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tion indignée de Séverine à ses « confrères » : « Sommes-nous des larbins ? » Et résigné il n’aurait pu que répondre : « Hélas !… »

La Gazette fut continuée par les fils de Renaudot jusqu’au jour où, prenant le titre de Gazette de France, en 1762, elle devint le journal officiel de la royauté, dirigé par des fonctionnaires de la Cour. Elle déclina alors au point que Grimm en dit en 1772 : « Je ne crois pas qu’il soit possible de lire rien de plus bête. » Peut-être est-ce pour cela qu’elle demeura, malgré vents et marées, pour soutenir jusqu’en 1915, année où elle mourut, les « droits » d’une légitimité inconsolable et obstinée qui dut renoncer à se rétablir, même à la faveur de la guerre.

La Gazette était de caractère politique. En 1665, Denis Sallo fonda le Journal des Savants, d’information littéraire, scientifique et de « critique équitable et impartiale », dit Sallo qui signait du nom plus distingué de d’Hédouville. Les jésuites firent supprimer le Journal des Savants. Il ressuscita en 1666, sous la direction de l’abbé Gallois, et il n’a plus cessé, depuis, de paraître, sous le patronage de l’État.

En 1762, on vit la première publication de caractère « parisien » et « boulevardier », comme on a dit plus tard. Ce fut le Mercure Galant, créé par Donneau de Vizé qui s’inspira de l’esprit gai et vivant de la Muse historique de Loret. À la fois politique, littéraire et mondain, sa formule était : « Parler de tout, ouvrir le Mercure à tous, faire qu’il convienne à tous. » Il eut un vif succès et devint en 1714 le Mercure de France. Après plusieurs éclipses, il disparut définitivement en 1825. Le titre fut repris en 1890 par Alfred Vallette et un groupe d’écrivains symbolistes qui le donnèrent à une revue littéraire. (Voir Symbolisme.)

D’autres gazettes eurent un sort moins heureux que celle de Renaudot. Les Lettres en vers et en prose, de Lagrète de Mayolas (1672), commencèrent à publier des romans avec « la suite au prochain numéro ». Le Journal de la Ville de Paris, de Colletet fils, inaugura en 1676 ce qu’on a appelé plus tard « l’annonce anglaise ». Elle y tint jusqu’à six pages ; mais Colletet n’y fit pas fortune, si l’on en croit Boileau dépeignant :

« Le pauvre Colletet crotté jusqu’à l’échine,
Allant chercher son pain de cuisine en cuisine. »

Dans une autre circonstance. Boileau célébrant Horace le voit qui :

« … libre du souci qui trouble Colletet
N’attend pas pour dîner le succès d’un sonnet. »

En 1684, Bayle fonda ses Nouvelles de la République des Lettres que continuèrent Leclerc, La Roque et Bernardet.

Le xviiie siècle vit se développer la presse et la polémique dans tous les genres. On lui doit la propagation des idées philosophiques qui formèrent l’esprit politique de la Révolution française. La vieille société de droit divin y était sapée par les droits de l’homme. Le Pour et le Contre, de l’abbé Prévost (1723-1740), l’Année littéraire, de Desfontaines, puis de Fréron, l’Ane littéraire, opposé au précédent par Le Brun, le Journal Encyclopédique, de Pierre Rousseau (1759), et d’autres encore, entretenaient un courant d’idées de plus en plus impétueux. La Gazette des deuils, de Palissot, inaugura la chronique des décès. Durozoy y ajouta celle des naissances et des mariages. Campigneules fit le premier Journal des dames en 1759 ; il y publia des comptes rendus de livres, spectacles et « de tout ce qui, en littérature, est fait par et pour les dames ». Le Journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie fut fondé en 1754 ; celui du Commerce en 1759 ; la Gazette des Tribunaux en 1774, etc. Enfin, en 1777, parut le Journal de Paris, premier quotidien français. Des journaux se fondèrent en province, parmi lesquels existent encore le Journal du Havre qui a 175 ans, et celui de

Rouen qui en est à sa 163e année. Voilà, en résumé, le tableau de la presse.avant 1789.

