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la plupart, veulent la révolution sociale par l’action directe du Prolétariat ; mais. ils croient à la plus grande efficacité des méthodes non violentes de lutte : grève générale, non coopération, refus de servir, boycottage. etc., etc…

Ils nient que dans les méthodes de Gandhi, rien ne soit applicable à l’Occident et rappellent que plus le Prolétariat conquiert la vraie force, moins il a besoin d’user de violence. Si certains résistants sont non-violents en partant d’un point de vue religieux ou éthique, d’autres le sont en partant d’un point de vue réaliste et pratique.

Tout en croyant au grand avenir du mouvement des résistants à la guerre, à son influence profonde sur les progrès futurs de la paix, nous lui reprochons de ne pas distinguer suffisamment, dans ses doctrines, entre la question des guerres internationales et le problème de la guerre sociale. On peut, selon nous, rendre impossibles les guerres proprement dites avant d’avoir solutionné la question sociale. On peut aussi abolir les conflits meurtriers sans avoir supprimé toutes leurs causes. Le régime le plus propice à l’établissement de la justice entre les hommes sera la Fédération mondiale politique et économique, ayant désarmé les nations militairement et économiquement.

Mais, n’oublions pas ce fait essentiel : que des hommes professant des conceptions sociales très différentes ou des idées diverses sur le problème de l’emploi de la force en période révolutionnaire, sont d’accord pour condamner sans réserve toute guerre entre peuples et préconiser la résistance active, collective, au meurtre collectif et à sa préparation.

Quant à la guerre sociale, sans vouloir nous prononcer sur le problème délicat de la défense contre la violence contre-révolutionnaire, nous croyons devoir rappeler que, même lorsqu’il y a vacance de la légalité, il ne doit jamais y avoir vacance de la morale ; et que, s’il y a une religion qui doit être respectée par les adversaires des dogmes, c’est la religion de la vie humaine, c’est le dogme du respect de la vie. — René Valfort.


PACTE n. m. (du latin pangere, pactum, fixer). Pacte est synonyme de contrat, d’accord, de convention ; il implique l’idée d’une association, consentie au moins de façon explicite. Dans les sociétés autoritaires, le lien d’union entre individus est d’ordre extérieur, c’est en définitive la contrainte qu’exerce l’autorité gouvernementale, c’est la peur des sanctions légales, la peur du gendarme. Ceci reste aussi vrai qu’il s’agisse de la Russie des Soviets ou de la République française que de l’Italie de Mussolini et de l’empire du Japon. La force tel est l’ultime argument dont on use contre qui se décide à désobéir. D’ailleurs l’on ne saurait parler de pacte au sens véritable, l’État imposant ses volontés aux individus sans préalable discussion, sans même se soucier de leur consentement tacite. Toutefois, pour rendre leur joug supportable et n’être pas victimes du mécontentement général, les autorités surajoutent, dans une certaine limite, l’intérêt à la force et se prétendent les défenseurs vigilants du bien-être commun. Les réactionnaires les plus notoires, les représentants attitrés du capitalisme et de la bourgeoisie, même les rois et les dictateurs se disent guidés par le seul intérêt du pays. Mensonge impudent, ces gens-là estimant que tout va bien lorsqu’ils sont satisfaits. Faussement ils confondent la prospérité générale avec celle de leur classe ou de leur caste ; le peuple doit se contenter du bonheur de ses maîtres. Mais les anti-autoritaires peuvent se réjouir d’une transformation qui enlève aux chefs leur auréole divine et les replonge dans la commune humanité. Elle est de date trop récente pour que les effets en soient très sensibles ; à de certains indices, l’on peut, néanmoins, juger que le prestige de l’autorité ira sans

cesse diminuant. Et Lénine avait raison d’estimer la disparition de l’État inévitable dans l’avenir. Regrettons que ses fougueux disciples, pas plus que les autres docteurs en marxisme des différents pays, n’aient suffisamment étudié l’évolution historique du concept d’autorité. Le commandement, au sens antique du mot, n’est qu’un anachronisme ; c’est à un travail de coordination et d’adaptation que se ramène aujourd’hui le rôle du chef d’entreprise, je ne dis pas du propriétaire, parasite inutile qui souvent n’exerce pas la direction effective. Ainsi, même dans nos sociétés anarchistes, l’intérêt se substitue à la contrainte extérieure. Pourquoi dès lors l’utilité ne pourrait-elle servir de base unique aux pactes et contrats divers ? Il s’agit, pour les libertaires, d’accélérer une transformation dont le germe préexiste dans notre monde contemporain. Sans recourir à la contrainte, le lien utilitaire permet de créer des associations solides entre individus. Syndicats et groupements professionnels s’inspirent de cette idée, quand ils ne consentent pas à n’être qu’un marchepied pour de rusés politiciens. L’avantage de l’intérêt, c’est qu’il cadre avec la mentalité du grand nombre et n’exige pas une perfection exceptionnelle de la part des individus. Pierre Besnard est à consulter sur ce sujet. Mais, au-dessus du pacte qu’engendre l’intérêt, nous plaçons celui qui résulte de la communauté d’idéal ou de l’amitié. Parce qu’ils aspirent vers un but identique et qu’un rêve commun guide leurs pas, des hommes s’associent que ne rapprochaient ni le tempérament ni la profession. Nombreux furent, au cours de l’histoire, les groupements de ce genre que suscitèrent la politique et la religion. Ce fut pour le malheur du genre humain parfois et, dans l’enthousiasme de maints adhérents, l’intérêt tint une large part. Pourtant l’héroïsme de plusieurs s’avère manifeste ; et l’on pourrait utiliser, pour le bien de l’espèce, une force dont elle eut à souffrir fréquemment. Le lien associatif réside alors dans l’idée ; et nul besoin d’une autorité centrale ni de sanctions pour que le groupement puisse subsister. Les quakers sont organisés d’après ce type. Répondant à une très intéressante question posée par Marguerite Deschamps, dans la Revue Anarchiste, au sujet du respect des contrats, Madeleine Madel écrit à leur sujet : « Lorsque, dans une réunion de cette société, on a à prendre une décision intéressant le groupe, ce n’est ni par la majorité, ni par la minorité, ni par un individu — vous entendez bien —, c’est par l’unanimité que la décision doit être prise. Voilà qui en dit long sur les méthodes de discussion approfondie et courtoise qui sont pratiquées, sur la bonne volonté et la claire raison de ceux qui y participent, car presque toujours on parvient, en effet, à cette unanimité. Lorsque le cas se produit où elle ne peut être atteinte, aucune décision intéressant la totalité du groupe n’est prise, et il appartient à chaque membre de se déterminer individuellement selon son inspiration propre. Et on ne chicane pas un membre si sa détermination ne correspond pas exactement à ce que tel autre membre désirerait. On se fait confiance réciproquement ; on fait confiance à l’idée qui anime le groupe tout entier. » Madeleine Madel ajoute que, lorsqu’un adhérent n’est plus d’accord avec l’esprit du groupe, il s’élimine assez rapidement de lui-même, l’atmosphère étant, désormais, pour lui, irrespirable. Le milieu, cher à E. Armand, dont les membres ne songeraient pas à rompre brutalement, sans préalable avis, un contrat qui leur vaut personnellement des avantages, n’apparaît donc pas impossible. Toutefois, dans l’état présent, des associations de ce genre n’obtiendront jamais une extension bien considérable ; seules peuvent attirer les masses, celles qui se fondent sur l’intérêt. La même observation est applicable aux groupements qui se fondent sur l’amitié. A ceux-là vont mes prédilections personnelles, car j’estime que