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POE
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maternelle ; que la Perse, avec sa dualité du Bien et du Mal, de la Lumière et des Ténèbres ; que le Chaldéen, le Phénicien, le Juif, et tous les peuples enfants sont demeurés en arrêt devant le Mystère qu’ils ont interprété, les uns avec joie, avec l’amour, les autres dans la haine et l’épouvante. Les Grecs ne sacrifient qu’à la Beauté. Ils sont amoureux du Soleil et de la Forme, Mais leurs balbutiements poétiques, comme ceux de tous les peuples (on le verra avec nos propres chansons de gestes) vont aux héros des batailles. Les rapsodes errant de cité en cité comme, plus tard, nos jongleurs moyen-âgeux et nos trouvères, ne jouent de la lyre que pour chanter les exploits des rois, roitelets, guerriers, leurs faits d’armes, leurs victoires, leurs amours.

L’origine de la poésie doit être cherchée dans l’énigme que la nature offre à l’homme et dans le goût du merveilleux. La poésie est, d’abord, essentiellement panthéiste chez les peuples orientaux dotés, déjà, d’une métaphysique, astrologues, navigateurs ou pasteurs, voués à la contemplation. Chez les nomades épris de batailles, elle revêt un caractère de nihilisme féroce. Mais, avec les uns et les autres, elle est sœur de la musique. Les clans, les tribus, les peuples se montrent friands d’harmonie dans les sons et dans les mots.

L’aède grec, lui, chante pour le plaisir. Il se soucie peu du Mystère qui l’environne. Les symboles dont il fait choix sont clairs et, même, quand il puise dans les vieilles légendes rapportées par les voyageurs, il les accommode à son goût, sous un ciel qui demeure pur et calme, Dès lors, la poésie perd son caractère primitif d’unanisme, pour employer un mot moderne. Elle est conforme à l’âme de ce petit peuple bavard, discutailleur, frivole. J’ose m’étonner de constater l’influence (les arts plastiques mis à part) que quelques bourgades échelonnées sur les bords de la Méditerranée ont pu exercer, au cours des siècles, sur le monde européen qui persiste à s’alimenter à la source gréco-latine, alors qu’il pourrait puiser dans la richesses de ses folklores (notamment en France, où le Moyen Age est prodigieux).

Il n’est pas dans mes intentions de dresser, ici, un tableau complet de la poésie et de son évolution. Un tel tableau nécessiterait des volumes. Nous noterons que la poésie grecque a vu le jour, très probablement, sur les côtes de l’Asie-Mineure, vers le Xe siècle avant Jésus-Christ, avec les Orphée, les Amphion, les Linos. Puis apparut la poésie épique, consacrée aux combats. Ce sont les aèdes qui la propagent par leurs chants, lesquels ont trait aux prouesses des guerriers, particulièrement des ancêtres entrés dans la légende. Les dieux se mêlent aux hommes, interviennent entre les combattants. De là, Homère, l’immortel Homère, qui n’a fait que donner son nom à une œuvre collective et lui a fourni, peut-être, l’unité de composition. On ne sait rien d’Homère, représenté généralement sous les traits d’un vieillard aveugle, sinon que sept villes prétendent lui avoir donné naissance. Il faut observer que l’Iliade et l’Odyssée furent recueillies par les soins de Pisistrate, tyran d’Athènes, au vie siècle et que, plus tard, au iie siècle, Aristarque revit très scrupuleusement ces deux poèmes dont il supprima nombre de vers inutiles ou fâcheux.

L’Iliade, c’est l’histoire de la guerre que les Grecs livrèrent aux Troyens. C’est une succession de chants qui finissent par devenir fatigants. L’Odyssée a plus d’intérêt. Ce poème relate les aventures du subtil Ulysse (Odyseeus) et côtoie le roman ou le conte de fées. L’influence de ces deux œuvres fut formidable en Grèce. La poésie lyrique et tragique ne cessa de s’en inspirer. Cependant, il y eut, avec Hésiode, comme une sorte de réaction. Ce poète s’efforça, dans Les Travaux et les Jours, de condenser les connaissances de son temps et d’enseigner (en grec : didasco), d’éduquer, d’instruire

ses contemporains. Il créa ainsi la poésie didactique. Toute la poésie grecque sort d’Homère et Hésiode.

