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La prophylaxie criminelle n’existe pas encore. Mais son organisation est à l’étude sur l’initiative du docteur Toulouse. Partant de ce principe que les criminels sont le plus souvent des anormaux, ils attirent d’habitude, avant leurs attentats, l’attention de leurs proches ou des tiers par leurs façons d’agir : injures, violences, menaces, etc. Or, ces actes, qui ne tombent pas sous le coup de la loi, sont suffisants pour qu’ils soient signalés aux centres de prophylaxie mentale, aux fins de traitements spéciaux. Ainsi seraient évités grand nombre de crimes. (Le Siècle Médical, 1er juillet 1932.)

Si toutes ces prophylaxies dont nous venons de parler étaient mises en œuvre, nous aurions certainement une sélection d’individus qui amènerait fatalement une sélection de races. Et les conséquences en seraient merveilleuses : aux pensées et sentiments destructifs (laisser-aller, haine, égoïsme, cupidité, cruauté, laideur, mensonge), succéderaient des pensées et des sentiments constructifs de bonté, d’altruisme, de liberté, de travail, de tolérance, de vérité, etc. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et nous verrions, alors, les peuples vivre dans la paix et le bonheur : finis les conflits, finis les armements, finies les guerres ! Quel idéal plus pur peut-on désirer ?

Conclusion. — On a vu, d’après tout ce que je viens de dire sur la prophylaxie, que de siècle en siècle, d’année en année, de jour en jour, l’humanité essaie, par un mieux-être éternel, de lutter contre toutes les forces maléfiques qui s’agrippent à l’être individuel et social, comme pour lui dire : « Tu as beau faire pour améliorer ton existence, il y aura toujours, au bout, la fin devant laquelle nous sommes tous égaux : la mort ».

Mais avant la mort, il y a la vie, que nous devons essayer de faire la meilleure possible. Des intelligences de tous ordres s’attèlent à cela – nous l’avons montré – et réussissent après mille détours. La boutade de Spencer est toujours vraie :

« L’humanité ne finit par marcher droit qu’après avoir essayé de toutes les manières d’aller de travers. » — Louis Izambard.


PROPRIÉTÉ n. f. (du latin : proprietas, même signification). Toujours et partout, les objets d’usage courant, nécessaires à l’entretien de la vie : nourriture, vêtements, par exemple, ont fait l’objet d’une appropriation personnelle qui rend possible leur consommation. Mais, en tant que fait social, la propriété implique l’existence d’un droit reconnu et protégé par les chefs ; elle serait une détention légitime que consacre la coutume ou la loi. Loin d’être une institution fixe et toujours identique à elle-même, comme beaucoup de contemporains le supposent, la propriété a revêtu, au cours des âges, des formes différentes.

Aujourd’hui, elle a pour caractéristique principale d’être individuelle ; mais, à l’origine, elle fut essentiellement collective. Conquise par le clan, la terre demeurait sa propriété indivise ; tous la cultivaient en commun et bénéficiaient des produits du sol. Le communisme, voilà le régime primitif. Très proches des hommes préhistoriques, les Fuégiens sont restés hostiles à la propriété telle qu’elle existe chez nous. « Si l’on donne une pièce d’étoffe à l’un d’eux, écrit Darwin, il la déchire en morceaux et chacun en a sa part : aucun individu ne peut devenir plus riche que son voisin. » Chaque horde revendique la propriété d’un vaste territoire de chasse et de pêche ; des espaces neutres séparent, d’ailleurs, les hordes les unes des autres.

