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1966

pirées par l’arrivisme. Celle qui en semble la plus dégagée est celle de l’épateur qui cherche les effets les plus violents possibles, mais sans qu’ils fassent long feu pour procurer un profit. Quand l’épateur voit qu’il a un public dont il peut exploiter la complaisance et qu’il continue dans ce but, il devient alors un charlatan. Jusque-là, il est une sorte d’artiste, de dilettante, qui cherche surtout à se faire admirer en surprenant, en étonnant, en épatant — (faire tomber à la renverse) — par son exagération des choses. Lorsque l’épateur n’est que le blagueur qui « cherre dans les bégonias », cultive la « galéjade » et ne se livre qu’à d’inoffensives excentricités, il lui arrive d’être amusant. Mais il y a l’épateur insupportable, le poseur, qui a toujours l’air d’être devant le sculpteur de sa statue ; il se double du raseur quand il est pris d’incontinence verbale. Et il y a pire. Trop souvent, le désir d’épater la galerie fait perdre tout sens commun et fait commettre des sottises irréparables, comme celles de ces déséquilibrés parlant d’avaler d’un trait un litre d’alcool ou de planter leur couteau dans le ventre du premier « pante » qu’ils rencontreront. C’est l’exploitation ignoble, par les chantres de « Rosalie » — la baïonnette — de cette stupide gloriole à laquelle se laissent prendre tant de malheureux inconscients, qui fait les « nettoyeurs de tranchées » dans les guerres du Droit et de la Civilisation.

Le nombre des épateurs est infini, comme la variété de leurs inventions. Simples farceurs, inoffensifs maboules ou aliénés vicieux, ils se manifestent dans tous les domaines. Ils sont la foule de ceux qui :

« Pissent au bénitier afin qu’on parle d’eux. »

(M. Régnier).

Depuis les Alcibiade coupant la queue de leur chien, jusqu’aux sanglants dictateurs qui sont des Soulouques déchaînés, tous, pour paraître, pour échapper aux règles communes de la vie et surtout au travail, dépensent une ingéniosité qui les rend ridicules ou odieux. Ils s’imposent des fatigues et des humiliations que souvent un galérien aurait refusé de supporter.

L’épateur professionnel est le charlatan aux différents degrés du charlatanisme (voir ce mot). On appelait jadis, « charlatans », ceux qui vendaient sur les places publiques, à grand renfort de coups de grosse caisse, des orviétans plus efficaces dans leurs « boniments », leurs « postiches », qu’à l’usage. Le mot a été appliqué ensuite, par extension, à tous les exploiteurs de la crédulité publique. L’esbroufeur est un parent du charlatan, mais d’une espèce plus inquiétante, celle de l’épateur qui ne se contente pas de surprendre par des façons exagérées et se donne des airs importants, usurpe des qualités et des titres qui ne sont pas les siens, pour intimider, en imposer, et finalement, friponner en abusant de l’ascendant qu’il a pris sur sa victime. Ce qu’on appelle le « vol à l’américaine » est une forme de l’esbroufe.

Une autre espèce de charlatan est le banquiste. C’est un bateleur, un saltimbanque, mais de plus d’envergure que ceux opérant sur les champs de foire. C’est surtout le directeur de théâtre, l’entrepreneur de concerts qui se livre à une réclame effrénée pour faire valoir des spectacles inférieurs et présenter comme des artistes de quelconques cabotins. Les moyens du banquiste comme du cabotin sont le battage et le chiqué, qui exagèrent jusqu’à l’insanité l’illusion déjà si souvent grossière du théâtre et achèvent d’en détourner les gens de goût. « Princesse du battage et reine du chiqué », disait Jean Lorrain de Sarah Bernhardt dont le talent, si grand qu’il fût, n’égala jamais la prodigieuse vanité. Encore, les Sarah Bernhardt, les comédiens chanteurs, virtuoses, ont-ils un talent certain, acquis par une étude de leur art ; mais que dire de ces dames de cinéma et de music-hall, de ces « stars », de ces « vedettes », de ces « artistes » qui n’ont jamais appris