La poésie lyrique s’affirma avec Tyrtée (le Déroulède de Sparte), qui entraînait les guerriers à la mort ou à la victoire ; avec Sapho, prêtresse de l’amour ; avec Anacréon, poète érotique et charmant qui chantait « le divin Eros, maître des dieux, dompteur des hommes » ; avec Pindare qui composait des Odes pour les jeux olympiques, pytiques, isthmiques (c’était une manière de poète officiel). Puis, la poésie tragique, avec Eschyle, Sophocle, Euripide, triompha. Ces trois grands tragiques qui influencèrent les Latins et notre xviie siècle, n’eurent que de pâles imitateurs. Par contre, le génial, l’immense Aristophane, ennemi de la guerre, ennemi de la démocratie ridicule de son temps, ennemi du socratisme créateur de Dieu et marchand de morale, connut, à travers les siècles, un succès qui ne se démentit jamais. Il demeure le premier poète comique à la verve cinglante et vengeresse, père de tous les satiristes et de tous les pamphlétaires.

Après lui, on ne voit guère que Ménandre, dont on n’a conservé que quelques fragments, et qui s’attache surtout à la peinture des mœurs de son temps.

Il ne faudrait pourtant point oublier Archiloque, qu’on connaît imparfaitement et qui, dans ses iambes, donna naissance à la satire.

Les Romains surgissent ensuite. Ils se nourrissent des Grecs. L’Odyssée est traduite en latin, Névius adapte, à la scène, les comédies d’Aristophane. Ennius (un Grec) donne des tragédies. Mais c’est la comédie, surtout, qui se développe avec Plaute et Térence, le premier s’apparentant à Aristophane, le second à Ménandre qu’il imite. Mais Plaute est le plus grand auteur romain. Il a décrit, quelquefois avec grossièreté, usant d’une liberté extrême, les mœurs de son temps, flagellant les esclaves, les femmes impudiques, les soldats, les voleurs et tripoteurs de l’époque, s’attaquant courageusement aux maîtres et aux institutions, dénonçant les vices et les lâchetés. L’influence de Plaute, comme celle d’Aristophane, s’est fait sentir sur le xviie siècle. Racine et Molière ne l’ont pas oublié et les poètes comiques contemporains pas davantage (Laurent Tailhade a adapté la Farce de la Marmite et Tristan Bernard, dans les Jumeaux de Brighton, s’est souvenu des Menechmes).

Le grand poète de Rome, c’est Lucrèce, l’auteur de « De Natura rerum ! ». S’inspirant de la philosophie à tendance matérialiste d’Épicure, il s’efforce d’expliquer l’univers sans dieux — ni Dieu. Il combat la religion et prévoit la théorie des atomes. Le premier, il professe que la terre n’est pas le centre de l’univers et que d’innombrables mondes vivent, naissent, meurent. Les Dieux n’y peuvent rien, s’ils existent. L’évolution des êtres se poursuit (Lucrèce laisse prévoir Darwin), dans la lutte pour la vie, par la force ou par la ruse. Aucun poète n’a fourni une vision aussi claire de la réalité des choses et la Science, depuis, n’a fait que confirmer, dans son ensemble, les théories — qui tiennent de la divination — du poète de De Natura rerum qui est le sommet de la poésie didactique.

Avec Catulle, d’abord ; puis Virgile, la poésie bucolique prend son essor. Mais Virgile n’est pas seulement l’auteur des Eglogues, des Georgiques. Son œuvre la plus importante est l’Enéide, poème épique, imité d’Homère, où il chante, à son tour, les exploits et les infortunes d’Enée, guerrier rescapé de la ruine d’Hion.

Horace fait triompher la poésie satirique. On sait ce que lui doivent nos auteurs les plus renommés, dont l’illustre Boileau-Despréaux qui prétendit fixer, à la prosodie et à la métrique, des règles éternelles. Tibulle continue Catulle et il est continué par Properce. Ovide met la mythologie grecque en vers latins. Puis, plus tard, Lucain tâte de l’épopée avec la Pharsale. Perse