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PAP
1952

fastidieuse nous reproduirons cette énergique peinture que dans ses lettres sine titulo, très peu connues, Pétrarque fait de la Cour papale. (Pétrarque était tout qualifié pour stigmatiser les crimes et l’immoralité du Vatican, puisque sa propre sœur, toute jeune encore, avait été lâchement violée par le pape Benoît XII.)

« On trouve en ces lieux le terrible Nemrodh, Sémiramis armée, l’inexorable Minos, Rhadamante, Cerbère, Parsiphaë, amante du taureau, le Minotaure, monument scandaleux des plus infâmes amours, enfin tout ce qu’on peut imaginer de confusion, de ténèbres et d’horreur. C’est ici la demeure des larves et des lémures, la sentine de tous les vices et de toutes les scélératesses » (Epist. sine titulo, p. 718). « Je ne rapporte que ce que j’ai vu moi-même et non ce que j’ai entendu raconter par d’autres. Je sais, par ma propre expérience qu’il n’y a ici ni piété, ni charité, aucune foi, aucun respect, aucune crainte pour la Divinité, rien de saint, rien de juste, rien d’humain. L’amitié, la pudeur, la décence, la candeur y sont inconnues ; la vérité !… trouverait-elle un refuge dans une ville où tout est plein de fictions et de mensonges : l’air, la terre, les maisons, les places publiques, les portiques, les vestibules, les appartements les plus secrets, les temples, les tribunaux et jusqu’au palais pontifical ? » (Epist. 12, p. 273)… « On y perd ce qu’on possède de plus précieux, la liberté d’abord, puis la paix, la joie, l’espérance, la foi, la charité, en un mot les biens de l’âme ; mais dans le domaine de l’avarice, rien n’est regretté pourvu que l’argent reste. L’espoir d’une vie future est considéré ici comme une illusion vaine, ce qu’on raconte des enfers est une fable ; la résurrection de la chair, la fin du monde et Jésus-Christ, juge suprême et absolu, sont mis au rang des inventions puériles. L’amour de la vérité y est taxé de démence, l’abstinence de rusticité, la pudeur de sottise honteuse ; la licence, au contraire, est estimée grandeur d’âme, la prostitution mène à la célébrité. Plus on accumule de vices, plus on mérite de gloire ; une bonne renommée est regardée comme ce qu’il y a de plus méprisable, la réputation comme la dernière des choses… Ce que je dis n’est ignoré de personne… Je passe sous silence la simonie, l’avarice, la cruauté qui ne respecte aucun sentiment humain, l’insolence qui se méconnaît elle-même, et les prétentions de la vanité… Qui ne rirait et ne s’indignerait à la vue de ces enfants décrépits (les cardinaux et les prélats) avec leurs cheveux blancs et leurs amples toges sur lesquelles ils cachent une impudence et une lascivité que rien n’égale ?… Des vieillards libidineux poussent l’oubli de leur âge, de l’état qu’ils ont embrassé, et de leurs forces, jusqu’à ne craindre ni déshonneur, ni opprobre : ils consument dans les festins et dans les débauches les années qu’ils devraient employer à régler leur vie sur celle du Christ. Mais bientôt ces excès sont suivis d’autres excès encore, et de tout ce qu’offrent de plus condamnable l’impudicité et le libertinage. Les indignes prélats croient arrêter ainsi le temps qui fuit devant eux, et ils ne voient d’autre avantage dans la vieillesse, si ce n’est celui qui rend licite pour eux, et dans leurs idées, ce dont les jeunes gens eux-mêmes ne seraient pas capables… Satan, d’un air satisfait, assiste à leurs jeux, il se fait l’arbitre de leurs plaisirs ; et constamment placé entre ces vieillards et les jeunes vierges qui sont les honteux objets de leurs nauséabondes amours, il s’étonne de ce que ses tentations sont toujours au dessous de leurs coupables entreprises… Je ne dirai rien des viols, des rapts, des incestes, des adultères ; ce ne sont plus là que des badinages pour la lubricité pontificale. Je tairai que les époux des femmes enlevées sont forcés au silence par un exil rigoureux, non seulement loin de leurs foyers domestiques, mais encore loin de leur patrie. Je ne m’appesantirai même pas sur le plus sanglant des outrages, celui par lequel on force

les maris de reprendre leurs épouses prostituées, surtout lorsqu’elles portent dans leur sein le fruit du crime des autres ; outrage qu’on a bientôt l’occasion de répéter, puisque la femme doit retourner dans les bras de son premier amant dès qu’elle peut de nouveau servir à ses infâmes plaisirs… » (16e lettre.)

