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pompeuse emphase, la fausseté sentimentale, l’absence de véritable humanité rendent boursouflée, maquillée, vide de toute substance. Après Voiture et autres précieux, l’Académie française, dont la solennité macabre épouvante même les croquemorts, a donné le ton de cette rhétorique aussi hypocrite qu’ennuyeuse où, depuis Pléchier, ont excellé tant de raseurs aussi inconnus qu’ « immortels » qui se sont succédés dans cet hypogée de la littérature, du bon goût et de la distinction. M. Cousin, qui tint une place avantageuse dans ce monde fossilisé, voyait en Bossuet le plus grand prosateur français. Jugement bien académique et qui montre toute la distinction à faire entre la prose, expression de la pensée, et la rhétorique qui en est le vent. (Voir Rhétorique.) — Édouard Rothen.


PROSTITUTION (la) n. f. Qu’est-ce que la prostitution ? La loi romaine appelait prostitution : le métier des femmes qui ont choisi de se livrer contre de l’argent à tout venant (le verbe prostituo a le sens d’abandonner à tout venant). Le Dictionnaire de l’Académie l’explique ainsi : « abandonnement à l’impudicité », ce qui n’est ni clair ni complet. Le Dictionnaire encyclopédique Larousse explique : « Métier qui consiste à livrer son corps au plaisir du public pour de l’argent. » Dans son Histoire universelle de la Prostitution chez tous les peuples du Monde (1851), Pierre Dufour écrit qu’on doit entendre par prostitution tout trafic obscène du corps humain (à cause du terme prostitutum).

Dans la Prostitution clandestine (1885), le Dr  Martineau : « La prostitution est le commerce du plaisir ; est prostituée publique celle qui ne choisit pas son acheteur ; est prostituée encore, assurément, celle qui le choisit, mais ne l’est pas de la même façon. » Dans la Prostitution au point de vue de l’hygiène et de l’administration (1889), le Dr  Reuss : « C’est le commerce habituel qu’une femme fait de son corps. — Une prostituée est une femme qui, se tenant à la disposition de tout homme qui la paie, se livre à la première réquisition. » Émile Richard, ancien président du Conseil Municipal de Paris, dans La Prostitution à Paris (1890) : « … doit seulement être réputée prostituée toute femme qui, publiquement, se livre au premier venu, moyennant rémunération pécuniaire et n’a d’autres moyens d’existence que les relations passagères qu’elle entretient avec un plus ou moins grand nombre d’individus. »

Le Dr  Commenge, dans la Prostitution clandestine à Paris (1904), donne cette définition qui demeure l’une des meilleures : « La prostitution est l’acte par lequel une femme, faisant commerce de son corps, se livre au premier venu, moyennant rémunération, et n’a d’autres moyens d’existence que ceux que lui procurent les relations passagères qu’elle entretient avec un plus ou moins grand nombre d’individus. »

De ces définitions, il résulte que ce qui caractérise la prostitution, c’est d’abord la vénalité ; c’est ensuite, contre argent, de livrer son corps au premier venu ou à tout venant. La racine de tous les mots de la famille « prostituer » est le verbe latin prosto, qui signifie « saillir, avoir de la saillie, s’avancer en dehors » — être rendu public, d’usage commun —, « être vénal, être à vendre, être exposé en vente ».

Quelle fut la première prostituée ? L’espèce humaine apparue, avec ses défauts et ses sublimités, le sexe fort se rendit compte de sa force, et le sexe faible eut compréhension — ou prit conscience — de sa faiblesse. L’homme réduisit en captivité la femme, soit de gré, soit de force, pour la satisfaction de ses appétits charnels. Mais, inopinément, survenait un second mâle auquel plaisait la captive. Les deux hommes se battaient et la femme restait le butin du vainqueur.

