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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/587

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PAI
1930

de rien faire ? Mais si quelque répit nous est laissé, (et c’est toujours dans cette hypothèse qu’il faut se placer pour raisonner et agir), je pense que le courant pacifiste possède, dès à présent, une ampleur et une force appréciables et qu’il s’étend et se fortifie de jour en jour. Qu’ils apprennent à se connaître, les militants de la Paix ; qu’ils se rapprochent, qu’ils se concertent, qu’ils se placent, en dehors et au-dessus des tendances politiques, religieuses et idéologiques qui les séparent, sur le terrain solide de la Paix avant tout, de la Paix à tout prix, de la Paix par tous les moyens ; que, pénétrés de la nécessité de conjurer les menaces de guerre qui sont suspendues sur nos têtes et, toute autre affaire cessante, de marcher, non plus en ordre dispersé, mais en rangs compacts contre cette angoissante éventualité, ils prennent en commun les décisions urgentes ; que de leurs innombrables poitrines sorte, puissante, irrésistible, la clameur attendue : « Désarmement, Désarmement, Désarmement ! » Que cette clameur s’avère comme le cri discontinu d’un sentiment, d’une résolution, et d’une volonté inébranlables. Que, pareil à ces lames de fond qui, dans leur furieux élan, bouleversent et emportent tout, le soulèvement des couches profondes s’élève et monte jusqu’aux sommets qu’occupe le Gouvernement ; et celui-ci sera bien obligé de capituler, c’est-à-dire, comme on l’a proclamé naguère, de se soumettre ou de se démettre.

S’il se soumet, ce sera le Désarmement ; s’il se démet, ce sera la Révolution.

Conclusion. — En étudiant le problème si délicat, si complexe et si ardu de la Paix, j’ai été entraîné à des développements qu’on jugera peut-être excessifs. Mon excuse, c’est que la lutte contre la Guerre dont l’imminence plane, terrifiante, sur notre époque est, à coup sûr, celle qui réclame présentement notre attention la plus vigilante et notre effort le plus immédiat. Il est permis de dire que l’avenir de l’humanité se joue actuellement sur ce « pile ou face » : la Guerre ou la Paix.

Si la Guerre n’est pas empêchée, ce sont d’inestimables trésors anéantis ; c’est le merveilleux labeur des générations qui nous ont précédé, détruit ; c’est la vieille Europe couverte de décombres, de cendres et de cadavres. C’est, pour un temps indéterminé, la porte fermée à tous les espoirs qui s’ouvrent devant nous.

Le devoir qui s’impose à tous les amis sincères, à tous les ouvriers de la Paix, c’est de travailler avec un zèle inlassable et une activité de tous les instants à empêcher la Guerre. Un seul moyen s’offre à nous : le Désarmement. Encore faut-il qu’une Puissance de premier ordre commence et je dis que c’est à la France qu’est dévolu l’honneur de donner l’exemple.

Désarmement moral et désarmement matériel ; l’un et l’autre sont indispensables et indissolublement solidaires. Le Désarmement matériel est impossible s’il n’est pas la transposition dans le domaine des faits du Désarmement moral ; et le Désarmement moral serait vain s’il n’amenait pas le Désarmement matériel.

Je ne dis pas que le Désarmement, c’est la Paix définitive, indestructible. Seule, la suppression du régime social qui repose sur le principe d’Autorité peut enfanter et enfantera cette Paix définitive et indestructible. Je persiste à affirmer que la forme actuelle de l’Autorité politique : l’État et la forme actuelle de l’Autorité économique : le Capitalisme portent en elles la Guerre entre les Nations comme elles la portent, au sein de chaque nation, entre les classes qui composent celle-ci et, au sein de chaque classe, entre les individus et les groupements qui constituent chaque classe.

La Paix, la vraie Paix ne s’édifiera donc que sur les ruines du monde social actuel, sur l’effondrement du Principe d’Autorité et des Institutions qui en procèdent : le Capitalisme, autorité sur les choses et l’État, autorité sur les personnes.

