) et IDÉAL ANARCHISTE. S’il est une forme du « refus de servir » qui attire les sympathies d’une quantité d’humains, c’est bien celle de « l’Objection de Conscience ». Plusieurs raisons en sont la cause dont, a notre sens, les plus saillantes sont : la consonnance du qualificatif, l’esprit de paix qui s’en dégage, la valeur morale de ceux qui jusqu’alors s’en réclamèrent. Ces raisons amènent fatalement, autour de « l’idée », un assemblage hétéroclite de philosophes, de politiciens, de religieux, de libres-penseurs ; des adeptes de différentes formes politico-sociales, comme des négateurs de toute autorité, des évolutionnistes, des révolutionnaires, des libertaires, des anarchistes.

Les partisans de toutes ces tendances peuvent-ils dûment se poser en défenseurs de l’Objection de Conscience ? Pour pouvoir répondre impartialement à cette question, il est indispensable d’étudier les formes sous lesquelles se présente l’Objection de Conscience.

L’Objection de Conscience se présente sous trois formes bien distinctes, que nous qualifierons ainsi :

l’objection de Conscience à base légale ; l’objection de Conscience par système de remplacement ; l’objection de Conscience sans plus.

Idéologiquement et dans tous les cas, l’Objection de Conscience peut se manifester pour motif philosophique ou religieux ; mais si tous les objecteurs sont forcément antiguerriers, cela n’implique nullement qu’ils soient tous antimilitaristes. Aussi, si cette divergence permet d’apprécier leur geste différemment, elle crée, en même temps, un confusionnisme évidemment regrettable dont savent profiter maints politiciens.

L’Objection de Conscience à base légale est, comme son nom l’indique, un acte qui reçoit l’autorisation juridique et sociale d’accomplissement. Les auteurs s’en réclamant n’ont à subir nulle contrainte, nulle répression.

L’Objection de Conscience par système de remplacement permet à ses auteurs de refuser d’être soldats, tout en conditionnant leur refus à une acceptation de servir, pendant une durée égale ou supérieure, soit dans des

camps ou entreprises spéciales pour des travaux déclarés d’utilité publique, soit en périodes épidémiques ou catastrophiques.

L’Objection de Conscience sans plus ne comporte aucune alternative, aucune redevance. Elle est l’expression d’un pur idéal qui se manifeste par le refus catégorique d’être complice d’un acte honni. Les auteurs de ce geste ne veulent avoir recours à aucune compromission et sont donc susceptibles de subir toutes les répressions qui s’appliquent à leur geste.

Et c’est ainsi que l’Objection de Conscience, se présentant sous les formes les plus opposables, se trouve posséder des défenseurs dans toutes les branches sociales, philosophiques et religieuses (voir Conscience).

Le mot « légal » qualifiant un geste venant de la « Conscience », entache le geste expressif dans son essence première, en le ramenant à un simple geste normal, toléré, accepté. Le terme « remplacement » diminue d’autant le geste que celui-ci n’est admis, autorisé, que s’il est compensé. Légalité et remplacement n’ont, en plus, leur réelle valeur pratique qu’en temps de paix. La possibilité de la suppression de la légalité comme d’un système de remplacement pouvant s’effectuer rapidement et, au moment, même où le geste d’Objection aurait vraiment utilité humaine, par une simple loi qui abrogerait les premières, réduit à néant la valeur utilitaire de ces procédés.

Mais, en temps de paix, du fait de ces modalités d’interprétation, de sa possibilité d’adaptation par nombre d’humains de classes et d’idées différentes et opposées, des personnalités diverses se réclament de cet « Idéal » pour pouvoir concourir à des honneurs titrés, à des gloires éphémères mais sans risques de conquête, se complaisant à de vagues discours sans portée effective, tout en se créant des relations… affinitaires et… utilitaires.

Deux forces internationales puissantes qui auraient pu effectivement faire obstacle à la guerre, toutes deux se réclamant, en théorie, d’un idéal fraternel et humain, ont prouvé surabondamment leur lamentable faillite au moment de l’application de la théorie à la pratique. Ces deux forces sont : l’Église et la Franc-Maçonnerie.

On se rappelle le « faux » de l’Église qui, changeant, en juillet 1914, le 5° commandement de son Dieu, fit d’un ordre divin de ne pas tuer, un commandement acceptant le meurtre et l’assassinat. On se rappelle également que la Franc-Maçonnerie qui proclamait et proclame encore à chaque occasion son horreur de la guerre, non seulement accepta sans murmure ni opposition l’horrible boucherie, mais, présentement, après une aussi terrible leçon, admet encore des réserves de défense nationale : « Toutefois, en ce qui concerne le problème de la défense nationale, beaucoup parmi nous considèrent qu’au-dessus des droits de l’individu, il peut y avoir des nécessités sociales primordiales qui commandent exceptionnellement de sacrifier ces libertés individuelles et ils affirment que le souci de maintenir et de conserver la vie d’une nation peut justifier la dérogation a certains de nos principes essentiels. » R. Valfort (L’Objection de Conscience et l’esprit maçonnique.)

Reste l’Objection de Conscience, sans plus, celle que nous acceptons, celle que nous défendons. L’Objection de Conscience alégale et sans remplacement peut se présenter aussi bien sous la forme philosophique que religieuse. Les objecteurs peuvent être des déïstes, des tolstoïens, des chrétiens, comme ils peuvent se réclamer de l’idéal libertaire, anarchiste, antimilitariste. De toutes façons, c’est d’un idéal humanitaire qu’ils s’inspirent. Que leur philosophie vienne d’un commandement de fraternité tel que le : « Tu ne tueras point », de Jésus, ou d’une fraternité toute mystique ou morale, leur geste n’en reste pas moins d’une pureté d’idéal que nous savons apprécier.