La Révolution française fit prendre aux journaux une importance extraordinaire. La politique y occupa alors la première place, et avec une liberté qu’elle n’a plus connue (voir plus loin). Il paraissait en France, en 1779, quarante-et-un journaux dont quatorze étrangers. De 1789 à 1793, on en compta 1.400, hebdomadaires, bi-hebdomadaires ou quotidiens, pour ou contre la Révolution, dont le prix moyen fut de deux sous. Le centre du monde de la presse parisienne était alors, sur la rive gauche de la Seine, dans les rues Hurepoix et des Poitevins où s’imprimaient et se distribuaient aux vendeurs la plupart des journaux. Quand le centre des affaires s’établit, après la Révolution, sur la rive droite, autour de la Bourse dont la construction commença en 1808, la presse se transporta dans le voisinage, au quartier du Croissant.

On n’en finirait pas d’énumérer les titres et les auteurs de toutes les feuilles plus ou moins éphémères, appartenant à tous les partis, qui parurent pendant la Révolution et qui furent presque toutes tuées lorsque le Directoire rétablit la censure. On trouvera, dans le Grand Larousse Universel, une longue liste, commentée, d’un grand nombre de journaux de la Révolution, à l’article : journal. De l’ancienne presse, il ne demeura guère que le Journal des Débats dont les propriétaires, les frères Bertin, pas assez soumis à l’arbitraire napoléonien, se virent dépossédés, et qui devint le Journal de l’Empire. Sous la Restauration, les frères Bertin rentrèrent en possession de leur journal qui a été, depuis, le Journal des Débats politiques et littéraires.

À partir de la Restauration, l’histoire de la presse a suivi les vicissitudes de la liberté d’opinion, jusqu’au jour où les journaux, cessant de représenter des opinions, ne furent plus que des prospectus de charlatans au service de l’argent. La liberté devint une chose inutile dans une profession où l’on ne cherchait plus qu’à vendre sa liberté. Au contraire : plus la liberté fut étranglée, plus la valetaille journaliste prospéra. N’est-ce pas la suprême honte de la presse d’aujourd’hui de laisser appliquer, contre la liberté de la pensée, des « lois scélérates » contre lesquelles les journalistes d’il y a cent ans firent une révolution ? Aujourd’hui, les journalistes n’ont que des « rapports d’amitié » — sportule, fonds secrets, décorations, bons dîners — avec les fabricants et les bénéficiaires des « lois scélérates » ! Tous les régimes libéraux avaient voulu que les délits de presse ne fussent passibles que de la seule cour d’assises. À différentes reprises, les rois Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, et le plus sinistre étrangleur de liberté depuis Napoléon Ier, son neveu Napoléon III, avaient dû céder devant l’opinion indignée de leurs « lois d’exception » ; mais l’on a vu la République radicale-socialiste rétablir ces lois et les maintenir depuis trente-cinq ans ! Grâce à elles, de plus en plus, on condamne automatiquement en correctionnelle orateurs, écrivains, dessinateurs, etc., sans aucune possibilité de défense effective et avec une sévérité haineuse qu’on épargne aux pires malfaiteurs de droit commun. C’est en cour d’assises qu’un Daumier était traduit en 1832 et 1834 pour ses dessins de la Caricature. C’est en correctionnelle que le dessinateur Des Champs a été poursuivi cent ans après. Non seulement la presse qui se dit « républicaine » ne proteste pas, mais elle s’amuse des « records » de condamnations que détiennent certains, et elle perd toute pudeur au point de leur reprocher de recommencer après qu’on a bien voulu les « gracier » !… C’est cette presse qui a osé célébrer, en 1930, le centenaire des « Trois Glorieuses », et qui ose commémorer aujourd’hui Jules Vallès, emprisonné, persécuté, insulté par les valets de plume, parce qu’il réclamait pour l’expression de la pensée une « liberté sans rivages !… ».