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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/474

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1817

« Entre ma conscience qui m’interdit d’obéir aux prescriptions de la Loi et les sanctions que ne manquera pas de faire peser sur moi le refus inébranlable et permanent de me soumettre, mon choix est fait : j’écoute ma conscience.

« J’ai le ferme espoir que mon exemple sera suivi. Un jour viendra — c’est pour moi une certitude — où le nombre de ceux qui, comme moi, refuseront de servir sera si élevé, où l’idée seule de la Guerre suscitera, chez tout homme sain de corps et d’esprit, une telle réprobation, que les gouvernements reculeront devant la crainte de provoquer, s’ils décrétaient la guerre, une révolte de la Conscience publique si violente et si générale, qu’elle se traduirait par un soulèvement populaire dont aucune répression ne saurait avoir raison.

« Ce jour-là, l’objection de conscience s’étendra à la masse des travailleurs de tous les pays, qui se rendront enfin compte que, quelle que soit l’origine de la Guerre et quel qu’en soit le résultat, ils n’ont rien à y gagner et tout à y perdre. Cette masse se refusera à la tuerie insensée et criminelle dont, par son sang et par son travail, elle supporte tous les frais et subit toutes les conséquences.

« Quand, travaillée par une propagande inlassable et une action persévérante, la conscience collective sera animée d’une inébranlable volonté de Paix, la Guerre aura vécu, car elle sera devenue impossible, aucun gouvernement n’osant, alors, prendre la responsabilité de se jeter dans une aventure à ce point périlleuse, qu’il y aurait neuf chances sur dix pour qu’elle aboutît à une série d’insurrections qui emporteraient le Régime que la Guerre se propose de sauver et de fortifier.

« Je suis l’adversaire déterminé de tout État social basé sur l’Autorité, la Propriété, le Patriotisme et la Religion. Contre tout milieu social qui consacre l’oppression politique des Peuples et l’Exploitation économique des classes laborieuses, je suis en état d’insurrection permanente. L’occasion m’est offerte de donner à cet état de révolte morale un caractère immédiat et concret ; je saisis cette occasion ; et, à l’ordre qui m’est enjoint de me soumettre à l’obligation militaire, je réponds, sans hésitation et sans peur : non Serviam, je ne me soumettrai pas. Je n’écoute que ma conscience ; celle-ci me prescrit de m’insurger et je me révolte. »

C’est ainsi que s’affirme l’objection de Conscience spécifiquement anarchiste. — Sébastien Faure.


OBJET, OBJECTIF, OBJECTIVITÉ, OBJECTIVISME. — Objet : Ce qui est distinct du moi et que nous percevons particulièrement.

Objectif : L’ensemble des perceptions que nous reconnaissons distinctes du souvenir et déterminées par les expériences sensorielles.

Objectivité : Caractère de ce qui n’est pas souvenir, ou imagination, mais réalité issue des faits.

Objectivisme : Comportement humain se référant à l’expérience comme moyen de connaissance et de détermination.

La distinction du moi et du non moi a été le sujet de nombreuses études philosophiques tendant à préciser ce qui peut différencier le sujet de l’objet et permettre une définition exacte de ces deux concepts.

Actuellement, l’accord entre quelques philosophes paraît s’être réalisé sur cette conception de l’objectif et du subjectif : est objective toute idée universellement valable pour tous ; est subjective toute idée valable seulement pour un individu (Poincaré, Lalande, etc.).

En examinant ces définitions, on remarque qu’elles ne donnent aucunement l’idée de l’objectif ou du subjectif, mais qu’elles font simplement un double classement des idées ; de telle sorte que, si tous les humains pensaient qu’il y a un pont entre la terre et la lune,

cette pensée, ou représentation (quoique fausse) serait dite objective d’après cette définition. Les philosophes, auteurs de cette conception, diront que, précisément, pour qu’une telle pensée fût universelle, il faudrait qu’il y eût effectivement un pont entre la terre et la lune. Mais alors n’est-ce pas reconnaître que ce qui conditionne l’universalité d’une idée, c’est l’existence, hors du moi, de quelque chose non déterminé par ce moi, mais au contraire le déterminant ?

Or, cette façon de voir est rejetée par ces penseurs qui affirment que : « il n’y a pas de vérité possible pour le pur empirisme ». (J. Lachelier) et que toute vérité est une vérité de droit, non de fait.

On retrouve ici les éternelles erreurs de la vieille méthode introspective, appliquée par des hommes mûrs, chargés d’expériences vécues, et prenant pour de l’intuition ou de la raison pure, ce qui n’est que le fruit de l’empirisme même de leur vie passée.

Voici d’ailleurs ce raisonnement erroné : « Mais en quoi peut consister cette vérité de la chose ? Est-ce à être donnée, à être ? Mais d’abord c’est une grosse question (celle du rêve et de la veille, celle de l’idéalisme vulgaire) de savoir si la chose est réellement donnée, est réellement là. Mais supposons que la chose soit là, dans un espace ou réceptacle quelconque, hors de l’esprit, en sera-t-elle plus vraie pour cela ? Elle sera, si l’on veut, un fait ; mais une représentation qui est dans mon esprit et ne s’accorde pas avec cette chose est, elle aussi, un fait : lequel de ces deux faits a raison d’être ce qu’il est, et lequel a le tort de ne pas ressembler à l’autre ? Il faut donc bien en venir à l’idée d’une vérité intrinsèque, qui porte en elle-même sa raison d’être vraie, en un mot, à l’idée d’une représentation de droit. »

Nous voici ramené, avec cette absurde argumentation, à la raison pure de Kant, absolument inconditionnée et suspendue dans le vide par un miracle incompréhensible. Il appert pourtant immédiatement que le fait qui a incontestablement tort, c’est celui qui disparaît devant l’autre. Nos pensées ne changent point les faits ; ce sont eux, au contraire, qui changent nos pensées. Cette vérité, cette évidence, ce concept axiomatique échappe aux raisonneurs subtilement ténébreux, qui, perdus en leurs chaires philosophiques, remâchent d’éternelles vieilleries scolastiques sans regarder la vie et sans la vivre.

Ce qui fait l’universalité d’une idée, c’est le fait que chacune de celles qui ne sont point d’accord avec l’expérience sont détruites par elle. La vérité est de nature essentiellement empirique. Elle ne s’adjoint le caractère d’absoluité, chère aux philosophes, que par l’absence d’échecs ou d’exceptions : ce qui est encore du domaine de l’empirisme. Ce critérium est infiniment plus sûr que la recherche d’une même et unique pensée chez les divers peuples de la terre, chose très difficile à établir et, en fait, ne prouvant rien.

L’exemple classique de la mort est amplement suffisant pour démontrer l’origine exclusivement empirique de la vérité. On n’a jamais, de mémoire humaine, connu d’hommes immortels. D’autre part, le phénomène de l’accroissement et du vieillissement de tous les êtres vivants, s’impose sans aucune exception, comme un acheminement inévitable vers la mort.

Ainsi donc la pensée de Poincaré définit plutôt la cause que l’effet de l’objectivité. Toute pensée objective n’ayant, en effet, l’universalité pour elle que par l’action de quelque chose s’imposant à tous les humains.

A ceux qui prétendent que cette universalité pourrait très bien provenir de la nature même de l’esprit (raison pure, intuition), on peut répondre que s’il en était ainsi, toutes les intelligences devraient s’accorder en tout. Le fait que, en dehors de l’expérience et des raisonnements mathématiques (tirés de l’expérience), les hommes ne s’accordent point, détruit nettement le con-