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Parmi les populations ouvrières, il est une catégorie de travailleurs tout particulièrement exploitée : celle des marins pêcheurs, en raison de leur inorganisation. Les marins pêcheurs sont inorganisés, parce que trop souvent ignorants et alcooliques. Depuis plusieurs années, le Crédit maritime a été organisé pour permettre à ces travailleurs de s’émanciper en s’outillant rationnellement pour la pêche. Malheureusement, une fois le poisson pêché, il reste à vendre. Les mareyeurs interviennent alors et le payent bon marché aux pêcheurs, quitte à le revendre cher aux consommateurs. C’est alors que des hommes dévoués sont intervenus et, grâce à la Direction des pêches maritimes, du Service scientifique des pêches, du Crédit maritime mutuel et des fonds de l’Outillage national, ils sont en train d’édifier dans les ports des Sables-d’Olonne, de La Rochelle, d’Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz, des chambres froides et des magasins d’expédition dans lesquels les sardines fraîches congelées à 14e au-dessous de zéro, seront conservées en attendant d’être expédiées dans les centres de consommation, et notamment dans les coopératives de consommateurs.

Dans ses cours au Collège de France, Charles Gide a exposé les résultats remarquables obtenus dans ce sens par les 50 « positos maritimos » espagnoles pour la pêche et la vente coopérative du poisson et par les 275 coopératives maritimes de pêcheurs italiens. Ces dernières collaborent avec les municipalités pour l’écoulement du produit de leur pêche.

N’oublions pas, en terminant, les coopératives de travail qui, sous le nom d’artèles, existent en Russie, depuis un temps immémorial, pour la production coopérative des objets de la petite industrie familiale et dont le rôle n’est pas encore terminé, malgré les promesses du fameux Plan quinquennal, renforcé lui-même par un deuxième Plan quinquennal…

Les coopératives agricoles de production. — Le paysan est, instinctivement, rebelle à l’association, parce qu’il considère que lorsqu’il s’associe avec d’autres, il n’est plus libre et, dès lors, sa liberté étant diminuée, il se sent amoindri. Il est fidèle au vieux proverbe : « Qui a un associé a un maître. » Néanmoins, dans une société compliquée comme l’est la société moderne, le paysan ne pouvait guère échapper à la pratique inéluctable de la solidarité. Car un autre proverbe : « Malheur à l’isolé » est toujours d’actualité.

L’association, chez les agriculteurs, se manifeste sous trois formes essentielles : le syndicat, la mutuelle, la coopérative. (Voir notamment le cours de Charles Gide au Collège de France, sur les Associations coopératives agricoles, décembre 1924 mars 1925.)

Le syndicat agricole, comme le syndicat ouvrier, a été, à l’origine, un groupement de défense professionnelle des agriculteurs. Les syndicats agricoles étaient déjà en puissance dans la loi des associations syndicales entre propriétaires voisins et chargées d’exécuter des travaux d’intérêt commun, et même d’intérêt général, tels que desséchements, irrigations, drainages, digues contre les inondations. Mais le véritable statut légal des syndicats agricoles professionnels fut établi par la loi du 21 mars 1884, qui légalise les syndicats chargés de la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux. Les agriculteurs allaient être oubliés lorsqu’un sénateur droitier du Doubs, M. Ondet, demanda qu’on ajoutât « et agricoles », et les agriculteurs purent bénéficier, eux aussi, des avantages de l’association syndicale professionnelle.

Généralement, et notamment à l’origine, ces syndicats agricoles ont borné leur activité à des buts strictement professionnels, de défense et de propagande corporative. Ils ont publié des journaux à cet effet. Mais, peu à peu, ils ont compris que leur activité devait être organique. À cette époque, les agriculteurs étaient odieusement exploités par des mercantis qui, profitant des conseils

que donnait la presse agricole d’utiliser les engrais pour améliorer le rendement des terres, abusaient de leur candeur pour leur vendre des engrais de mauvaise qualité à des prix excessifs. Mêmes procédés blâmables en ce qui concerne les semences et, en général, tous produits, matériaux et cheptels nécessaires à l’exercice de la production agricole. On peut affirmer, sans crainte de se tromper, que les excès du commerce privé ont été, pour une large part, les responsables du succès des syndicats agricoles. Depuis 1884 à nos jours, ce succès n’a fait que s’affirmer, et, maintenant, la plupart des agriculteurs sont groupés dans leurs organisations syndicales, qui deviennent de plus en plus complexes. En effet, à côté des services syndicaux proprement dits, il s’est greffé le plus souvent sur eux des organisations diverses, tendant à renforcer la position des syndiqués. Ce sont les Caisses agricoles mutuelles de crédit, qui avancent à bon compte des fonds aux agriculteurs désireux d’emprunter : soit pour acheter de la terre, soit pour faire bâtir, soit pour perfectionner l’outillage ou le cheptel de la ferme, soit pour acheter des engrais, soit même pour attendre le moment favorable de vendre les récoltes engrangées. D’autre part, le paysan est tenu, s’il est tant soit peu prévoyant, de s’assurer contre l’incendie de sa ferme, de ses récoltes, contre la mortalité du bétail, contre la grêle, contre les accidents à son personnel et à son cheptel, contre la maladie, la vieillesse (assurances sociales).

Or, au début, les grandes compagnies capitalistes d’assurances et de crédit affectaient de mépriser cette clientèle « peu intéressante » qui, se voyant dédaignée par ces grandes puissances capitalistes, a dû faire ses affaires elle-même en créant des institutions ad hoc. (Voir l’article de M. Patier, dans la Correspondance coopérative de septembre 1931, sur les rouages de la Fédération nationale de la Mutualité et de la Coopération agricoles et leur fonctionnement.) Actuellement, cette Fédération groupe près de 600 organisations pour la plupart à cadre départemental ou régional, représentant elles-mêmes près de 20.000 associations locales, dépassant plus d’un million d’agriculteurs adhérents. Chose curieuse, les grandes puissances d’assurances et de crédit qui, à l’origine, se moquaient des agriculteurs assez audacieux pour vouloir participer à une vie solidariste, recherchent, maintenant que ces organisations agricoles mutuelles ont fait leurs preuves, la clientèle de ces organisations, ou en combattent sournoisement certaines, jusqu’au jour où, la preuve étant faite de leur vitalité, elles rechercheront — trop tard — leur clientèle…

Au début, lorsque les agriculteurs achetèrent des produits en gros (pour bénéficier d’avantages à l’achat et au transport), ils se répartirent ces produits en gare, « à la bonne arrivée », de manière à réduire les frais généraux au strict minimum. Mais, peu à peu, lorsque le nombre des acheteurs augmenta, et surtout des petits agriculteurs ne disposant parfois pas de la place nécessaire à l’entreposage de ces produits, les syndicats agricoles durent stocker les excédents des produits répartis « sur wagon », quitte à les majorer quelque peu, pour couvrir les frais de manutention et de stockage. Ils pensaient ne point mal faire en agissant ainsi. Les adversaires de l’émancipation paysanne les firent poursuivre devant les tribunaux pour « abus de fonction ». Effectivement, l’entreposage et la manipulation des produits pour la ferme dépassaient le cadre de la loi du 21 mars 1884. Les agriculteurs contournèrent ces difficultés en constituant des coopératives agricoles qui, pour commencer, s’attachèrent le plus souvent à répartir les produits nécessaires à l’exercice de la profession agricole. Mais, logiquement, ayant acheté à leur coopérative agricole de la graisse pour les sabots des animaux, de la paille mélasse, des tourteaux pour les animaux de la ferme, ils en vinrent, par assimilation, à