autre chose qu’à exhiber leurs fesses !… Le banquiste est aussi l’homme à promesses mensongères qui exploite la crédulité publique derrière une façade d’autant plus somptueuse et considérée que les gogos sont plus nombreux et que la filouterie boursicotière est plus active. Le mot banquisme vient d’ailleurs de banque. Depuis la « Grande Guerre », les banques ont pris des proportions de temples où la filouterie a les formes sacerdotales d’une véritable religion. Le banquiste et le banquier sont des gens qui jettent de la poudre aux yeux des badauds ; le premier pour distraire leur esprit, le second pour exciter leur cupidité, tous deux pour leur faire les poches.

L’écornifleur, qui tire de petits profits par des moyens détournés ; le tapeur, qui emprunte sans rendre ; le pique-assiette, qui dîne chez les autres mais chez qui jamais l’on ne dîne ; le resquilleur, qui use de tout sans payer:tous ces parasites, parfois si miteux qu’ils méritent l’indulgence, sont des variétés de l’esbroufeur. Le besoin de paraître a fait de leur industrie une branche des arts mondains assez semblable à la kleptomanie. Pratiquée avec élégance, elle alimente de fructueuses carrières, celles des danseurs mondains, des aviateurs de sajous et de bars, des professeurs d’esthétique, des arbitres de la mode, des jurés de concours de beauté et des gigolos des reines de ces concours, des organisateurs de kermesses de charité, des gastronomes professionnels, des rabatteurs de « maisons de conversation », des rédacteurs de la chronique des bidets, de cent autres qui champignonnent sur le fumier de l’arrivisme et en marge de la grande publicité.

En prenant plus d’envergure, le charlatan, l’esbroufeur, le banquiste sont devenus le bluffeur et le puffiste. Leur ascension et leur multiplication ont été celles de la puissance et de la domination de l’argent, surtout depuis la « Grande Guerre ». Certes, il y a eu de tout temps de grands aventuriers bluffeurs et puffistes qui furent considérables pour leur époque; mais leur nombre fut restreint et le champ de leurs ébats fut forcément limité aux ressources financières de leur temps. Les Fermiers Généraux, qui dévoraient jadis la substance misérable du pauvre peuple, font figure de personnages d’opéra-comique à côté des ravageurs sinistres qui sévissent aujourd’hui, n’ayant même pas l’excuse, comme les autres, d’être des mécènes et des gens d’esprit. La banqueroute de Law, au xviiie siècle, coûta à la France deux milliards et demi que se partagèrent quelques douzaines de grands fripons. Mais que sont ces deux milliards et demi auprès de tous ceux que messire Quincampoix fait danser aujourd’hui dans ses officines ? Le système du sire n’était que du boursicotage primitif, le loto des familles, auprès de ce qu’on tire actuellement du pis de la vache-contribuable pour engraisser les féodaux du régime. Rien qu’en 1931, pendant que des centaines de mille chômeurs étaient laissés sans ressources, livrés pour tout potage aux brutalités policières, une dizaine de milliards ont été distribués aux ventres dorés des banques, des chemins de fer, des compagnies da navigation, etc., sans parler d’autres milliards aux fabricants de quincaillerie guerrière. Les cent cinquante ans de règne des « tyrans », Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, n’atteignirent pas la gabegie qu’on a vue dans la seule année « républicaine » de 1931. Ce n’en fut pas moins la culbute en 1789. Elle se fait attendre aujourd’hui. Faut-il croire que cent quarante ans d’exercice de la « liberté » ont été surtout l’apprentissage de la résignation pour les éternels tondus à qui un railleur de messire Quincampoix disait déjà au temps de Law :

« Un âne est moins bête que vous.
Vous recherchez une couronne
De plumes de paons, de chardons :
C’est la Sottise qui la donne. »

Bluff et puffisme sont les manifestations ultra-moder-