Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
OBS
1828

chiques redeviennent libres. L’idée étrange de mettre le feu à une meule surgit tout à coup de mon esprit. Elle est absurde, ne rime à rien ; elle me tourmente ; je la chasse, elle revient. Je la chasse encore. Tel un moustique qui m’obsède, l’idée s’attache à moi en parasite jusqu’à ce que surviennent d’autres idées qui me possèdent avec plus d’autorité.

Pour peu que l’obsession se répète un grand nombre de fois, elle prend la forme du tic, qui est le type parfait et simple de l’obsession et, du même coup, l’habitude est créée. Tel est le rapport entre l’obsession et l’habitude. Elle est une habitude qui s’impose en tyran.

L’inverse est aussi curieux : on peut définir l’habitude une obsession plus ou moins sympathique et supportée. L’étude de nos mœurs nous entraînerait trop loin, mais il n’est pas difficile d’y trouver cette démonstration formelle que l’homme est une extravagante machine et qu’il a bien tort d’en être si fier. Un peu plus d’humilité siérait à un être dont la vie entière se ramène, le plus souvent, à des accoutumances et à des automatismes où il se complaît. Celui-là est un rare privilégié qui, par l’entraînement au travail, devient un Créateur, car création et automatisme s’opposent. Combien, du reste, de créations, en matière littéraire notamment, ne sont que des réminiscences malaxées dans le subconscient et par le subconscient ? Le génie consistera en des combinaisons nouvelles de faits déjà connus. Mais rien ne fera que l’histoire ne soit un perpétuel recommencement.

Il suit de l’observation que maintes habitudes dont nous ne pouvons nous défaire (impuissance absolue ou relative mais réelle) encombrent notre vie, constat important car nous touchons au point précis où l’obsession va devenir morbide. L’obsession passagère, momentanée, aiguë en quelque sorte, va devenir habituelle, chronique par conséquent, et gênante. Trouverai-je un exemple plus démonstratif que le geste et par suite l’habitude de fumer ? Inutile, ridicule, grotesque même, elle devient une chaîne que nous rivons chaque jour davantage. Plus nous fumons, plus nous voulons fumer. Bien plus tyrannique que le vin est la nicotine. Chose étrange, la stupéfaction devient si profonde que le stupéfié, libéré de toute initiative, y prend plaisir et en jouit. Jouir d’un mal est le comble de l’esclavage. Mais vient un temps où l’obsession répétée a provoqué des désordres inquiétants et où le problème de la libération va se poser. Ils font pitié les êtres humains ainsi obsédés qui s’abandonnent à de cruels et inutiles efforts pour dominer l’obsession, qui se montre plus dominatrice qu’eux. Les réactions dites volontaires subissent alors une véritable paralysie. Paralysie consciente, entraînant à sa suite une souffrance morale avec un sentiment d’humiliante capitulation. C’est un fait, du reste, que l’obsession devient par définition même un état machinal et indifférent (la seconde nature qu’est l’habitude), tant que le conscient n’en prend pas connaissance et n’en fait point l’analyse. Le fait de l’intervention de la conscience amène, en général une lutte, car il est rare que l’obsession ne soit pas quelque peu nuisible par son objet même. Le moins que puisse désirer alors le sujet est de se défaire d’une habitude qui fait de lui un esclave. L’amour-propre lutte alors avec la tyrannie. Les armes ne sont point égales. Mais, sauf dans les cas, hélas ! si communs de stupéfaction, le triomphe reste assuré à l’amour-propre.

Chacune trouvera dans la vie de son voisin, dans sa vie propre, des échantillons nombreux et variés d’automatisme obsédant. J’engage mes lecteurs à le faire comme un excellent exercice de volonté qui s’exprime finalement par la conquête d’un peu plus de liberté. On trouvera, par exemple, dans la pratique des professions, des exemples innombrables d’obsessions. Elles ont, du reste, un énorme avantage : celui de constituer pour le

praticien une véritable adresse. La répétition du même geste passant par les routes connues du système nerveux, répétition qui permet de penser à autre chose pendant que l’on agit, conquiert à l’ouvrier une sorte de supériorité, bien relative d’ailleurs, car elle ne saurait exister dans sa plénitude, sans une abnégation de soi-même. On sait que c’est justement à cela que tend le capitalisme moderne dans les industries grandement productrices : réduire l’ouvrier à l’état d’une machine parfaite en vue d’un grand rendement. La fabrication d’une aiguille de montre occupe 35 ouvrières différentes, chacune fabriquant une pièce, toujours la même pièce. Ce que l’on a appelé la division du travail a été l’apothéose de l’Habitude, de l’Obsession et de l’Automatisme. On sait ce qui reste de la liberté au bout de l’expérience. L’Amérique a triomphé dans ce genre de servitude et, chose étrange, nombre de travailleurs se montrent satisfaits de ce système.



Examinons maintenant l’obsession dans ses causes, dans son mécanisme et dans l’état psychologique qui l’accompagne.

La cause générale est, nous l’avons vu, le moindre effort, l’économie de forces. C’est aussi la réflectivité défensive. Le cerveau est un peu comme M. le Préfet dans son cabinet, entouré d’une foule d’organes qui tamisent sa besogne, la répartissent, la simplifient et l’accomplissent finalement en tout ou en partie, ne livrant à son intervention que les problèmes qui échappent à l’habitude. La routine des bureaux est l’image de l’activité des relais nerveux qui s’échelonnent entre l’impression et les centres psychiques. Ceux-ci sont, en quelque sorte épargnés, soignés, dorlotés par les postes subalternes auxquels sont accordés par la nature une sorte d’initiative sommaire, plus ou moins consciente. J’ai dit que le modeste réflexe qui représente le circuit minimum était éminemment l’automate protecteur. C’est le garçon de bureau, l’agent de police, le chien vigilant dont l’humble besogne a plus de portée qu’on ne le croit. Ils jouent le rôle d’un barrage.

A mesure que l’impression monte vers le cerveau, le nombre des barrages se multiplie. Largement et fréquemment visités, ils soulagent les centres supérieurs.

Les chemins que se sont frayés les impressions sont rapidement adoptés par elles ; elles y sont à l’aise, s’y attardent, y séjournent et peuvent même s’y arrêter. Le travail de sélection raisonnée, réfléchie, se trouve ainsi épargné. Si nous nous rendons d’un point à un autre, il nous est plus facile d’emprunter toujours le même sentier que d’en tracer de nouveaux chaque jour. L’économie est évidente et nos opérations ainsi confiées à l’habitude sont de tout repos. Il en est de même pour nos habitudes mentales, déjà infiniment plus compliquées. Chacun adopte sa façon de travailler et les opérations supérieures de notre entendement sont réalisées par des voies d’association déjà expérimentées. Personne ne complique son travail avec plaisir. Partout où l’effort simple est suffisant, l’on s’en contente. Tout autre est le cas de la découverte ou le cas où apparaît une situation nouvelle inaccoutumée : C’est alors que le penseur est obligé de colporter l’idée nouvelle dans le maquis inexploré de l’écorce et de lui circonscrire un habitat où, à la seconde expérience, il la retrouvera facilement.

L’obsession résulte d’une irritation première de la cellule, irritation forte, agréable ou utile.

Forte elle laisse une trace profonde en utilisant la mémoire cellulaire.

Agréable elle suscite sa reproduction dès qu’interviendront les mêmes agents provocateurs.

Quant à son utilité, elle suscite sa répétition automa-,