À mesure que les hommes « s’humanisaient », c’est-à-dire à mesure qu’ils acquéraient plus de développe-

ment cérébral — aux dépens de leur force physique —, leur tactique se modifiait et ils commencèrent à solliciter les êtres de l’autre sexe. La femme, moins fougueuse en règle générale que l’homme, accepta ou refusa d’abord ingénument ses sollicitations ; mais l’homme conçut la ruse de mettre la convoitise de son côté. Le beau fruit qui pendait d’un rameau trop élevé pour que la femme pût le cueillir avec facilité, telle belle pièce, produit de la chasse ou de la pêche, autant de démons tentateurs pour le faible être féminin qui finit par céder, livrer son corps à l’homme en échange de ces aliments appétissants. En cédant, elle le reçut dans ses bras et lui ouvrit le lit de son corps, et tous deux formèrent « la bête à deux dos » chère au poète. Telle fut la première prostituée, la première qui se vendit pour un prix. Or, ceci se produisit certainement parmi les hommes primitifs : la prostitution est donc aussi ancienne que le monde, que l’humanité.

Certains auteurs voient dans l’hospitalité l’origine de la prostitution. Chez les primitifs, la notion de l’hospitalité due au voyageur était si profondément ancrée dans la mentalité humaine qu’elle était devenue un dogme sacré, une loi inviolable. C’est l’une des premières manifestations de la sociabilité humaine, qui devint par la suite une sorte de coutume ressortissant du droit des gens. L’hospitalité voulait que là où il frappait, l’étranger trouvât place au feu et à la table. À l’origine, il dut être considéré comme un parent inespéré. On l’adoptait, tant qu’il demeurait sous le toit de la maison où il était entré, comme l’un des membres de la communauté familiale. Et comme son séjour était censé attirer le bonheur, on voulait que l’hospitalité fût complète, voilà pourquoi il ne restait pas solidaire sur la couche où il se reposait : la femme ou la fille de l’hôte, l’une ou plusieurs des femmes résidant sous le toit qui l’abritait, venaient coucher auprès de lui. Les humains de ce temps-là n’auraient pas compris que l’amour fût exclu des bonnes choses que la coutume prescrivait de présenter au passant. Il n’y avait donc pas besoin de l’ordre du maître de la maison pour que l’hôtesse se prêtât de bonne grâce à l’usage consacré. Il est possible que plus tard, au départ de l’hôte, celui-ci ait remis à sa ou ses compagnes de passage un cadeau qui a pu être un objet provenant du pays d’où il venait et dont le semblable n’existait pas dans le leur. Ce ne doit être que par la suite que ce présent a pu être considéré comme une rémunération. La prostitution hospitalière qui se pratique actuellement, à titre de coutume, chez certaines tribus classées comme primitives ou demi-civilisées, accuse un calcul qu’ignorait l’hospitalité primitive.

Plus tard, les hommes, ayant divinisé les instincts, divinisèrent l’amour. L’amour physique, plus ou moins romantique, mais toujours instinctif, eut sa déesse spéciale, Vénus, qui reçut divers surnoms ou appellations, suivant les peuples qui l’adoraient et les motifs qui lui faisaient rendre un culte… On la donnait comme fille de Jupiter, née de l’écume et de la mer, sur les côtes de Chypre. L’amour physique eut aussi pour dieu Adonis, l’Adonaï des Israélites, l’un des nombreux amants qu’on attribua à Vénus. On les adorait tous deux en Phénicie sous le nom d’Astarté, divinité hermaphrodite, dont les statues réunissaient les deux sexes. Les peuples naissants se prévalurent de l’adoration qu’ils portaient à la fille de Jupiter pour augmenter leur population et leurs richesses. À cet effet, ils élevaient des temples à la déesse, lui assignaient de très belles prêtresses qui étaient dans l’obligation de se sacrifier à Vénus, c’est-à-dire de se livrer aux étrangers qui visitaient les bois sacrés et faisaient des dons pour l’entretien du culte de la déesse ; c’est ce qu’on appelait la « prostitution sacrée ». De cette manière, les navigateurs, marchands ou tout simplement libertins, trouvaient le plaisir qu’ils cherchaient dans ces