La propriété individuelle porta d’abord sur les femmes et les esclaves, ainsi que sur les objets qui, comme les bijoux et les armes, servaient directement à la personne. Puis elle s’étendit à l’habitation, aux tombeaux des ancêtres et à de faibles portions du sol. Mais, de

l’avis de tous ceux qui ont étudié ce problème, la propriété de la terre fut lente à s’établir. La langue hébraïque, remarque Meyer, n’a pas de mots pour exprimer la propriété foncière ; et Mommsen a noté que, chez les Romains, l’idée de propriété n’était pas associée primitivement aux possessions immobilières, mais seulement aux possessions en esclaves et en bétail. Ce qui n’a rien d’étonnant : une peuplade nomade ou qui vit de chasse ne pouvait guère s’intéresser à la possession du sol. Cette dernière n’apparut qu’avec les progrès de l’agriculture : née du désir d’obtenir des récoltes plus abondantes, plus suivies, et qui ne réclamaient pas le défrichement de terres incultes. Mais le droit de propriété fut d’abord réservé à quelques individus privilégiés : les chefs de famille, les seigneurs ou les rois. En Afrique, maints roitelets sont encore propriétaires du pays tout entier : hommes, sol et choses. En principe, le souverain est propriétaire du sol dans les monarchies absolues ; il l’est aussi en Angleterre, du moins à titre de fiction juridique. Dès cette époque, la religion intervient pour protéger l’appropriation ; interdits et cérémonies rituelles sont toujours en usage chez certaines peuplades arriérées. Lorsqu’ils établissent des bornes, les Indiens du Brésil appellent les pajés qui exécutent des cérémonies magiques en battant du tambour et en fumant de longs cigares. Afin de délimiter les frontières, ils pendent quelquefois aux arbres des morceaux d’étoffe ou des paniers. En Nouvelle-Zélande, si un Maori voulait protéger sa moisson, sa demeure, ses vêtements ou quoi que ce fût, « il n’avait, dit Frazer, qu’à les tabouer, et ces biens se trouvaient en sûreté. Pour indiquer que l’objet était tabou, il y faisait une marque : ainsi, s’il voulait se servir d’un arbre de la forêt pour s’y creuser une pirogue, il attachait au tronc un bouchon de paille ; s’il désirait se réserver un massif de roseaux dans un marais, il y fichait une perche couronnée d’une poignée d’herbes ; s’il quittait sa maison en y laissant toutes ses valeurs, il en assurait la porte avec un ligament de lin et l’endroit devenait aussitôt inviolable. »

Longtemps, les chefs de famille ne jouirent que d’une propriété temporaire et périodique. À l’époque de Tacite, les Germains partageaient la terre pour une année seulement, durée du cycle des opérations agricoles ordinaires. Avec le perfectionnement des méthodes de labour et le besoin d’un plus long laps de temps, on espaça davantage l’époque du partage. Le mir de l’ancienne Russie, l’allmend pratiqué dans divers cantons suisses peuvent être considérés comme des survivances de cet état de choses. Plus ou moins tôt, des individus ambitieux obtinrent la propriété définitive de leur lot, ouvrant ainsi la porte à des injustices innombrables. Gide observe que : « Toutefois, observe Gide, ce n’est point encore la propriété individuelle, le droit de disposer n’existant pas : le chef de famille ne peut ni vendre la terre, ni la donner, ni en disposer après sa mort, précisément parce qu’elle est considérée comme un patrimoine collectif et non comme une propriété individuelle. Ce régime se retrouve encore aujourd’hui dans les Zadrugas de la Bulgarie et de la Croatie, qui comptent jusqu’à cinquante et soixante personnes ; mais elles tendent à disparaître assez rapidement par suite de l’esprit d’indépendance des jeunes membres de la famille. »

De familiale, la propriété est devenue individuelle, et la Révolution française la rangea parmi « les droits de l’homme », On a même cherché à rendre la propriété foncière aussi souple, aussi facilement utilisable que la propriété mobilière. En Australie, le système Torrens permet « au propriétaire d’un immeuble de mettre en quelque sorte la terre en portefeuille, sous la forme d’une feuille de papier, et de la transmettre d’une personne à une autre avec la même facilité qu’un billet de banque ou tout au moins qu’une lettre de change ».

Aujourd’hui, l’accaparement est complet dans les