Pas un instant, au cours de cette étude que je viens

d’écrire avec tout mon cœur comme avec toute ma raison, je n’ai perdu de vue le but suprême à atteindre : la transformation sociale, transformation vaste et profonde (voir le mot Révolution) qui ne laissera rien subsister de ce qui s’opposera à cette devise anarchiste : Bien-Être et Liberté. Allant au plus pressé, étudiant le problème dont la solution est urgente : le moyen pratique et immédiat d’empêcher la Guerre, je me suis arrêté au Désarmement. Je m’y suis arrêté avec d’autant plus d’ardeur et de confiance que ce Désarmement mène à la Révolution Sociale en même temps qu’il est l’unique moyen de faire reculer la Guerre.

Je conclus : il serait déraisonnable d’attendre d’un Gouvernement quelconque qu’il prît de lui-même l’initiative d’un Désarmement dont il donnerait l’exemple. Tout Gouvernement est dans la nécessité d’appuyer sur la force les pouvoirs qu’il détient. Se désarmer équivaudrait pour lui à un suicide à échéance plus ou moins rapprochée. Le peuple, rien que le peuple, en qui fermentent la haine de la guerre et l’amour de la Paix, peut imposer à ses Gouvernants l’obligation de désarmer. Il le peut et il le doit.

L’idée du Désarmement est en marche. Le prolétariat tient en mains la possibilité d’en commencer la réalisation. C’est lui qui, dans les manufactures d’armes, les arsenaux maritimes, les usines où on travaille pour les armements, l’équipement et les fournitures militaires, pour l’aviation de guerre et la fabrication des bombes qui incendient, stérilisent et tuent ; c’est lui qui produit tout ce qui forme l’arsenal de massacre. C’est lui, aussi, qui charge, transporte et décharge tous ces produits destinés aux œuvres de destruction et d’assassinat. Qu’il affirme son inébranlable volonté de paix et de désarmement en refusant son concours à la fabrication et au transport de tous ces produits. Exception faite des quelques opulents capitalistes qui s’enrichissent de cette fabrication et de ces transports, le concours et la solidarité agissante de tous lui seront assurés. Ce sera le premier pas, mais un pas décisif vers le Désarmement à imposer aux Pouvoirs publics ; la conscience populaire et l’agitation pacifiste feront le reste.

Et ce ne sera pas long : soutenu par ce désarmement effectif, le courant pacifiste deviendra rapidement d’une puissance telle qu’il ne tardera pas à être irrésistible. Alors, le Gouvernement se trouvera en face de ce dilemme ; de deux choses l’une : ou bien, il cédera et, dans ce cas, ce sera le Désarmement immédiat et, fort de cette victoire décisive qui attestera sa propre force et la faiblesse du Gouvernement, le peuple donnera l’assaut à celui-ci et ce sera la Révolution ; ou bien, le Gouvernement résistera et, dans ce cas, le courant pacifiste, devenu irrésistible, le culbutera. Ce sera, alors, la Révolution d’abord et ensuite le Désarmement.

C’est ainsi que tout se tient et s’enchaîne, que tout est dans tout, que le problème d’aujourd’hui : la Paix ou la Guerre, conduit logiquement à celui de demain : le Désarmement ou la Révolution sociale. — Sébastien Faure.

PAIX (La Science et la). L’idée de Paix, à notre époque, ne rencontre plus que de rares adversaires. Peuples, gouvernements, poètes, philosophes sont pacifistes ; du moins, ils l’affirment. Il est donc permis de dire, qu’en règle générale, tout le monde est pour la Paix. Comment se fait-il, dès lors, que les guerres soient encore possibles ? D’où vient qu’en présence d’une telle unanimité le déclenchement des grandes tueries se puisse encore produire ? Devrons-nous donc nous résigner, et renoncer à jamais à l’espérance de voir enfin la Paix rayonner sur le monde ? Nous ne le croyons pas. Non que nous ayons dans la sagesse des hommes une confiance excessive, mais nous pensons que les événements (et certains, comme par exemple