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breuses sont sources de joies et de prospérité ; enfin, la femme n’étant point propriétaire de son corps ne peut se refuser à la maternité, ni la prévenir ou l’arrêter à son gré.

Il est flagrant que tout cela est absurde, nuisible et contraire à la beauté de la vie. Tout ce qui donne de la joie, sans amoindrir notre vitalité, notre intégrité individuelle, est sain, bon, désirable et utile. Et chacun est seul juge de ce qui embellit sa vie.

Tous ces préjugés, que partagent stupidement les gens ignorants, ne sont nullement répandus chez les exploiteurs, qui ont peu d’enfants et se livrent à tous les jeux de l’amour, au mépris des rites de leurs sorciers.

C’est donc une morale pour le peuple, destinée à perpétuer sa misère, à le priver de joie, à le maintenir abruti dans le cercle familial, rétrécissant son point de vue, limitant son action à son foyer, détruisant sa solidarité avec le reste de l’humanité. Les préjugés sexuels sont donc de merveilleux auxiliaires de l’universelle exploitation.

Éducation. — Il est difficile de ne point reconnaître l’influence considérable des préjugés dans l’éducation. Les enfants sont tout d’abord séparés par sexes, comme si la peste jaillissait de leurs contacts. Ensuite la matière éducative tend à développer chez eux la même mentalité que celle de leurs progéniteurs ; c’est-à-dire tous les défauts caractérisant la présente société. Tout ce que l’enfant perçoit autour de lui concourt à détruire sa personnalité, son esprit critique, sa spontanéité, sa solidarité, ses affections, ses sympathies, son esprit inventif et créateur, pour le figer dans une attitude hypocrite, respectueuse et soumise vis-à-vis de la force, des puissants et des maîtres ; garantie certaine d’une perpétuation de tous les maux sociaux, déterminés par la bêtise et la brutalité.

L’éducation ne peut avoir qu’un seul but : créer des intelligences lucides, dans des corps sains, en dehors de toutes idées personnelles de classes, de sexes, de croyances, etc. L’éducation doit être strictement objective, développer le sens des rapports exacts et l’harmonie des sensibilités.

Un autre préjugé consiste à croire que l’enfant appartient à ses parents, et que ceux-ci sont ses meilleurs éducateurs naturels. Il n’y a aucun rapport entre le fait d’engendrer un enfant et le fait d’être doué de toutes les rares qualités que doivent posséder les vrais éducateurs. Ensuite l’enfant s’appartient à lui-même, puisqu’il n’est ni un objet inerte, ni un animal. D’autre part, la famille est le plus mauvais lieu pour l’éducation des enfants, car l’exemple pernicieux des parents et l’insuffisance des moyens éducatifs nuisent au développement rationnel de l’enfant. Tous ces préjugés sont donc à combattre énergiquement pour l’amélioration des méthodes éducatives.

Hygiène. — Ici encore les préjugés règlent les coutumes, les modes, la forme des vêtements selon les sexes, les professions, les hiérarchies sociales, etc. Les femmes vont demi-nues, même en hiver ; les hommes s’entortillent dans d’épais et sombres vêtements, même en été ; tandis que la nudité totale paraît un attentat aux mœurs. Cela permet aux humains de baigner dans leur sueur, plus ou moins parfumée, de ne point observer l’hygiène conservatrice des formes et d’ignorer la belle santé qui ne doit rien aux recettes des apothicaires.

Il y a également beaucoup de préjugés à l’égard de l’alimentation. Nombreux sont ceux qui s’imaginent que la viande, le vin et autres boissons alcooliques, sont nécessaires à la santé et que seule la nourriture imposée par la tradition familiale est la meilleure. La diversité de ces traditions, à la surface de la terre, prouve l’incohérence de leur exclusivité. Ici, comme ailleurs, l’expérience est seule concluante et nul ne s’en soucie pour établir, objectivement, des bases certaines et générales.

Enfin l’hygiène des habitations est chose nulle dans une grande partie de la population. La peur des courants d’air, et de l’air pur, tient les gens enfermés et entassés étroitement dans une atmosphère puante, privés de soleil et de ses rayons bienfaisants, tandis que leur peau ignore les bienfaits de la lumière et des douches stimulantes.

Économie. — Rien ne démontre le réalisme de la société capitaliste. Contrairement à l’opinion courante, elle n’est qu’une mystique, imposée par la tradition comme une réalité objective. Or toutes les formes de sociétés sont possibles en dehors d’elle, et la disparition totale d’anciennes sociétés, fortement constituées, entraînant en même temps la ruine de leurs traditions, et par conséquent toute cause subjective de durée, prouve la fragilité de toute société.

La mystique capitaliste n’est rien en dehors de sa tradition et ne repose sur aucune base biologique naturelle et indestructible. C’est donc un grossier préjugé de croire que les groupements humains ne peuvent se coordonner que selon un type unique et définitif.

Conclusion. — Il est impossible d’examiner tous les préjugés car ce serait faire tout le procès de la société. Le respect et le culte grotesque des morts ; le respect des dettes de jeu, dites dettes d’honneur ; l’approbation des gains aux jeux de hasard, courses de chevaux, loteries, etc., justifiant le mysticisme de la chance et le légitimant ; le culte de la supériorité économique, artistique ou scientifique, basée sur une hiérarchie arbitraire et mystique ; la peur du changement, des transformations sociales ; les cristallisations autour des formes archaïques du passé ; en résumé tout ce qui n’est pas le fruit d’une série d’expériences biologiques, d’une synthèse de faits étudiés en dehors des formules cristallisantes de la tradition ; tout ce qui est imposé comme ne se discutant pas, est préjugé.

La disparition des préjugés se réalisera par une meilleure éducation, et par la connaissance de notre propre fonctionnement cérébral, démontrant l’origine de la connaissance réelle et celle des préjugés, ou réflexes conditionnels séparés du contrôle sensoriel et objectif. — Ixigrec.

PRÉJUGÉ. En termes de jurisprudence, se dit de tout document, ou observation, qui précède le jugement et permet de l’établir. Le plus souvent le mot préjugé sert à désigner une opinion acceptée sans contrôle ou, tout au moins, sans examen suffisant. C’est à tort que l’on emploie parfois ce mot comme synonyme d’erreur. En effet, on peut adopter sans examen des idées exprimées par autrui, et qui sont parfaitement justes. Par contre, si nous ne faisons pas état, dans notre jugement, de toutes les données du problème, ou si notre raisonnement est défectueux, il pourra nous advenir, même après mûre réflexion, de faire nôtres certaines idées fausses. Réfléchir est une bonne précaution contre l’erreur, mais ne donne pas la certitude que l’on ne se trompera jamais.

Cette encyclopédie est, en très grande partie, consacrée à la lutte contre quantité de superstitions qui, dans les domaines de l’amour et de la sexualité, des croyances religieuses et de la morale, du nationalisme et de l’économie politique, demeurent dans la mentalité populaire. Il n’est donc aucune nécessité de revenir sur maints sujets ayant donné lieu, par ailleurs, à d’abondantes démonstrations. Par contre, il ne sera pas sans utilité de soumettre à la méditation du lecteur, certains préjugés qui ont cours dans les milieux révolutionnaires, et sont, le plus souvent, les vestiges de formules ou de doctrines anciennes, qui n’ont pas été confirmées par l’expérience, ou qui, justifiées à une certaine époque, ne le sont plus aujourd’hui, les circonstances de la vie