Plus connus sont ces deux sonnets où le poète traduit son indignation en vers magnifiques :

Sonnet CV. — Fiamma dal Ciel… « Que la flamme pleuve du ciel sur tes tresses, ô Méchante ! toi qui, partie de l’eau et des glands, es arrivée à la richesse et à la grandeur en appauvrissant autrui ; toi qui mets la joie à mal faire. — Nid de trahisons, où se couve tout le mal qui se répand aujourd’hui par le monde ; esclave du vin, du lit et de la table ; chez toi la luxure est au comble. — A travers tes salons, jeunes filles et vieillards vont dansant, et Belzébuth au milieu avec ses soufflets, son feu et ses miroirs. — Jadis tu ne fus pas nourrie dans la plume ni à l’ombre, mais nue au vent et sans chaussure à travers les ronces. Aujourd’hui ta vie est telle que la puanteur en montera jusqu’à Dieu. »

Sonnet CVII. — Fontana di dolore… « Source de douleurs, réceptacle de colère, école d’erreurs et temple d’hérésie, autrefois Rome aujourd’hui Babylone, fourbe et criminelle, où éclosent tant de plaintes et de soupirs ; officine de tromperies, ô prison barbare, où le bien meurt, où le mal croît et grandit ; enfer de vivants ! Ce sera un grand miracle si le Christ à la fin ne se courrouce contre toi. — Fondée en une humble et chaste pauvreté, tu lèves les cornes contre tes fondateurs, ô courtisane éhontée. Où donc as-tu placé ton espérance ? Est-ce dans tes adultères, dans tes richesses mal acquises ?….. »

Le lecteur espère sans doute que les choses se sont améliorées depuis Pétrarque ? Assurément, les gens d’Église sont devenus plus prudents, ils sont experts dans l’art de dissimuler leurs tares. Au lieu de les étaler cyniquement, à la manière de ces Papes tout puissants, qui se croyaient tout permis, ils sont obligés d’agir dans l’ombre et le secret. C’est là une des tristes nécessités de nos époques trop libres, où les yeux sont ouverts (quelquefois) et où l’esprit critique prend la parole pour proclamer la vérité.

En réalité, les mêmes causes engendrent nécessairement les mêmes effets. Un célibat obligatoire et contre nature ne peut engendrer que l’hypocrisie dans les rapports sexuels — ou les perversions les plus anormales. Comment l’ambition déréglée des gens d’Église, la facilité que possèdent les grands prélats d’amasser d’énormes richesses, de dominer à leur gré les êtres qui ont confiance en leur mission (et surtout les femmes et les filles), comment cet orgueil et cette puissance n’engendreraient-ils pas la corruption et le vice ? La turpitude et l’immoralité du clergé ne sont que les conséquences fatales d’un état de choses pernicieux. De telles institutions ne sauraient engendrer des mœurs simples, fraternelles et laborieuses.

Le Semeur reproduisait récemment (avril 1929) une page bien édifiante sur la vie du pape Pie IX. En plein xxe siècle, ce pape fut incestueux, adultère, faux-monnayeur et assassin — comme la plupart des « Saintetés » qui l’avaient précédé !

Quant à l’homosexualité, elle fleurit plus que jamais à l’ombre des sacristies et ses ravages s’étendent jusqu’aux plus hauts « sommets » de la chrétienté ! Le cardinal Merry del Val n’échappait pas à cette contagion, s’il faut en croire Victor Charbonnel, et les couloirs du Vatican sont remplis de « mignons », dont les complaisances spéciales assurent la fortune ! Nombreux sont les cardinaux qui gardent auprès d’eux un jeune